...
Les années deux mille sont terminées. Finies. Mortes et enterrées. Ce n'est certes pas une surprise. Mais tout de même : en général, les décennies musicales survivent encore quelques mois, parfois même un an, avant de disparaître dans les limbes. Les années quatre-vingt-dix, par exemple, commencent évidemment en novembre 91, quand paraît Nevermind. Même s'il est sorti en décembre 1979, on ne peut décemment pas considérer London Calling comme un album des années quatre-vingt. Ou Let It Be comme classique des années soixante-dix. C'a la peau dure, une décennie. On enterre pas ses idoles comme ça. Du moins on ne les enterrait pas comme ça, dans le temps. C'est vrai que de nos jours, tout va plus vite. Trop.
Il n'est donc pas forcément étonnant que dès le second mois des années dix, on ait déjà vu tomber au champ d'honneur deux des plus grands songwriters d'une décade encore tiède. Deux gars à qui l'indie-folk (profitons-en, l'expression est amenée à disparaître) doit tant et qui viennent de se viander de belles (différentes) manières. Deux gars qui totalisent à eux deux un nombre impressionnant d'albums indispensables et de chansons fabuleuses. Deux hommes-orchestres, têtes pensantes de leurs projets respectifs, que l'on qualifia autrefois de génies et que l'on écoute aujourd'hui avec l'embarras de ceux qui y ont cru, à une époque. A ma gauche : Sam "Iron & amp;Wine" Beam, trente-six ans, auteur du chef-d'œuvre Our Endless Numbered Days (2004) et de l'impérissable The Shepherd's Dog (2007) ; à ma droite : Conor "Bright Eyes" Oberst, trente-et-un ans, auteur de l'étincelant Cassadaga (2007) et du merveilleux I'm Wide Awake, It's Morning (2005). A ma gauche : un album surproduit ; à ma droite : un album surproduit. Au milieu : deux manières héroïques de rejoindre la club pas du tout fermé des grands qui subitement deviennent tout petits.
C'est sans aucun doute chez Iron & Wine que la rupture de ce contrat tacite liant artiste et auditeur est la plus violente. C'est aussi, sans doute, celle des deux qui est la moins grave. Violente, elle l'est parce que Sam Beam était jusqu'ici irréprochable, auréolé de trois albums différents mais impeccables, et d'une poignée d'EPs parfois sidérants de beauté, tels Woman King (ah... "Jezebel"...) ou le magnifique In the Reins, avec Calexico. Violente aussi parce que le moins qu'on puisse dire est que le "groupe" opère un changement de direction musicale des plus radicaux, passant d'une folk psychédélique fascinante en 2007 à une espèce de gloubiboulga pop-world assez indigeste, lorsqu'il n'est pas très kitsch ("Rabbit Will Run" fait tout de même penser, excusez du peu, à Peter Gabriel). Le maître de l'épure vient de se découvrir une passion pour le lyrisme emphatique ("Godless Brothers in Love"), les arrangements grandiloquents et une pop parfois nettement cheesy... il y a de quoi avoir peur. D'ailleurs, à la première écoute, Kiss Each Other Clean fait peur. Rien que son titre et sa pochette, déjà, sont moyennement rassurants. Mais cette rupture n'est pas forcément la plus grave, disions-nous, parce que même si Benjamin n'a pas forcément tort de cogner dessus comme un sourd, on ne peut pas nier que l'album fonctionne malgré tout. (malgré nous ?) Dans un registre très discutable, qui n'est pas forcément la came de l'auteur de ces lignes. Mais on ne peut pas dire sans une pointe de mauvaise foi que les chansons que renferme Kiss Each Other Clean soient réellement mauvaises. Et on ne peut reprocher à Beam d'avoir manqué d'ambition, même si cette ambition l'a amené dans des territoires aux antipodes de ceux que l'on adorait le voir fouler.
