samedi 18 juin 2011

Devin Townsend - Un foufou de moins en moins furieux

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Tiens, revoilà Devin Townsend. Bon, d’accord, la nouvelle n’a pas de quoi créer un emballement fulgurant, d’autant que son dernier album ne datait que de la fin 2009 (on notera cependant que la durée de gestation fut cette fois étonnamment longue de la part d’un tel stakhanoviste). Mais elle peut satisfaire les rares amateurs pour qui le garçon a quelque chose d’un vieux copain temporairement perdu de vue.

C’est qu’avec Townsend, on a perdu le fil quelques temps après avoir définitivement perdu le compte de ses disques, c’est-à-dire approximativement vers 2005-06, laps de temps d’un an et demi durant lequel ce grand malade publia non pas un, non pas deux, mais quatre albums différents (voire cinq, puisque l’ambient et zarbi Devlab, daté de 2004… est paru en décembre). On ne saurait dire précisément quand (sur l’ultra-pompier – et trop bien nommé – Synchestra ?), mais il y eut un moment où ce fut clairement trop pour nos pauvres oreilles, d’autant que ses multiples projets, relativement définis durant les années 90, finissaient par se ressembler de plus en plus, si l’on excepte évidemment le bourrinnage ultra-jouissif de Strapping Young Lad. Quatre ans et quelques opus décevants plus tard, c’est presque par hasard qu’on retombe donc sur ce vieil ami autrefois adulé, qui depuis 2009 s’est donc lancé dans une tétralogie sous le pseudonyme de The Devin Townsend Project, tétralogie dont, soyons franc, on n’a strictement rien compris à ce qu’elle racontait. Ce qui n’est pas bien grave : depuis Cooked on Phonics, aventure tragicomique de Punky Brüster, un groupe de death-metal se reconvertissant dans le skate-punk masturbatoire pour connaître le succès, cela fait un bail que le Canadien a placé la barre très haut en matière de concept-albums invraisemblables et/ou imbitables. Quand on sait que dans Deconstruction, l’un des deux albums à paraître simultanément ce mois-ci, le héros végétarien descend aux Enfers pour découvrir le sens de la vie, et apprend qu’il réside dans un cheeseburger… autant dire qu’on n’est pas convaincu de l’utilité de s’arrêter sur les développements narratifs d’un projet principalement caractérisé par son hétéroclisme.


Ce qui est intéressant c’est que mis bout à bout, Deconstruction et son siamois (mais pas jumeau) Ghost résonnent comme une mise en abyme intéressante de l’art de Townsend, ses multiples facettes, ses infinis talents comme son attirance souvent coupable mais toujours assumée pour le mauvais goût. La discographie de Townsend, c’est un peu le meilleur et le pire du prog parfois réunis dans le même morceau – et c’est très exactement ce qu’il nous offre avec ces deux nouveaux OVNIS. On ne peut ni ne veut choisir entre la lourdeur sarcastique du premier et la délicatesse du second : cela reviendrait à demander si l’on préfère l’énergie à la douceur, le sexe ou les sentiments… bref à se découper soi-même en rondelles – et Devin Townsend avec. L’artiste n’est pas d’un seul tenant – il n’est pas pour autant un gros gâteau que l’on pourrait partager en parts égales. D’autant qu’il y a autant de bon que de mauvais dans chacune de ses incarnations, l’attrait quasi pathologique de l’Excès semblant constituer le liant entre chaque pièce du puzzle.

Par sensibilité naturelle plus que par conviction, on sera tenté de préférer le prog floydien de Ghost, à cause de son absence totale de démonstration (une rareté dans le genre) tout comme parce que l’on attend depuis des années de revoir Townsend de ce registre où il excelle. Il faut cependant reconnaître que Deconstruction a pour lui d’être plus varié, sans toutefois effleurer la folie dont le garçon était capable dans sa jeunesse (Cf Infinity, premier album solo foufou furieux), à l’image de son improbable ouverture : "Praise the Lowered" débute comme un titre ambient avant de basculer en pop-song, pour finalement se métamorphoser en heavy grand-guignol, exercice seyant quasiment à chaque tentative (ici le furibard "Juular" ou l’emphatique "Sumeria", sur laquelle le batteur Dirk Verbeuren s’en donne à cœur joie). Reste que s’il faut lui reconnaître une belle diversité des climats et un songwriting très au-dessus de la moyenne du metal contemporain, Deconstruction est paradoxalement un album assez prévisible, presque trop dans les clous pour du Townsend.


Il est vrai aussi que, revers de l’hyper-productivité, il souffre immanquablement de la comparaison avec Ghost, qui pour sa part s’impose dès la première écoute comme le meilleur album de son auteur – tous projets confondus – depuis un paquet d’années. Extrêmement compact, remarquablement produit, Ghost tutoie à plusieurs reprises la Grâce Absolue (ah ! ce "Fly" !) et parvient à trouver un équilibre quasi miraculeux entre rock progressif, pop atmosphérique et même new age, en ne sonnant quasiment jamais kitsch – ce qui n’est pas rien lorsque l’on s’aventure dans ces trois registres relevant aussi souvent de l’équilibrisme que de la musique (et qu’en plus on met de la flûte dessus). Tout n’est certes pas parfait, et l’on réprime un bâillement tandis que Devin se laisse contaminer par la torpeur de "Heart Baby". Mais comment ne pas lui pardonner, alors que dès après il nous offre l’une de ses plus belles compos depuis des lustres ? Sur "Feather", morceau de bravoure de onze minutes contemplatives et enivrantes, le Canadien a rarement si bien chanté, et atteint des cimes pop insoupçonnées même de ses plus vieux fans.

Véritable voyage en des terres inconnues, Ghost ne propose pas que des paysages aussi sublimes que celui-ci, mais tous sont dignes d’intérêt et le cadre s’avère souvent à ravir ("Texada", "Seams"). L’ensemble est fluide, d’une belle légèreté ("Ghost"), et d’accord, ok, on se serait sans doute passé de certains breaks de flute conférant ici ou là  aux morceaux (l’intro de "Monsoon", au hasard) un côté médiéval ne leur apportant pas grand-chose. Mais allons : les disques comme celui-ci ne courent pas les rues. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on aime Devin Townsend, quitte à lui pardonner certaines dérives en dépit de tout bon sens.



👍 Deconstruction | InsideOut, 2011
👍👍 Ghost | Century Media, 2011

6 commentaires:

  1. Le Ghost est en effet très joli, du très bon prog tendance planante. L'autre, par contre... :-/

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  2. Tout ça fait beaucoup trop de metal en peu de jours pour mes pauvres oreilles lol

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  3. Oui, c'est vrai que les hasard de la programmation... enfin ça va, c'est pas tuant non plus...

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  4. abîme et abysse bordel ou alors abysme espèce de trochoïde.

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  6. Putain, tu m'as déjà dit ça et je t'ai déjà répondu que l'expression était bel et bien mise en abyme (ouvre un dictionnaire si tu ne me crois pas, ou juste clique sur google : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mise_en_abyme). Aucune des trois expressions n'est d'ailleurs incorrecte, comme l'explique très bien l'article en lien. Mais l'expression d'origine, incontestablement est telle qu'elle est presque toujours utilisée quand on te l'enseigne en cours de stylistique, est bien mise en abyme, avec un "y".

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