[Article précédemment paru sur Interlignage] En publiant pour la première fois dans nos contrées USA 1972, objet de culte (anglo-saxon et modéré) connu sous le titre Diary of a Rock’n'roll Star, les Éditions Rue Fromentin se proposent de réparer un oubli, sans doute relatif (son auteur n’a jamais été très populaire par chez nous, et encore était-il très diversement apprécié parmi les rares Français à le connaître), mais allons ! Il s’agit tout de même du journal de bord de Ian Hunter, leader d’un Mott The Hoople désormais fraîchement reformé, et auteur en solo d’un des meilleurs titres d’album des années 70 (You’re Never Alone with a Schizophrenic, en 1979).
Relatant par le menu (l’œil attentif l’aura deviné) la tournée américaine du groupe en 72, ce récit souvent drolatique quoique dépeignant des situations déjà lues/vues/entendues mille fois pourrait sans doute être chaudement recommandé à n’importe quel amateur de rock’n'roll digne de ce nom. Il faut cependant préciser que se documenter un peu ne fera aucun mal – USA 1972 est encore plus savoureux lorsque l’on sait qui est Ian Hunter. Véritable working class hero à la gouaille toute prolétaire, le bonhomme est attachant et pas né de la dernière averse : les lignes qu’il écrivait à seulement 33 ans valent leur pesant de cacahuètes, tant par leur lucidité que par leur tonalité truculente et leur absence totale de langue de bois. On peine à imaginer un artiste, en 2011, qui au faîte de sa gloire se piquerait d’écrire un bouquin et de balancer à tout va, sur ses collègues (qu’il admire et déteste à la fois), le business (dont il mange sa part sans se faire d’illusions), le public et on en passe. Quand on pense que les rockers d’aujourd’hui, on peine en interview à leur arracher deux phrases un tant soit peu pertinentes sur l’industrie du disque et/ou le téléchargement illégal… on ressort immanquablement de ce bouquin court et pêchu comme un bon morceau de Mott en hurlant « Rendez-nous Ian Hunter ! » (qui, en vrai, n’est jamais parti, et a même plutôt mieux vieilli que certains de ses rivaux d’alors).
Se documenter, disions-nous, car la particularité du livre, ce qui le différencie des cinquante autres journaux/autobiographies de rockstars préfacés par le Michel Drucker du rock1 tient à la nature même de Mott The Hoople, dont l’histoire est suffisamment particulière pour faire de ses membres des types un peu plus intéressants que le rockeux moyen. En 1972, ces vrais galériens, next big things presque involontairement, ont déjà cinq albums et un bon nombre de vies derrières eux, ils ont été au charbon plus et plus longtemps qu’aucun groupe anglais des seventies, et ont bouffé tellement de vache enragée qu’ils sont à peu près l’exact inverse du jeune groupe plein d’espoir2 qui va s’attaquer aux États-Unis et tomber dans tous les pièges de cette satanée Rock’n'roll Way of Life. Hunter raconte à peu près tout ce qui se passe durant cette tournée, dans le détail (parfois trop) et quasiment en direct (à ses risques et périls), mais il ne le raconte donc assurément pas comme tout le monde, faisant preuve d’une distance, d’une ironie et d’un humour parfois ravageur – pas plus dupe de lui-même qu’il ne l’est de ce business dans lequel son vrai/faux cynisme fait des merveilles. S’il ne fallait citer qu’un détail éloquent : dès la première page, Hunter explique qu’il est casé, heureux et fidèle, et que le lecteur avide d’anecdotes sordides risque d’être fort désappointé (le lecteur taquin notant pour sa part que s’il est marié, il ne va certes pas raconter ses orgies dans un bouquin tant qu’il est avec sa femme). C’est vous dire si le kid nourri (et aveuglé) par trente ans de fétichisme rock s’embarquera pour un violent choc des cultures, certes relativisé par le fait que, orgies ou pas orgies, Hunter n’évite que peu de figures imposées par ce type de récit et ne loupe pas beaucoup, entre quelques anecdotes savoureuses, de pétasses peroxydées (en même temps quiconque connaît les États-Unis et les Américaines… enfin, bref – ne nous égarons pas). C’est véritablement le ton, badin et complice, qui confère à USA 1972 sa spécificité, donc son intérêt, donc la légitimité de cette premier édition française.