Le cas du sieur Oberst est donc à la fois plus grave et moins surprenant. A force de s'éparpiller dans tellement de projets que l'on n'arrive plus depuis longtemps à les compter, faisant passer des gens comme Beck ou Ryan Adams pour des ascètes, il était en effet prévisible qu'un jour ou l'autre, l'auteur de l'imparable "Cap Canaveral" finirait par faire atterrir sa navette spatiale au milieu d'un champ de ruines. Ou dans la flotte qui compose notre belle planète à hauteur de 76 % (ce sont des choses qui arrivent quand on part dans toutes les directions). L'amerrissage est cependant des plus brutaux, surtout si l'on considère que bon an mal an, le kid d'Omaha a toujours su sauver ses plus mauvais albums du naufrage en se fendant d'un ou deux titres majestueux. Il n'y a franchement pas grand-chose à repêcher sur ce People's Key pourri de synthés moches et évoquant parfois... U2. Certains titres comme "She Shell Games" ou "Triple Spiral" tiennent à peu près debout, mais même sur ceux- là on ne peut que déplorer une production tellement FM que l'on hésite presque à y voir un exercice de style. Pour être honnête, ce sont les mauvaises chansons qui ont tendance à entraîner les bonnes vers le bas plutôt que l'inverse. C'est dire si un truc comme "Jejune Stars" est mauvais - il faut se pincer pour croire que le même gars se réincarnait en Dylan il y a à peine quatre ans.
Alors oui, les années deux mille sont belles et bien terminées. Et ces deux albums que l'on imaginait il y a peu marquer le premier trimestre 2011 de faire respectivement "oups" et "flop". Le bon côté des choses, c'est que les classements de fin d'année laisseront du coup de la place pour les nouvelles têtes. Il y a au moins deux postes à pourvoir à la table des grands de l'indie-folk. Manquent plus que les candidats.
Kiss Each Other Clean, d'Iron & Wine (2011)
The People's Key, de Bright Eyes (2011)
Les années deux mille sont terminées. Finies. Mortes et enterrées. Ce n'est certes pas une surprise. Mais tout de même : en général, les décennies musicales survivent encore quelques mois, parfois même un an, avant de disparaître dans les limbes. Les années quatre-vingt-dix, par exemple, commencent évidemment en novembre 91, quand paraît Nevermind. Même s'il est sorti en décembre 1979, on ne peut décemment pas considérer London Calling comme un album des années quatre-vingt. Ou Let It Be comme classique des années soixante-dix. C'a la peau dure, une décennie. On enterre pas ses idoles comme ça. Du moins on ne les enterrait pas comme ça, dans le temps. C'est vrai que de nos jours, tout va plus vite. Trop.
Il n'est donc pas forcément étonnant que dès le second mois des années dix, on ait déjà vu tomber au champ d'honneur deux des plus grands songwriters d'une décade encore tiède. Deux gars à qui l'indie-folk (profitons-en, l'expression est amenée à disparaître) doit tant et qui viennent de se viander de belles (différentes) manières. Deux gars qui totalisent à eux deux un nombre impressionnant d'albums indispensables et de chansons fabuleuses. Deux hommes-orchestres, têtes pensantes de leurs projets respectifs, que l'on qualifia autrefois de génies et que l'on écoute aujourd'hui avec l'embarras de ceux qui y ont cru, à une époque. A ma gauche : Sam "Iron & amp;Wine" Beam, trente-six ans, auteur du chef-d'œuvre Our Endless Numbered Days (2004) et de l'impérissable The Shepherd's Dog (2007) ; à ma droite : Conor "Bright Eyes" Oberst, trente-et-un ans, auteur de l'étincelant Cassadaga (2007) et du merveilleux I'm Wide Awake, It's Morning (2005). A ma gauche : un album surproduit ; à ma droite : un album surproduit. Au milieu : deux manières héroïques de rejoindre la club pas du tout fermé des grands qui subitement deviennent tout petits.
