samedi 5 février 2011

Bertrand Pierre, maître du contrepied

...
Vous vous rappelez sans doute cet adage que je vous confiais il y a quelques semaines, à l’occasion du dernier concert parisien de l’excellent Tallest Man On Earth : les meilleurs concerts ne sont pas forcément ceux à propos desquels on a le plus de choses à dire. Eh bien nous y sommes : lundi soir dernier, Bertrand Pierre nous a offert un très bon concert, tellement très bon qu’il n’est pas grand-chose à en dire. Le répertoire était très bon (et ça, ce n’était pas même une surprise), le chanteur très bon et très sympathique (non plus), la salle (Le Petit Hébertot) très agréable, le son d’une belle qualité (alors que les concerts dans les théâtres, en général…) Voilà chers lecteurs, désolé d’avoir empiété sur votre week-end – belle journée à vous.

Bon, bon… en y réfléchissant, il y aurait sans doute quelques petites choses à dire, sur la séduction scénique de Bertrand ou sur l’évident ré-haussement du répertoire à l’occasion de son passage à la moulinette live. La qualité des deux musiciens (François Pierre Fol et Ihab Radan, nommons-les, ils le méritent vraiment) et l’évidente complicité unissant le trio n’y est sans doute pas pour rien, qui aboutit à une prestation remarquable et encore plus riche (c’était donc possible) que ce à quoi l’on s’attendait. Mais ce sont bizarrement le son (notamment la voix, très en avant) et l’interprétation délibérément plus rentre-dedans qui amènent à considérer différemment des titres que l’on connaissait déjà pour la plupart. L’absence de la production pour le moins luxuriante de l’album, probablement, dont on avait déjà noté qu’elle avait parfois tendance à presque faire oublier Victor Hugo (ce qui peut-être vu comme sa grande force ou sa grande faiblesse selon l’endroit où l’on se place et les attentes que l’on nourrit). Ici, curieusement et alors qu’il s’agit d’un moment parfaitement éphémère, on apprécie beaucoup plus les mots, le langage, et l’on comprend mieux ce que Bertrand nous expliquait au sujet de la fluidité mélodique de cette poésie. Effectivement, à l’entendre ainsi, on a parfois le sentiment que Hugo était le plus grand pop singer de son époque, tant tout semble couler de source, quel que soit l’angle adopté : effluves jazzy, feulement bluesy, embardées psychédéliques ou orientalisantes… l’auteur romantique ultime paraît accommodable à toutes les sauces, et l’on ne laisse d’être frappé par des mots qui percutent, épatants de simplicité élégante, sinon de pureté ("Que veux-tu que je devienne ?", aka "Je respire où tu palpites"…, étant l’exemple le plus parlant, c’est d’ailleurs sans conteste le meilleur morceau de l’album – à tout le moins celui où le mélange opère le plus parfaitement).

À noter avant de conclure la présence ce soir de Saul Williams, en guise d’ultime contre-pied de la part d’un spécialiste du genre. A peu près la dernière personne au monde qu’on s’attendait à voir ici, pour ce qui aura probablement été le duo le plus incongru de l’année (mais tout à fait réussi et plein de bonne humeur, qui mariait une "Jeanne" déjà fort belle à l’inoxydable "Fearless"). Le public d’ailleurs, à en juger par sa non-réaction absolue à l’évocation du nom du performer, ne semble pas tout à fait conscient d’avoir en face de lui l’auteur d’un des plus grands disques des quinze dernières années (Amethyst Rock Star, pour ne pas le nommer). Pour le reste, il n’y a, on vous l’a dit… rien à dire. Ah si, tout de même : en partant, on croisera un étrange spectateur considérant que scéniquement, ça ne le faisait pas. Ah. Sans doute attendait-il des costumes, des confettis et une statue de Victor Hugo au centre de la scène. Pour nous, ça le faisait à merveille. Vous n’avez donc aucune bonne raison pour ne pas y aller jeter une oreille, Bertrand Pierre et ses camarades remettant ça encore à deux reprises, même endroit même heure, les 21 février et 28 mars.