[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°95]
Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient) - Noir Désir (1989)
Les derniers Mes disques à moi (et rien qu'à moi) s'arrêtaient - pur hasard de l'alphabet - sur une période plus adulte, disons : une fin d'adolescence, des groupes découverts plus tardivement. Celui-ci revient aux sources, et de la musicophilie et de cette rubrique. A une époque où je mesurais moins d'un mètre cinquante. Une époque où j'avais très peu de disques, et où mes achats n'étaient dictés ni par la presse ni (évidemment) par les blogs, même pas par mes copains de collège (de toute façon je n'en avais quasiment aucun)... mais juste par les commandes du rayon musique du petit Intermarché situé à quelques mètres de l'établissement. C'est l'époque charnière ; celle où, la découverte passée et Nirvana parfaitement assimilé, on commence à remonter comme on peut le fil de l'histoire musicale (voilà longtemps qu'il n'avait plus pointé le bout de son nez dans cette rubrique), où l'on se met à écouter un peu tout et n'importe quoi avec un égal plaisir. Il arrive même qu'on sache au fond de nous que l'on n'aime pas tel ou tel disque mais on se sent si écrasé par le poids de ce continent que l'on vient de découvrir que l'on n'a pas encore le courage d'affirmer ses goûts. Je sèche les cours pour aller acheter des disques en soldes avec le peu d'argent de poche dont je dispose (c'est toujours mieux que d'acheter des Nuts à la récrée - et de toute façon je préfère les Twix... qui d'ailleurs s'appellent encore les Raiders) et j'écoute sans la moindre distinction Nirvana, Guns'N'Roses, U2, Metallica, Iron Maiden... j'achète évidemment aussi tout ce qui se rapproche de près ou de loin du grunge, mais ces grands noms vus partout et totalement inconnus pour moi (on n'écoute pas du tout musique à la maison) m'attirent l'œil. Bientôt le rayon disques d'Intermarché sera trop petit (il finira d'ailleurs par ne plus exister - j'ignore si c'est à cause du téléchargement où bien si c'est parce que, devenus ados, nous tirions les disques au lieu de les acheter...).
Je ne peux plus écouter Veuillez rendre l'âme... de la même manière aujourd'hui car c'est un vestige de cette époque où, comme je ne connaissais rien, il n'en fallait pas beaucoup pour m'impressionner. Et pour m'impressionner celui-ci m'a vraiment impressionné. Estomaqué même. Je n'avais jamais rien entendu de si ténébreux, de si torturé, de si viscéral (terme que je ne connaissais évidemment pas à l'époque). Noir Désir je connaissais déjà, personne n'avait pu échapper à "Tostaky" et certainement pas les ados, même dans le trou de balle du monde. Mais Veuillez rendre l'âme..., que j'avais acheté pour cette évidente raison qu'il était vieux et coûtait bien moins cher... Veuillez rendre l'âme... c'était autre chose que ce truc qu'on matraquait en radio et que tous mes non-copains écoutaient. C'était baudelairien, tout le monde le disait - ce devait donc être vrai. C'était sombre, c'était profond.
Bien entendu "Les Ecorchés" était ma chanson préférée.
Veuillez rendre l'âme..., album au titre au demeurant assez ridicule et grandiloquent, m'a accompagné pendant de très nombreuses années avant d'être relégué en seconde division de ma discothèque. Non que je ne l'aime plus : en revanche cela fait quelques années maintenant que ce n'est plus mon disque préféré, place qu'il occupa durant presque toutes les années quatre-vingt-dix. Comprenez que je dois presque tout à cet album. Il m'a fait découvrir les trois quarts de ce que je vénère aujourd'hui ! Lautréamont et Maïakovski, qui sont loin d'être des auteurs éternellement rebattus, je ne les aurais peut-être découverts que bien plus tard (voire pas du tout) si Noir Désir ne les avait pas évoqués dans ses chansons. Le Gun Club et Nick Cave sont des artistes que je vénère et que, sans Noir Désir, je n'aurais pas connu de sitôt (et là aussi : peut-être pas du tout en ce qui concerne le Gun Club). Sans oublier les Doors, évidemment. Auxquels Veuillez rendre l'âme... constitue une porte d'entrée bien plus plus acceptable que le film de qui-vous-savez (ceci est évidemment un clin d'œil à Daniel). Il est possible qu'aucun album n'ait plus compté que celui-ci.