C'est sans aucun doute chez Iron & Wine que la rupture de ce contrat tacite liant artiste et auditeur est la plus violente. C'est aussi, sans doute, celle des deux qui est la moins grave. Violente, elle l'est parce que Sam Beam était jusqu'ici irréprochable, auréolé de trois albums différents mais impeccables, et d'une poignée d'EPs parfois sidérants de beauté, tels Woman King (ah... "Jezebel"...) ou le magnifique In the Reins, avec Calexico. Violente aussi parce que le moins qu'on puisse dire est que le "groupe" opère un changement de direction musicale des plus radicaux, passant d'une folk psychédélique fascinante en 2007 à une espèce de gloubiboulga pop-world assez indigeste, lorsqu'il n'est pas très kitsch ("Rabbit Will Run" fait tout de même penser, excusez du peu, à Peter Gabriel). Le maître de l'épure vient de se découvrir une passion pour le lyrisme emphatique ("Godless Brothers in Love"), les arrangements grandiloquents et une pop parfois nettement cheesy... il y a de quoi avoir peur. D'ailleurs, à la première écoute, Kiss Each Other Clean fait peur. Rien que son titre et sa pochette, déjà, sont moyennement rassurants. Mais cette rupture n'est pas forcément la plus grave, disions-nous, parce que même si Benjamin n'a pas forcément tort de cogner dessus comme un sourd, on ne peut pas nier que l'album fonctionne malgré tout. (malgré nous ?) Dans un registre très discutable, qui n'est pas forcément la came de l'auteur de ces lignes. Mais on ne peut pas dire sans une pointe de mauvaise foi que les chansons que renferme Kiss Each Other Clean soient réellement mauvaises. Et on ne peut reprocher à Beam d'avoir manqué d'ambition, même si cette ambition l'a amené dans des territoires aux antipodes de ceux que l'on adorait le voir fouler.
Le cas du sieur Oberst est donc à la fois plus grave et moins surprenant. A force de s'éparpiller dans tellement de projets que l'on n'arrive plus depuis longtemps à les compter, faisant passer des gens comme Beck ou Ryan Adams pour des ascètes, il était en effet prévisible qu'un jour ou l'autre, l'auteur de l'imparable "Cap Canaveral" finirait par faire atterrir sa navette spatiale au milieu d'un champ de ruines. Ou dans la flotte qui compose notre belle planète à hauteur de 76 % (ce sont des choses qui arrivent quand on part dans toutes les directions). L'amerrissage est cependant des plus brutaux, surtout si l'on considère que bon an mal an, le kid d'Omaha a toujours su sauver ses plus mauvais albums du naufrage en se fendant d'un ou deux titres majestueux. Il n'y a franchement pas grand-chose à repêcher sur ce People's Key pourri de synthés moches et évoquant parfois... U2. Certains titres comme "She Shell Games" ou "Triple Spiral" tiennent à peu près debout, mais même sur ceux- là on ne peut que déplorer une production tellement FM que l'on hésite presque à y voir un exercice de style. Pour être honnête, ce sont les mauvaises chansons qui ont tendance à entraîner les bonnes vers le bas plutôt que l'inverse. C'est dire si un truc comme "Jejune Stars" est mauvais - il faut se pincer pour croire que le même gars se réincarnait en Dylan il y a à peine quatre ans.
Alors oui, les années deux mille sont belles et bien terminées. Et ces deux albums que l'on imaginait il y a peu marquer le premier trimestre 2011 de faire respectivement "oups" et "flop". Le bon côté des choses, c'est que les classements de fin d'année laisseront du coup de la place pour les nouvelles têtes. Il y a au moins deux postes à pourvoir à la table des grands de l'indie-folk. Manquent plus que les candidats.
Kiss Each Other Clean, d'Iron & Wine (2011)
The People's Key, de Bright Eyes (2011)
Chez moi, ils ont fait "plouf" et "plouf".
RépondreSupprimerPour moi le Bright Eyes se laisse quand même plus écouté que l'Iron & Wine.
RépondreSupprimerPas encore écouté le Bright Eyes. Mais ce que j'aime bien chez U2, c'est que la simple évocation de son nom suffit à faire comprendre au lecteur: "Ah ouais, c'est bien naze quand même..."
RépondreSupprimerAh ah, c'est vrai ce que dit Spiroid. U2 ou le repoussoir absolu. En plus dans un article où tu as déjà cité Peter Gabriel ! Aucune chance que j'écoute ces disques du coup :D
RépondreSupprimermême pas écouté le conor obest, le I&W j'ai ressayé mais toujours sans enthousiasme.
RépondreSupprimerc'est ennuyeux tout de même que pour la 3e année consécutive les "gros" et/ou "grands" sortent des albums parmi leurs plus faibles (le pj harvey n'est que cool, venant d'elle c'est pas grand chose), voire faibles tout court.
je sais pas, qu'ils se fassent une cure de baile funk, qu'ils s'enferment dans une grotte loin des clubs de brooklyn pendant 1 an, peut-être qu'ils referont des trucs inspirés...
