jeudi 18 novembre 2010

Oasis - Requiem pour deux cons


[Article paru cet été sur Interlignage] Si le degré de rock’n'roll attitude se mesurait au capital antipathie des musiciens, Oasis aurait sans doute été le groupe le plus rock’n'roll de tous les temps. A défaut, il aura assurément été le plus critiqué, haï, conspué, détesté, conchié de sa génération – ce qui constitue somme toute un bel hommage. Essayez si vous ne me croyez pas : il est quasiment impossible de trouver un juste milieu pour l’évoquer. Prononcez le nom d’un des frères Gallagher dans une soirée entre gens de bon goût ; immédiatement, la pièce sera divisée en deux et les gens s’invectiveront, gentiment mais fermement. Les Caïn et Abel de la banlieue de Manchester sont probablement les seuls rockers dont n’importe qui commencera par vous dire qu’ils sont des connards avant même de citer une seule de leur chanson.

La vérité c’est qu’Oasis, plus qu’aucun autre groupe de l’époque britpop, a su aspirer sur lui tout ce qui fait la légende (ou les clichés) du rock’n'roll, dans une époque encore plus en dèche de glamour que d’icônes. Coincés entre les anti-idoles du grunge (des mecs sans look, sans attitude et sans sourire), et l’explosion de la french touch (cette musique sans visage (1)), ils furent en quelque sorte – et sans doute à leur corps défendant – les derniers dinosaures du rock. Avec tout ce que cela sous-entend d’excès, de démesure… de bêtise, aussi, souvent. C’était avant le Net, la crise du disque et la blogosphère musicale. Dans une époque bizarre, absurde par bien des aspects, où un groupe pouvait encore devenir énorme en l’espace de trois semaines, partir à la conquête de la planète, connaître la Gloire, la Décadence, et choquer les parents du monde entier. « Non mais tu te rends compte ? Ils insultent le public ! Ils boivent ! Ils se droguent ! Ils se battent ! » Si vous avez moins de dix-huit ans vous ignorez fort probablement que cela est possible. Tout simplement parce que cela n’existe plus aujourd’hui. Il est probable que plus aucun groupe de rock (avec ou sans roll, indépendant ou vendu aux majors), jamais, n’atteigne le degré de popularité proprement démentiel qui était celui d’Oasis dans les années 94-97. Usée jusqu’à la corde à l’époque, la comparaison avec la beatlesmania a ceci d’approprié que l’oasismania boucla la boucle entamée en 1963 en en proposant un remake outrancier, vulgaire, revisité par le punk et deux décennies de douloureuse conversion du Royaume-Uni à la loi du marché (2). Rien d’étonnant venant d’un groupe décidément larger than life, jusque dans son improbable pérennité – dix-neuf ans ! alors que tout le monde les voyait splitter au bout de deux albums...

La recette n’avait rien de nouveau, mais elle était imparable. Il est étonnant de trouver encore aujourd’hui des gens pour s’étonner du succès de ce groupe, alors que le pourquoi Oasis a toujours été limpide. Niveau imagerie : deux prolos destinés à devenir des working class heroes, de la sueur, du sang, de la bière, des engueulades à n’en plus finir, de la coke évidemment, des saillies ponctuées de fuck et une fâcheuse propension à être incontrôlables. Niveau musique : une voix braillarde et en apesanteur, de bons riffs et des mélodies pour certaines imparables, morveuses, désinvoltes… flamboyantes. Vous mélangez le tout, vous vous retrouvez avec la classe rock’n'roll par excellence. Flanqué d’un bon manager (et cette vieille fripouille d’Alan McGee n’était pas le plus mauvais (3)), la mayonnaise ne pouvait que prendre. Et elle prit ! Dans des proportions que probablement aucun des protagonistes n’avait réellement envisagées.

Sans doute Oasis fut-il surestimé par la presse, à l’époque encore toute puissante (je sais les enfants, je vous parle vraiment d’un monde étrange et lointain… pensez donc : il y avait encore des CDs !). Sans doute faire d’Oasis les sauveurs du rock fut-il excessif. Il n’empêche qu’il y avait bien quelque chose, et qu’ils étaient au moins les sauveurs d’une certaine rock’n'roll attitude déjà en voie de disparition à l’époque. Et puis bien sûr, il y avait ces morceaux dont les seuls titres en faisaient des hymnes avant même qu’ait retenti la première note : "Supersonic", "Shakermaker", "Live Forever", "Cigarettes & Alcohol", "Some Might Say", "Roll with It"… Hormis quelques immenses (les Beatles, les Kinks, les Who), rares sont les groupes à pouvoir se targuer d’avoir enquillé autant de singles monstrueux en aussi peu de temps (moins d’un an et demi).


Ces monuments de l’histoire du rock sont évidemment présents dans la compile-requiem parue cet été (4). Au côté d’autres titres d’autres époques, pas forcément mauvais mais moins historiques – le fait d’être ou non un « single historique » ayant dans le fond peu à voir avec la musique elle-même.

