dimanche 13 février 2011

Auryn - Mort aux lignes droites

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Le premier album d’Auryn paraît un quatorze février et ce ne peut être un hasard. Au cœur de l’hiver, bien sûr, ce qui n’est jamais que la moindre des choses pour un disque intitulé Winter Hopes. Mais aussi le jour de l’année où l’on ne sait vraiment jamais, mais alors jamais quoi écouter. Peut-être ne fêtez-vous pas la Saint-Valentin ; votre serviteur doit reconnaître que c’est l’une des rares « fêtes » qu’il célèbre avec un plaisir sincère, et il peut donc vous affirmer qu’en composer la playlist peut régulièrement s’avérer un calvaire. Parce qu’il est sympa dix minutes, le Blue Valentines de Tom Waits, mais c’est tout de même le meilleur moyen de finir la soirée sur une rupture (ce qui n’empêche certes pas la chanson éponyme d’être l’une des plus belles de l’univers). Auryn vient de régler le problème pour l’édition 2011 : on mettra son disque, il s’y prête à ravir, entre son ouverture à la Elysian Fields ("Between You and Me") et sa pop souvent évanescente, sans pour autant être niaiseuse.

On rencontre la jeune belge (oui, encore) dans un café du premier arrondissement, souriante, ravissante, loquace, et l’on est frappé par la maturité qui s’en dégage alors qu’elle ne doit guère avoir plus de vingt-six ans (à vu de nez bien sûr, on ne demande pas leur âge aux dames. Ni aux demoiselles). Maturité n’est d’ailleurs sans doute pas le mot exact ; disons que la première chose que l’on relève en discutant avec elle, c’est une sensation de confiance en elle, artistiquement parlant à tout le monde. Qu’Auryn sait ce qu’elle fait et ce qu’elle veut. Nulle trace de cette humilité excessive (sinon caricaturale) que l’on rencontre trop souvent chez les artistes venant présenter leur premier album – ce côté « je m’excuse de demander pardon parce que je ne peux pas m’excuser d’exister. » Il est vrai que Winter Hopes est déjà sorti depuis presque un an en Belgique, où il a été plutôt bien accueilli (« J’ai eu la chance qu’il n’y ait pas eu beaucoup de femmes pour l’instant, dans ce genre en Belgique… il y a surtout des groupes de mecs, ç’a facilité la visibilité dans mon cas, je crois. », dit-elle simplement). Pour la confiance, ça aide. Si Auryn rit autant qu’elle parle (et elle parle beaucoup), sa voix est toujours sûre et posée. Comme sur disque, donc.

winterhopes

L’exercice est facile et à la limite de la psychologie de comptoir, mais il est difficile de résister à la tentation de rapprocher sommairement la demoiselle et son œuvre. Quand Auryn vous énumère toutes les disciplines qu’elle a pratiquées dans sa vie (violoncelle dès huit ans, claquettes, flamenco, escrime, acrobaties…), l’éclectisme de l’album prend tout son sens, qui vogue de choses très pop, presque twee ("Not Into Love"), en ambiances plus feutrées, avec même un morceau quasi ska ("Prince aux cheveux d’or") en son milieu. « J’aime tellement de choses… je viens du classique, puis j’ai découvert les Beatles, Jeff Buckley, les Pixies… des groupes comme Mr Bungle… il y a tellement de trucs différents… parce qu’en fait mon truc c’est que j’ai jamais vraiment été fidèle, en musique, j’ai jamais vénéré un artiste en particulier. Il y a des morceaux de Björk que je trouve grandioses mais il y a certains albums qui me font chier, des trucs que je peux même pas entendre. J’ai comme un panier d’influences et de morceaux dans lequel je pioche. » Bizarrement, le résultat, qui pourrait partir dans tous les sens, est en fait assez cohérent, et l’on passe donc sans trop de difficultés de "Prince aux cheveux d’or" à, juste après, "Broken Dreams", qui sur le papier en est pourtant presque l’inverse (anglophone, minimaliste et lyrique). « Moi je ne m’en rendais pas compte, pour moi chaque morceau fait partie de ma personnalité. C’est en voyant le public que je me suis aperçue que du coup ça touchait tout un éventail de gens, des enfants aux post-ados en casquette, hommes, fans, c’est… c’est très étrange, en fait. » Et les chats ? « Mais oui, bien sûr, mes quatre chats sont mes premiers fans (rires) » On en plaisante, mais ce côté éclaté est évidemment la première qualité d’un disque dont on a beaucoup de mal à se lasser, malgré quelques morceaux un peu en-deçà ("Here Come", par exemple, dont la montée en puissance sonne beaucoup trop U2 pour être honnête). Le refus de choisir entre français et anglais, la variété des climats, la diversité des arrangements… Winter Hopes refuse le calibrage, léché mais pas lisse, et aspire à exister sur la durée. « J’ai l’impression que c’est comme un tableau. Déjà j’ai pris chaque morceau séparément, je me suis focalisée dessus pour essayer de sentir de quoi chacun avait besoin. Mon compagnon lui est très fort pour tout ce qui concerne les textures de son, il y a plein de morceaux où je lui ai demandé d’amener telle improvisation sonore en couche, ou bien je créais des sons avec ma voix qu’on retravaillait pour créer des textures un peu fantômes… moi je considère que plus il y a de couches dans un morceaux, moins vite tu t’en lasses. Comme un voyage physique du son »