Et pourtant aujourd'hui il est devenu rare que je l'écoute. Certes, le fait que je le connaisse absolument par cœur y est sans doute pour beaucoup. Mais il reste paradoxal que Veuillez rendre l'âme... rencontre désormais si rarement ma platine alors que non seulement je ne suis pas (comme on le dit parfois pudiquement) "passé à autre chose" mais que bien au contraire je ne me suis jamais senti aussi proche de ce style de rock. C'est ce qui me frappe en l'entendant en ce moment. J'aime peut-être encore plus aujourd'hui qu'à l'époque "Le Fleuve", "What I Need" ou "La Chaleur". Je les comprends en plus de les aimer (ce n'était assurément pas le cas alors). Il est possible que les raisons de ce paradoxe soient profondes et inconscientes. Les évènements de Vilnius (le meurtre de Marie Trintignan, appelons-les choses par leur nom, on l'a bizarrement peu fait) n'y sont sans doute pas étrangers, quelque chose s'est brisé à ce moment-là et depuis lors, il est devenu extrêmement rare que je sorte un disque du groupe. Quelque chose s'est brisé : j'allais dire en moi, et c'est je crois assez révélateur. Rares sont les œuvres à être suffisamment marquantes pour qu'on puisse dire qu'elles font désormais partie intégrante de ce que nous sommes. Veuillez rendre l'âme... n'est pas mon disque préféré, je ne le considère pas comme le meilleur album de tous les temps et je ne l'écoute jamais. Et pourtant ce disque est plus proche de moi qu'aucun autre. C'est bizarre. Mais je trouve l'idée plutôt plaisante.
Trois autres disques pour découvrir Noir Désir :
Tostaky (1992)
Dies Irae (live / 1994)
Des Visages Des Figures (2001)
Ah oui ! Album au combien marquant pour moi aussi : et j'eus le bonheur de l'entendre sur scène à l'époque (un de mes tout premiers concerts, quelle claque !) Quoi que je pense du groupe par ailleurs (que je n'ai plus écouté à partir de "Tostaky"), je n'oublierai jamais ce disque (ainsi que le EP précédent et l'album suivant "Du ciment...") Et merci pour le clin d'oeil à Daniel !
RépondreSupprimerMerci ,Thomas, pour ce clin d'oeil qui me va droit au coeur , sincèrement .
RépondreSupprimerMerci également pour ce billet , très bon et très dense : Gun Club, Doors , Noir Désir de la grande époque , rapport aux albums chéris et jamais pus écoutés ... Voilà qui appelle un commentaire bien plus conséquent . A ce soir, donc ( ou à demain ).
Tu préfères les disques (un peu) underground plutôt que le mainstream 666.667 Club (que j'aime beaucoup). Il faudrait que je me plonge un peu dans la discographie de Noir Désir, parce que je les connais surtout par leur live (Dies Irae et En Public). Du coup je connais plein de chansons mais je suis incapable de les rapporter à une période donnée.
RépondreSupprimerC'était vraiment une belle chronique. Merci :)
RépondreSupprimerJe profite de ce bel article pour lancer une pétition, pour le retour de la rubrique-phare de ce blog. Un épisode tous les six mois, c'est trop peu. Les lecteurs n'en peuvent plus. Rendez-nous vos disques à vous !
RépondreSupprimerBBB.
Je siiiiiigne!!!!!!!!
RépondreSupprimerCordialement,
Guic.
Moi aussi.
RépondreSupprimerMarion Ameria, Mantes-la-Jolie, 0612543678.
:D
J-P >>> voir Noir Désir en 89/90, j'imagine le choc. Je les ai vus plusieurs fois, mais plus tard et plus stars. Cela dit c'était chaque fois très intense et très bien.
RépondreSupprimerDaniel >>> je t'attends, alors ;-)
Spiroid >>> je ne considère pas vraiment comme underground un album contenant un aussi gros tube qu'"Aux sombres héros" (et distribué par Barclay de surcroît). Je ne me suis jamais posé cette question, Noir Désir a été très connu très vite et l'était déjà quand je l'ai découvert. 666.667 Club est juste un album inégal, voire paresseux parfois. Mais je me moque un peu de son succès (d'ailleurs je lui préfère le suivant, qui en a eu encore plus ^^)
Kalys >>> merci.
Guic', BBB. & Marion >>> vous voici exhaussés, la rubrique reviendra régulièrement dans les mois qui me viennent, en alternance avec 10 Years After (qui d'ailleurs va peut-être disparaître, pour sa part. On verra).
aaaah... Mais c'est pas une raison de sacrifier 10 Years After...
RépondreSupprimerC'est juste que les MDAM... c'est emblématique, symbolique. C'est la critique de disque par delà la critique de disques... Quelque chose d'un peu plus fort qu'une simple critique, quelque chose qui est là pour nous rappeler que la musiqeu n'est pas comme les autres arts, qu'elle s'inscrit profondément dans nos vies, dans nos histoires personnelles...