Certes, Hunter n’écrit pas extrêmement bien, et l’on réprime un fou rire en lisant Philippe Manœuvre le qualifiant de « très bon écrivain »3 en guise de préambule. Il n’est pas certain que ce soit l’essentiel dans ce genre de livre (c’est bien pourquoi on a réprimé ce fou rire : à quoi bon se perdre en de vaines de promesses ? On n’est de toute façon pas venu pour découvrir le nouveau Faulkner, Hunter lui-même brillant par sa sobriété4), et celui-ci remplit parfaitement son office : on s’embarque pour quelques heures en compagnie de légendes aux petits pieds du rock’n'roll et l’on s’attache rapidement à ces adorables blaireaux, aussi cons que touchants, soit donc très exactement à l’image de leur musique de bûcherons retapissée à la va-vite en glam vaguement sexy par un Bowie qui, outre qu’il démontrera avec leur All the Young Dudes qu’il est aussi mauvais producteur que génial en quasiment tout le reste, les vampirisera plus ou moins (comme les autres). Ne tiquez pas sur « légendes aux petits pieds », de grâce : Mott s’est fendu d’au moins un disque majeur (Mott, en 1973), mais l’ironie du sort aura voulu que l’ascension au milieu de laquelle ils se trouvent dans USA 1972 se trouve être le zénith de leur carrière. Mott ne se défera jamais vraiment de son statut de second couteau glam, c’est aussi ce qui les rend beaux, ces garçons : a contrario de la littérature ou du classique, le rock’n'roll ne s’est jamais écrit qu’avec des groupes mineurs, des baltringues aux carrières météoritiques qui vivaient le vrai truc tandis que les stars enquillaient disques d’or et critiques dithyrambiques. Contrairement à ce qu’indique le titre original, Ian Hunter n’a jamais été une rockstar, juste un loser devenu brièvement célèbre puis rapidement échoué sur la banquise des ringards. C’est très exactement pour cela qu’on l’adore.
1. Attention faux ami : le Drucker du rock, c’est évidemment Philippe Manœuvre, non Eudeline, qui lui n’est que le Jean-Claude Brialy du punk.
2. Né en 1939, Ian Hunter est d’ailleurs bien plus âgé que ses pairs de la vague glam-rock, sur laquelle il ne fera somme toute que surfer opportunément.
3. Rappelons que pour le commun des rockeux, tout auteur pratiquant un langage oral et le ponctuant de suffisamment de fuck est un potentiel Prix Nobel de littérature et se verra d’ailleurs, presque inévitablement et pour un peu qu’il prenne deux ou trois poses vaguement trash, qualifié d’écrivain rock, ce qui le mortifiera en silence mais lui assurera quelques maigres rentrées d’argent.
4. Je parle bien sûr au sens figuré, car sinon Ian n’est que très rarement sobre durant ce récit. Au sens propre.
Se documenter, disions-nous, car la particularité du livre, ce qui le différencie des cinquante autres journaux/autobiographies de rockstars préfacés par le Michel Drucker du rock1 tient à la nature même de Mott The Hoople, dont l’histoire est suffisamment particulière pour faire de ses membres des types un peu plus intéressants que le rockeux moyen. En 1972, ces vrais galériens, next big things presque involontairement, ont déjà cinq albums et un bon nombre de vies derrières eux, ils ont été au charbon plus et plus longtemps qu’aucun groupe anglais des seventies, et ont bouffé tellement de vache enragée qu’ils sont à peu près l’exact inverse du jeune groupe plein d’espoir2 qui va s’attaquer aux États-Unis et tomber dans tous les pièges de cette satanée Rock’n'roll Way of Life. Hunter raconte à peu près tout ce qui se passe durant cette tournée, dans le détail (parfois trop) et quasiment en direct (à ses risques et périls), mais il ne le raconte donc assurément pas comme tout le monde, faisant preuve d’une distance, d’une ironie et d’un humour parfois ravageur – pas plus dupe de lui-même qu’il ne l’est de ce business dans lequel son vrai/faux cynisme fait des merveilles. S’il ne fallait citer qu’un détail éloquent : dès la première page, Hunter explique qu’il est casé, heureux et fidèle, et que le lecteur avide d’anecdotes sordides risque d’être fort désappointé (le lecteur taquin notant pour sa part que s’il est marié, il ne va certes pas raconter ses orgies dans un bouquin tant qu’il est avec sa femme). C’est vous dire si le kid nourri (et aveuglé) par trente ans de fétichisme rock s’embarquera pour un violent choc des cultures, certes relativisé par le fait que, orgies ou pas orgies, Hunter n’évite que peu de figures imposées par ce type de récit et ne loupe pas beaucoup, entre quelques anecdotes savoureuses, de pétasses peroxydées (en même temps quiconque connaît les États-Unis et les Américaines… enfin, bref – ne nous égarons pas). C’est véritablement le ton, badin et complice, qui confère à USA 1972 sa spécificité, donc son intérêt, donc la légitimité de cette premier édition française.
