lundi 16 mai 2011

Marcel Kanche - Diamantaire discret

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Plus de trente ans après ses débuts, on ne laisse d’être étonné par le relatif anonymat dans lequel continue de s’ébrouer Marcel Kanche. Auteur à la poésie virtuose, interprète rugueux et habité, expérimentateur parfois fascinant… Kanche, indiscutablement l’un des artistes les plus singuliers et passionnants de notre pays, devrait en théorie avoir l’aura d’un Bashung, d’un Christophe ou d’un Manset, à plus forte raison depuis que M puis Paradis ont porté ses mots jusqu’au sommet des hit-parades ("Qui de nous deux ?" et "Divine Idylle" sont de lui). Et pourtant non : Marcel Kanche continue d’aller au charbon, enchaînant les ouvrages foisonnants aux titres plus sublimes les uns que les autres (Nous dormirons bien mais mal, Vertiges des lenteurs, la compilation Dix automnes sous les paupières …), à un rythme plus ou moins soutenu (celui-ci doit être approximativement le dixième en solo).


Également affublé d’un titre d’une rare beauté, Vigiles de l’Aube s’ouvre sur une guitare désertique et une voix féminine fantomatique, avant de lancer un morceau éponyme s’inscrivant immédiatement parmi les chansons les plus remarquables de son auteur. Dix pistes durant, on retrouve tout ce qu’on aime depuis longtemps chez l’homme de l’incontournable Vertige des lenteurs : langue riche, au lyrisme élégant et au romantisme intemporel ; univers onirique, d’une subtile étrangeté ; musique électrique et sépulcrale parcourue de chœurs, de stridences noisy, de cordes discrètes. Et bien sûr cette voix constamment sur la brèche, toute de retenue quand on la sent prête à exploser.

Ferréien en Diable et aux confins du post-rock 1 ("Courbée sous la nuit", "Dort", "Et dans la boue semé"…), dont on peut légitimement considérer, d’ailleurs, que Kanche et son groupe Un Département comptèrent parmi les précurseurs, Vigiles de l’Aube est de ces albums qui vous happent dès les premières secondes et vous laissent bouche bée, incapable de faire autre chose que de tendre l’oreille et/ou fermer les yeux. Comme pour quasiment tous les disques de son auteur depuis Lit de chaux (il y a une dizaine d’années), on pourrait écrire une thèse de dix pages rien sur que sur ses arrangements, ses progressions subtiles ou le son de ses guitares. Kanche est du genre à tailler des diamants quand les autres se content d’enfiler maladroitement des perles de plastique.

Pourtant, comme pour quasiment tous les disques de son auteur depuis Lit de chaux, on préfère ne pas trop en dire. Vigiles de l’Aube est de ces œuvres farouches qui imposent le respect et ne tolèrent guère le déblatérage, la chronique emphatique stérile, le mot en trop. Sans doute précisément car rien n’y est en trop, chaque note, chaque mot paraissant trouver sa juste place, dans un équilibre fragile entre âpreté et douceur, désolation et lumière. Sublime.


👍👍👍 Vigiles de l’Aube 
Marcel Kanche | Cristal Records, 2011


1. On notera d’ailleurs qu’il n’est pas de nécessaire contradiction entre Ferré et le post-rock. Au contraire.

9 commentaires:

  1. Acheté grâce à ton article sur Interlignage. C'est effectivement très beau. Pas encore écouté les autres, que tu me recommandais (on ne les trouve pas facilement en magasin, il faudrait que je les commande), mais belle découverte tardive, dont je me demande encore comment ses disques ne sont pas plus tôt parvenus à mes oreilles...

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  2. Cet album est un ravissement. Un des plus beaux qui soient sortis cette année, selon moi.

    BBB.

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  3. Évidemment, ce serait mieux avec vingt commentaires, mais merci les amis :-)

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  4. Allez, j'offre le quatrième com, pour dire la meme chose que les autres : très bel album.

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  5. Ah oui il très beau ce disque. Seul bémol, je trouve que la production en rend pas toujours hommage à la qualité des compositions. En tout cas, c'est riche en émotions.

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  6. Je ne vois pas vraiment ce que tu reproches à la production mais j'apprécie l'effort pour ne pas être complètement d'accord avec moi, ce qui devient insupportable à la longue ;-)

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  7. Je découvre enfin et je commentais il y a quelques minutes sur Interlignage, donc je ne réitérerai pas mes dithyrambes.

    Sublime !

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  8. Ah, tout de même, tu poses enfin le genoux à terre ;-)

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