Et surtout, c'est une des plus belles formes de blogging intelligent... La preuve qu'on peut parler de soi en étant interessant, la preuve qu'on peut parler de soi dans une critique de disque en restant ... interessant, crédible, sans sombrer dans le délire poético-nombriliste comme on en a lu trop souvent...
En fait, tu nous permets de nous rappeler que la passion qu'on a pour la musique, et pour les disques qui ont marqué notre vie n'ont pas toujours été choisis juste sur des critères objectifs, des critères de qualité, mais juste , souvent, sur des hasards de la vie...
Voilà, souvent, les MDAM c'est la critique qu'on aurait pas osé ou pas pu écrire. C'est pour ça qu'il en faut plus souvent...
Et le Ten Years After c'est sa nécessaire pondération, en fait. Le jugement objectif sur des disques que les hasards de la vie nous ont fait adorer à une époque, en fait.
Voilà.
Magnifique intervention de mon confrère.
RépondreSupprimerJe suis d'accord. A 100 %
BBB.
(Je ne cacherai pas qu'en l'écrivant, j'espérais récolter votre soutien)
RépondreSupprimerMerci, cher confrère.
(Mon Dieu, cela faisait bien un an au moins que nous n'avions pas eu l'occasion de nous appeler ainsi. Ce n'est qu'une raison supplémentaire de rendre à cette rubrique sa juste place)
C'est vrai. Je soupçonne d'ailleurs Thomas d'avoir tout fait, pour limiter nos angles d'analyse. Avouez que cela lui ressemblerait.
RépondreSupprimerBBB.
Non mais sans déconner, je suis flatté mais que voulez-vous que je réponde à tout ça ? :-)
RépondreSupprimerMoi aussi, je suis d'accord avec Guic' :)
RépondreSupprimerJamais pu piffer ce groupe, et c'est bien ce qui est terrible car je lis quand même un énorme article dessus (enfin est-il vraiment dessus?)
RépondreSupprimerKalys >>> ça y est, je pleure ^^
RépondreSupprimerSerious >>> probablement pas, non.
le disque pour découvrir noir désir, c'est le premier,sorti au siècle où n'existait encore que le vinyl, juste un peu après le premier gun club, une époque où il était possible de trouver des disquaires qui savait écouter du r'n'r(genre King Bee à Evreux - souvenir perso^^)
RépondreSupprimerallez, pour le fun(ha , le premier gun club, quelle baffe^^):
http://www.youtube.com/watch?v=EsXe1E7gfNE
http://www.youtube.com/watch?v=elgXiZ3w_wg
et un peu plus tard (from le lp miami):
http://www.youtube.com/watch?v=hvvGM3QhtOg
et tu vois, dans mother of earth, il y a une phrase gigantesque de lucidité:
RépondreSupprimer"I tried my best, but i could not"
c'est vraiment un texte magnifique, une espèce de testament de jlp
tiens, j'ai retrouvé ça aussi, grandiose
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=9WsvTN_FAlo
Oui mais là évidemment tu me prends par les sentiments. "Mother of Earth", effectivement un de ses plus beaux textes.
RépondreSupprimerPar contre "juste un peu après"... six ans après, quand même, mine de rien.
si tu te sens capable d'essayer de me dire ce qu'est le temps, je prends en considération ta dernière phrase^^
RépondreSupprimerUn truc qui fait mal aux articulations ? ;-))
RépondreSupprimerJuste pour pinailler (comme d'hab^^) : la phrase citée par GMC est certainement un clin d'oeil à "Tired eyes" de Neil Young ("He tried to do his best but he could not")
RépondreSupprimer@dahu
RépondreSupprimerpeut-être, mais c'est loin d'être certain; je ne connaissais pas ce titre de neil young, je viens de l'écouter et ce n'est pas évident qu'il y ait une connection avec jlp sur ce coup-là
@thomas
quelles articulations?^^
J'avoue que je n'ai pas d'avis sur cette question (sorties de leur contexte les phrases sont assez banales, alors les relier entre elles... en plus je ne sais pas du tout si Pierce était fan du Loner...)
RépondreSupprimerles punks de london,'76 reconnaissaient en ce folkeux de neil young le seul rocker à avoir une attitude décente dans ce merdier stéroïdé qu'était devenu la rock music à cette époque. mais, bon, ça n'a pas grande importance sur le fond.