Comme tu le dis, les chansons de "Kiss each other clean" ne sont pas si mauvaises, surtout si on arrive à les déshabiller. C'est quand même une curiosité, à l'écoute, on repère immédiatement le déguisement qui fait horreur. Ce qui implique que dessous, il y a quelque chose…
RépondreSupprimerEn tout cas, j'espère ! Tout comme je prie pour que ses concerts soient dépouillés.
Quant au Bright eyes, on a l'impression que c'est depuis que la hype-nouveau-dylan qu'il change de nom à chaque projet dans lesquels il s'acharne à déjouer les attentes. J'avoue que je n'ai écouté que quelques chansons de ce nouvel album, bien refroidi par les expériences précédentes (le 2ème sous son nom et l'autre machin "folk" dont j'ai oublié le nom).
Thierry >>> ton DD externe est tombé dans le bain des enfants ? :-D
RépondreSupprimerEmily PLAY >>> écoutable ? Ah mais oui, c'est écoutable, en se bouchant le nez et en fermant les yeux.
Spiroid & Serious >>> oui, je crois qu'on tient là le plus beau coup double de ma carrière ^^
Arbobo >>> en même temps les plus grands artistes de la pop ont tous eu une bonne panne d'inspiration vers 35/40. Ce n'est sans doute que passager (sauf pour Oberst, puisqu'il n'a que 30 ans je crois...)
Fabrice >>> bah en fait la quasi totalités de ses "groupes" (Commander Venus, Park Ave., Desaparecidos... euh, j'en oublie un je pense, mais j'ai la flemme de chercher) remonte aux années 90, si je ne m'abuse. Cela dit tu as sans doute raison ; de toute façon le genre d'appellation stupide de type "nouveau Dylan", c'est un coup à ne jamais t'en remettre, non ?...
Je n'ai pas trop de souvenir d'Outer Source, il n'était pas sympa ? Par contre Monsters of Folk... zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz.
Et puisqu'on en parle, je recommande tout de même, pour ceux qui auraient le malheur de découvrir Bright Eyes aujourd'hui, de choper les albums homemade que ledit Oberst enregistrait pendant son adolescence (Water, Here's to Special Treatment et The Soundtrack of My Movie), de véritables merveilles lo/fi avec par instants d'immenses chansons folk qui s'immiscent à l'intérieur... c'est seulement le jour où j'ai entendu ces trucs, dont le premier enregistré à 13 ans je crois, que j'ai compris pourquoi tout le monde disait qu'Oberst était un génie...
Dieu merci, ce n'était qu'une clé USB :-)
RépondreSupprimerDécidemment... je retourne à mes UK Subs...
RépondreSupprimerMais qu'est-ce qu'ils viennent faire là-dedans ?...
RépondreSupprimerTBT/UBT
RépondreSupprimerDeux mille années sont un clin d'oeil
L'immensité d'un battement de cil
Un regard porté sur une vague
En équilibre au sommet d'une comète
Faubourg du Royaume-Uni
Des guitares peignent
Des volutes d'ups & downs
High voltage sans black shades
Tandis que sur la plaine
Les enfants du Mystery Train
Dégomment des montagnes russes
Et des abysses flamboyants
c'est à propos de ma diatribe récente contre les albums surproduits actuels, d'où mon irrésistible envie de revenir à des choses brutes, comme le punk...
RépondreSupprimerTu ajoutes deux albums supplémentaires (que je n'ai pas écouté d'ailleurs) à la longue liste des boursoufleries de la décennie...
Dit le mec qui a aimé le dernier Mercury Rev :-)
RépondreSupprimerenfoiré :)
RépondreSupprimerc'est très vrai, tu aurais d'ailleurs pu y rajouter le dernier Ghinzu et pourquoi pas le dernier Tiersen, qui n'est quand meme pas très proche des Sex Pistols....
je sais que mon "coup de gueule" peut très facilement etre critiqué, mais malgré tout il y a une tendance générale de plus en plus forte qui lasse nombre d'entre nous (cf les derniers articles de Guic, Klak, le doc ou celui ci)...
Le dernier Tiersen, c'est quand même le type de "surcharge". Ce n'est pas "pompier" comme les autres disques que tu cites...
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