mercredi 4 mai 2011

Marc A. Huyghens (JOY) - "Un cinquième album qui est un premier"

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C’est une blague qui traîne chez mes amis d'Interlignage depuis de nombreux mois. Rendons-à notre Wesbslave1 Labosonic ce qui lui appartient, il a coutume de dire, goguenard, que nous devrions changer de nom de domaine et acheter "interlignage.be", qui serait plus raccord avec notre ligne éditoriale. Soyons réalistes, on aime la Belgique, et je ne saurais même pas trop vous dire pourquoi. Il est amusant de se dire qu’il y a un an, nous avions prévu une semaine belge dans nos pages, jamais réalisée pour des raisons techniques… et qui a fini par devenir, littéralement, une année de la Belgique tant les artistes du Plat Pays ont été omniprésents dans ces colonnes, dans des registres extrêmement différents mais finalement très représentatifs de la richesse culturelle et intellectuelle d’un pays que les Français – ces prétentieux – ont toujours bien aimé prendre de haut. Aussi lorsque nous avons le plaisir de partir à la rencontre de Mark Huyghens, qui n’est jamais que le huitième artiste belge à s’inviter dans cette rubrique en à peine une année, impossible de résister à la tentation de lui en toucher un mot, à lui qui – aujourd’hui avec JOY comme hier Venus – s’est imposé comme l’un des songwriters les plus inspirés de cette scène inventive et décomplexée que Paris envie tant à Bruxelles. « Il y a ce côté vraiment à la croisée de l’Angleterre et de la France. Cela donne un truc assez bizarre, culturellement parlant. Je crois que le particularisme belge, c’est ça : ne pas vraiment avoir une culture nationale, ne pas vraiment être patriote… être une espèce de bâtard culturel. On n’a d’ailleurs pas ce poids historique et culturel que supportent les grands pays. Des statues du commandeur, on n’en a pas beaucoup et on en rigole plutôt. De toute façon c’est impossible : quand tu connais notre histoire… c’est risible, quand même. »


L’entretien a lieu dans un bar à quelques centaines de mètres des Trois Baudets, où JOY doit se produire le soir même. Les filles, Françoise Vidick (batterie et chant) et Anja Naucler (violoncelle), apéritivent tranquillement à la table d’à côté, sans se mêler en quoi que ce soit de l’interview. Car Marc Huyghens est le rocker le plus envié de toute la scène européenne, ou pas loin, passant toute l’année sur la route entouré de jeunes femmes. Un choix délibéré 2 et, selon lui, très équilibrant. « Comme dans la vie, quoi. Quand je tournais avec Venus, on était huit mecs… » Les points de suspensions et la moue qui les accompagne sont éloquents. En fait, chez JOY, même l’ingé son est une femme. « En ce qui concerne Géraldine, c’est plus accidentel, j’avais demandé un autre ingé son au départ, avec qui ça s’est très mal passé. Elle est assez jeune, elle a fait peu de live et surtout du studio… c’était vraiment un pari mais on est super à l’aise avec elle, elle est très douée »

Marc parle doucement, presque trop pour le pauvre enregistreur (mais il est vrai qu’il y a beaucoup de bruit autour, il fait beau, l’ambiance est pour le moins animée). Il dégage une forme de sérénité, peut-être de distance, qui tranche assez violemment avec les artistes que l’on rencontre habituellement, qui sans doute n’en ont peut-être pas vu autant que lui. C’est assez frappant lorsqu’on lui demande comment ce premier album de JOY a été reçu, quelques trois années après le split de Venus – qui en laissa quelques-uns inconsolables. Globalement, il s’en dit satisfait, même s’« il y a aussi de temps en temps des avis plus mitigés que d’habitude. » Cela ne semble cependant pas l’affecter plus que de raison. « J’ai appris à entendre les critiques de gens qui n’aiment pas. Je pense que si ça m’était arrivé à l’époque où je commençais à faire de la musique j’y aurais été beaucoup plus sensible… aujourd’hui je m’en fous. Je sais ce que je fais, je sais la valeur que ça a. J’en connais aussi les défauts. » Et fermez le ban. « De toute façon, les critiques aiment ce qui est nouveau. On s’intéresse beaucoup moins à un cinquième album qu’à un premier. Et d’un autre côté tu peux voir des artistes comme Dominique A, qui se sont installés sur la durée et qui imposent un certain respect, avec qui on sera peut-être un peu moins virulent ou violent dans la critique. » Justement, où se situe-t-il là-dedans ? Se sent-il pris dans le piège du « nouveau projet », où les attentes sont considérables eu égard au précédent, et les déceptions parfois aussi violentes qu’injustes ? « Non, on est trop petit pour ça. Et heureusement il y a aussi des gens qui découvrent encore et qui feront le chemin inverse, en allant écouter ce que j’ai fait avant. De toute façon, c’est comme ça… c’est dans la nature humaine : les gens s’attachent fort à ce qui les a marqués à un moment donné. Moi-même j’écoute plus les premiers albums de Lisa Germano que les derniers. Mais après si tu prends ce paramètre en compte, tu fais pas grand-chose. »