On écoute en feuilletant sagement la pochette de l’album (qu’on ne trouve pas très jolie, mais on ne le dira pas parce qu’on est très poli) et c’est alors que le hasard – mais peut-être était-ce le destin ? – fait jaillir de la page des remerciements le nom de Troy von Balthazar. Encore lui ? Encore lui, chers lecteurs, et n’allez pas y voir une technique vicieuse visant à nous permettre de vous répéter que How to Live on Nothing est un des plus beaux albums de l’année passée (même si c’est vrai). La vérité vraie, c’est que Troy nous poursuit depuis des mois, et a pris l’étrange habitude de réapparaître subrepticement au milieu de nos entretiens. C’est quand même pas de bol : tout le monde semble connaître Troy, sauf le public. « En fait il m’a offert mon premier concert. Il a découvert ma musique sur Myspace, on s’est rencontré… et vu que c’est un fou subitement son manager m’appelle et me dit qu’il veut que je fasse sa première partie à Bruxelles au Botanique, alors qu’il ne m’avait jamais vue sur scène et ne savait même pas si je savais jouer… j’avais jamais fait de concert sous mon nom, tu imagines la flippe. Je suis arrivée en robe de mariée, je sais pas pourquoi, je ressemblais à une meringue et j’étais complètement terrorisée (rires). Mais bon, ça n’a pas été vain puisque mon producteur était dans la salle ce soir-là. » Accidents heureux et hasards amusants, en somme. L’histoire a beau être connue, elle persiste à fasciner tout un chacun. « Au départ j’avais juste envie de jouer, de chanter… d’abord pour moi, avec sans doute un côté assez thérapeutique, j’écrivais des morceaux sans queue ni tête, sans structures, j’étais à mille lieux de ce qu’était un single ou ce genre de chose. Jusqu’au jour où on te propose de faire un petit concert, puis ce concert amène un autre concert, il y a les voisins qui viennent, puis les amis des voisins, et finalement tu te retrouves dans une salle à jouer devant des inconnus, qui apprécient… et ainsi de suite » Et voilà donc Auryn signé sur AT-Music, label débutant où elle se sent, de toute évidence, à l’aise. « Je suis leur première artiste musicale, en fait – c’est une production de films à la base. Donc je n’ai pas du tout eu toute la pression, les directives… y a pas eu le truc où je suis la cinquante-et-unième du mois et où il faut que ça cartonne tout de suite. » Pour l’anecdote, la jeune femme goûtera modérément (mais en riant, tout de même) notre fameuse métaphore du gros poisson dans un aquarium plutôt que le poisson rouge dans l’océan. Il est vrai qu’elle était assez maladroite, et encore m’étais-je gardé d’utiliser l’image habituelle du cachalot.

C’est donc sur un sourire que nous nous séparons, non sans s’être trouvé au passage quelques points communs surprenant, tant dans nos activités paramusicales1 que dans certain trait de caractère. « Je m’emmerde super vite (rires). J’adore avoir un ou deux jours de congés où je ne fais rien… mais le reste du temps j’aime ouvrir mon agenda et que ce soit NOIR. J’adore aller au bout de l’épuisement et finir par m’effondrer sur mon canapé. » Nul doute qu’avec la parution française de l’album, la tournée qui ne manquera pas de suivre et les sollicitations que tout cela entraînera inévitablement… nul doute que l’agenda d’Auryn devrait être bien rempli dans les mois à venir. On lui souhaite une to do list longue comme le bras. Dans le fond, ce n’est jamais qu’une jolie marque de réussite.


Winter Hopes, d'Auryn (AT-Music/Anticraft, 2011)



1. Hasard amusant, nous travaillions sans le savoir pour la même compagnie, à des échelles différentes quoique complémentaires.

Crédit photo : Yasmina Baggili & FB de l’artiste.