Certes, Hunter n’écrit pas extrêmement bien, et l’on réprime un fou rire en lisant Philippe Manœuvre le qualifiant de « très bon écrivain »3 en guise de préambule. Il n’est pas certain que ce soit l’essentiel dans ce genre de livre (c’est bien pourquoi on a réprimé ce fou rire : à quoi bon se perdre en de vaines de promesses ? On n’est de toute façon pas venu pour découvrir le nouveau Faulkner, Hunter lui-même brillant par sa sobriété4), et celui-ci remplit parfaitement son office : on s’embarque pour quelques heures en compagnie de légendes aux petits pieds du rock’n'roll et l’on s’attache rapidement à ces adorables blaireaux, aussi cons que touchants, soit donc très exactement à l’image de leur musique de bûcherons retapissée à la va-vite en glam vaguement sexy par un Bowie qui, outre qu’il démontrera avec leur All the Young Dudes qu’il est aussi mauvais producteur que génial en quasiment tout le reste, les vampirisera plus ou moins (comme les autres). Ne tiquez pas sur « légendes aux petits pieds », de grâce : Mott s’est fendu d’au moins un disque majeur (Mott, en 1973), mais l’ironie du sort aura voulu que l’ascension au milieu de laquelle ils se trouvent dans USA 1972 se trouve être le zénith de leur carrière. Mott ne se défera jamais vraiment de son statut de second couteau glam, c’est aussi ce qui les rend beaux, ces garçons : a contrario de la littérature ou du classique, le rock’n'roll ne s’est jamais écrit qu’avec des groupes mineurs, des baltringues aux carrières météoritiques qui vivaient le vrai truc tandis que les stars enquillaient disques d’or et critiques dithyrambiques. Contrairement à ce qu’indique le titre original, Ian Hunter n’a jamais été une rockstar, juste un loser devenu brièvement célèbre puis rapidement échoué sur la banquise des ringards. C’est très exactement pour cela qu’on l’adore.
👍 USA 1972, à travers l’Amérique avec Mott The Hoople
Ian Hunter | Rue Fromentin, 1974 (2011 pour l'édition française)
1. Attention faux ami : le Drucker du rock, c’est évidemment Philippe Manœuvre, non Eudeline, qui lui n’est que le Jean-Claude Brialy du punk.
2. Né en 1939, Ian Hunter est d’ailleurs bien plus âgé que ses pairs de la vague glam-rock, sur laquelle il ne fera somme toute que surfer opportunément.
3. Rappelons que pour le commun des rockeux, tout auteur pratiquant un langage oral et le ponctuant de suffisamment de fuck est un potentiel Prix Nobel de littérature et se verra d’ailleurs, presque inévitablement et pour un peu qu’il prenne deux ou trois poses vaguement trash, qualifié d’écrivain rock, ce qui le mortifiera en silence mais lui assurera quelques maigres rentrées d’argent.
4. Je parle bien sûr au sens figuré, car sinon Ian n’est que très rarement sobre durant ce récit. Au sens propre.
Ian Hunter, poupoupou :-)
RépondreSupprimerBBB.
Oui d'ailleurs, un grand silence et plus éloquent qu'une mauvaise vanne...
RépondreSupprimer"Attention faux ami : le Drucker du rock, c’est évidemment Philippe Manœuvre, non Eudeline, qui lui n’est que le Jean-Claude Brialy du punk."
RépondreSupprimerexcellent parallèle ;)
Merci de le soulever ;-)
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