C’est que Venus n’était pas le premier groupe venu. En une dizaine d’années et trois albums dont un chef-d’œuvre (The Red Room, en 2006), le collectif belge et son imprévisible songwriter se sont imposés comme l’un des ensembles les plus passionnants et originaux de son époque. Le groupe culte par excellence, jamais suffisamment connu pour être populaire, mais de ces artistes susceptibles de laisser une trace indélébile chez leur mince auditoire. A la fin des années 90, il était ainsi difficile de pénétrer dans une chambre d’étudiant français sans y apercevoir dans un coin Welcome to the Modern Dancehall, vibrionnant premier album dont les "Royalsucker" et autres "Don’t Say You Need Love" faisaient office de quasi tubes indies (pour un peu que l’expression « tubes » aient le moindre sens rapporté à la scène indé française, bien sûr). A vrai dire, la seule véritable surprise provoquée par l’album de JOY, c’est qu’il en contienne si peu : la formule, avec guitare/violoncelle/batterie, est différente, plus compacte, plus épurée (« L’idée maîtresse c’était de faire un groupe dont la structure soit très autonome, mobile. On est trois musiciens, j’ai un van qui est garé devant, là-bas. Logistiquement c’est extrêmement simple. »)… mais du strict point de vue musical et sonique, JOY est bien le rejeton épuré et éthéré du Venus des années 2000. Marc lui-même en parle comme d’un « cinquième album qui est un premier ». « Ce n’est pas surprenant qu’on entende dans JOY des choses qu’il y avait dans Venus. C’est ma façon, ce sont mes harmonies… je cherchais quelque chose qui soit à la fois minimaliste et puissant. Mais quand je dis minimaliste, ça ne veut pas dire petit, ni cheap ni vraiment intimiste. » On lui fait remarquer que d’une certaine manière, JOY (l’album) évoque plus The Red Room que The Red Room lui-même n’évoquait les précédents albums de Venus, notamment dans le son des guitares, reconnaissable entre mille. « Tout à fait d’accord. C’est le même principe, même guitare, même ampli avec juste un accordage différent – quasiment tous les morceaux sont en Ré, c’est plus… open-tuning, quoi. Encore qu’il y ait deux ou trois morceaux sur The Red Room où j’utilise déjà cet accordage-là » C’est le moins qu’on puisse dire : les écoutes de ces deux albums s’enchaînent merveilleusement, avec quelques nuances de couleur (The Red Room est plus rêche, plus bluesy, tandis que JOY est un disque plus volontiers aérien et vaporeux), et ce sentiment frappant qu’au fil du temps, Marc Huyghens est nettement plus branché guitares qu’à ses débuts. En comparaison avec Welcome to the Modern Dancehall et Vertigone, les deux premiers Venus, beaucoup plus éparses sinon éclatés, The Red Room et JOY semblent résolument plus rock en cela que le principe de riff semble y occuper une place beaucoup plus prépondérante. « On peut dire ça, oui. C’est-à-dire qu’avant j’étais un chipoteur, tu vois ? Tu me donnais n’importe quel instrument, je le plaçais dans une chanson, je trouvais un arrangement… Vertigone c’est ça : beaucoup de trucs et de machins. (sourire) »


"Vertigone", justement, est le morceau éponyme du second album que JOY reprend sur son premier, comme une pont jeté entre présent et passé, bien que la raison de cette présence soit bien plus prosaïque : « Quand on a commencé à faire des concerts on n’avait pas assez de morceaux pour un set, je jouais ça dans les répétitions, on a essayé et ça m’a tellement plu que je voulais que ce soit sur l’album ». Il en va tout autrement de la reprise de "Long Way Around the Sea", titre méconnu (et assez méconnaissable) de Low, dont l’influence semble s’être répandue au-delà de cette seule relecture. « C’est pour moi un hommage à un groupe qui m’a apporté énormément de trucs… dans ton parcours musical il y a toujours tous les dix ans ou cinq ans un artiste ou un groupe qui vraiment te marque… et eux m’ont marqué. » On aurait été curieux de connaître son avis sur le récent C’mon, dont on a tout de même légèrement eu l’impression qu’il s’était fait massacrer quasiment partout… sauf ici. Mais Marc avoue ne pas être du genre à se jeter sur les disques dès qu’ils sortent. « On fait leur première partie aux Nuits Bota en mai [samedi prochain, NDLR], donc j’aurais tout loisir d’écouter ça ! » Et quel loisir. Un plateau JOY + Low, ça donnerait presque envie de sauter dans le premier train pour filer s’entasser dans l’incontournable centre culturel bruxellois. D’autant qu’on ne peut pas dire que le trio ait prévu de briller par son omniprésence dans les mois à venir. La traditionnelle question sur les projets, qui conclut toute bonne interview qui se respecte, dans un élan presque logique, tombe même complètement à plat. Ni scoop sur un prochain album ni révélation particulière : l’artiste hors-promo dans toute sa splendeur, ce qui est trop rare pour ne pas être un plaisir. « En fait… je suis lent. C’est dans mon tempérament. Après Venus, je voulais aller beaucoup plus vite… et j’ai rien foutu pendant un an. » Le fan qui sommeille en nous réprime un petit soupir désolé, mais d’un autre côté comme le disait grand-mère, ce qui est rare est précieux. Et de la part d’un groupe tirant son nom du parfum le plus cher au monde, la rareté n’est jamais que le minimum 3.


👍👍 Dernier album, JOY (Le Son du Maquis, 2010)


1. Soyons réalistes, nous l’exploitons plus qu’il n’est notre master.
2. Non que Marc se soit réveillé un matin en se disant « tiens, je vais monter un girls band », bien entendu. En revanche, il reconnaît sans peine qu’au moment où Françoise et lui décidèrent d’intégrer un troisième membre ils avaient d’ores et déjà décidé qu’il s’agirait d’une femme.
3. 957 euros les trente millilitres… autant dire qu’on est content que le prix des concerts du groupe ne soit pas indexés sur son nom.

Artwork : François Vidick
Photographies : Christel Rochet (1) & Théophile Raballand (2)