RépondreSupprimerj'ai bien essayé de faire une lecture de la symbolique de ce morceau de neil, mais il ne m''excitait guère^^, donc j'ai laissé couler (lazyness, u know)
Bien sûr, ils étaient tous fan de Young. J'aimerais bien d'ailleurs en découvrir un qui le détesterait. Il est très consensuel, finalement, ce vieux Neil. Surtout chez ses pairs.
RépondreSupprimerneil young, ou comment rester jeune^^, genre la fontaine de jouvence électrifiée
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=WzJzDh9nOTg
"Goin' Home", tiens donc. Un vrai choix de connaisseur !
RépondreSupprimer"j'ai bien essayé de faire une lecture de la symbolique de ce morceau de neil, mais il ne m''excitait guère^^, donc j'ai laissé couler"
RépondreSupprimerAlors, je reprends, je m'esplique (m'apprendra à pas réfléchir quand je tape un commentaire^^) :
- le "certainement", valait mieux le remplacer par un "peut-être" ;)
- la symbolique, chépatro, les couplets de "Tired eyes" sont très crus et bruts de décoffrage (un deal de drogue qui tourne mal, le type qui se trouve contraint de buter les 4 types en face, sinon c'est lui qui y passe), mais il y a cet énigmatique refrain dont on ne sait pas trop à qui il s'adresse "Please take my advice / Open up the tired eyes" (...et : les "yeux las/fatigués" de qui ???)
- CECI DIT, ces dernières lignes chez JLP :
"I tried my best, but I could not / and my eyes fade from me / in this open country",
c'est vrai, aucun rapport avec
"He tried his best but he could not [...] Open up the tired eyes"
et en poussant un peu, avec
"See the sky about to rain / Signals curling on an open plain"
(dans la chanson du même nom sur "On the beach") (meuh non ch'uis pas têtu)...
- Ensuite, il y a tout de même plein de ponts discrets qu'on peut faire entre les images de "Mother of earth" et celles qui émaillent le doublé (de chefs d'oeuvre) "Tonight's the night" / "On the beach" du Loner.
- Pour finir : si le mec à la pedal steel sur le titre de Gun Club n'adore pas Ben Keith (et en particulier le splendide solo sur "Albuquerque"), moi ch'uis bonne soeur :D
Voilà voilà, vous me passez un coup de fil pour un futur colloque houblonné sur les textes du Loner, OK les mecs ? ;)
C'est un peu grave, quand même, ta pathologie :-)
RépondreSupprimer(c'est pas faux^^)
RépondreSupprimerdans les chansons qui causent, on trouve sans souci des correspondances comme un thème unique décliné en milliards de variantes toutes différentes
RépondreSupprimer"(...et:les "yeux fatigués" de qui???)" : alors ça, c'est une very excellente remarque, c'est le coeur même de ce qu'est la poésie: qui est le "je" (et aussi le "tu") ou qui sont ces "je" dont parle le poète?
c'est à l'endroit où se trouve la réponse que commence le pays de "j'ai lu tous les livres". en attendant ce jour, je ne puis que recommander cet excellent mode d'emploi:
ITHAQUE (Constantin Cavafis, 1911; trad M. Yourcenar)
Quand tu partiras pour Ithaque, souhaite que le chemin soit long, riche en péripéties et en expériences. Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes, ni la colère de Neptune. Tu ne verras rien de pareil sur ta route si tes pensées restent hautes, si ton corps et ton âme ne se laissent effleurer que par des émotions sans bassesse. Tu ne rencontreras ni les Lestrygons, ni les Cyclopes, ni le farouche Neptune, si tu ne les portes pas en toi-même, si ton cœur ne les dresse pas devant toi.
Souhaite que le chemin soit long, que nombreux soient les matins d'été, où (avec quelles délices !) tu pénètreras dans des ports vus pour la première fois. Fais escale à des comptoirs phéniciens, et acquiers de belles marchandises : nacre et corail, ambre et ébène, et mille sortes d'entêtants parfums. Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums. Visite de nombreuses cités égyptiennes, et instruis-toi avidement auprès de leurs sages.
Garde sans cesse Ithaque présente à ton esprit. Ton but final est d'y parvenir, mais n'écourte pas ton voyage : mieux vaut qu'il dure de longues années, et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse, riche de tout ce que tu as gagné en chemin, sans attendre qu'Ithaque t'enrichisse.
Ithaque t'a donné le beau voyage : sans elle, tu ne te serais pas mis en route. Elle n'a plus rien d'autre à te donner. Même si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t'a pas trompé. Sage comme tu l'es devenu à la suite de tant d'expériences, tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques.
nb: lire les sonnets de shakespeare vaut aussi le détour dans ce registre
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