Le tout est présenté dans un joyeux désordre visant sans doute à remettre les choses à niveau, ce qui ne suffira certainement pas à nous faire prendre l’atroce "Stand by Me" pour autre chose qu’un slow dégoulinant dont même Bryan Adams ne voudrait pas. En fait, Time Flies souffre du fait qu’Oasis s’est mis assez subitement à plutôt mal choisir ses singles (à quelques exceptions près comme l’excellent "The Hindu Times"), ce qui fait que l’on se retrouve aujourd’hui avec des choses comme "Little by Little" ou "Strop Crying Your Heart Out" en lieu et place de titres autrement plus majestueux (au hasard : "Mucky Fingers", "Bag It up", "The Turning"… pour uniquement piocher dans l’époque récente). De fait, comme on pouvait s’y attendre, c’est le troisième CD, live, qui recèle les meilleurs moments de cette copieuse compile. Oasis était rarement doué dans l’exercice, mais lorsqu’il réussissait, ce n’était pas pour de rire. La preuve par seize titres teigneux au possible, certes pas à la hauteur de l’excellent live Familiar to Millions, mais tout à fait puissants et racés. Et qui compensent au passage quelques oublis pour cause de non-parution en single… non, parce qu’on veut bien être tolérant et bienveillant, mais certainement pas au point d’accepter une compile d’Oasis sans "Rock'n'roll Star", son meilleur titre – voire le meilleur morceau de toutes les années 90.


👍👍 Time Flies… 1994-2009 
Oasis | Big Brother Recordings, 2010


1. C’est bien évidemment par charité chrétienne que nous oublierons Thom Yorke, rock’n'roll comme un pot-de-chambre.
2. Oasis n’a bien entendu jamais été un groupe de dangereux gauchistes, il était même plutôt apolitique… mais son histoire – comme celle de la scène de Manchester en générale – n’en demeure pas moins intimement liée à celle, plus vaste, de la working class britannique.
3. Rappelons qu’il avait déniché auparavant rien moins que My Bloody Valentine, The Jesus & Mary Chain et les Boo-Radleys.
4. Exceptions notables : "Champagne Supernova" (jamais sortie en single au Royaume-Uni, mais néanmoins présente sur le CD live), et "Where Dit It All Go Wrong?", sans doute inappropriée désormais.

36 commentaires:

  1. Je trouve que ce qui a fait aussi d'Oasis un groupe important à l'époque, c'était la qualité renversante de ses faces B (Masterplan en témoigne d'ailleurs assez bien).

    Pour la première fois de ma vie, j'ai eu à l'époque envie d'acheter des CD 2 titres, commencé à avoir le comportement déviant des explorateurs de discographies (un peu comme dit Eddie Argos dans "My Little Brother", "He no longer listens to A-sides, He made me a tape of bootlegs and B-sides").

    Ce que j'aime dans "Time Flies", c'est qu'on y trouve des morceaux de "Be Here Now" (halte à la réécriture de l'histoire selon Noel de la compil "Stop The Clocks"!), grand album incompris, excessif, barré, shoegaze et largement meilleur à mon goût que "Morning Glory" dont les gros singles de stade masquent la vacuité. Je vais en parler un de ces quatre...

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  2. Excellent article, merci!

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  3. Éric >>> je suis assez d'accord avec l'analyse de BHN, le problème c'est que... quand je l'écoute, j'entends surtout un gloubiboulga avec quelques uns des pires morceaux du groupe ("Stand by Me", "Don't Go Away"... c'est abominable, ça ? ^^). Cela dit ce sera intéressant de lire ton article, j'en suis sûr.

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  4. Be Here Now fut mon premier disque de rock. Mais je n'en ai pas un grand souvenir, car je l'écoutais surtout pour le bruit de l'hélico au début. ça me sidérait. Cela dit, j'avais tort. Oasis a beaucoup d'autres qualités. Et ils ont très bon goût.

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  5. http://www.youtube.com/watch?v=HPPkvxAPf0s

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  6. Matador >>> mais il dure combien de temps le bruit d'hélico ? Sept secondes ?...

    Diane >>> ...

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  7. ben oui Oasis c'est tout ce que ça m'évoque.

    J'ai toujours trouvé que c'était un groupe surfait pas mauvais mais dispensable.

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  8. Moi qui n'avais jamais vu le clip de Supersonic, je réalise maintenant que eux, ils ont commencé par le concert sur le toit, en fait...

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  9. En matière de bruit d'hélico, y'a aussi The Wall du Floyd :-D

    Roh Diane, même moi je n'aurais pas osé proposer cette vidéo! Quelle facilité! En tout cas, le titre du post est bien trouvé!

    Pour le reste, leur rock'n'roll attitude m'a toujours laissé perplexe, en partie à cause de leur musique (et cette voix...), l'héritage Beatles n'étant pas comme tu sais ce qui me touche le plus... au contraire.

    Quant à la purge Wonderwall, elle a au moins un mérite, celle d'être un vomitif puissant. C'est surtout ça ce que je retiens des frères "la galère". Merci donc de ne pas avoir cité cette misérable chanson :-D

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  10. helicofugees
    http://www.youtube.com/watch?v=aIXyKmElvv8

    helicobush
    http://www.youtube.com/watch?v=jc50xF6E7-8&playnext=1&list=PL028412B22C59FCA9&index=17

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  11. n’atteigne le degré de popularité proprement démentiel qui était celui d’Oasis dans les années 94-97
    Mouais j'ai pas souvenir tout de même qu'au pays du polémiste Michel Sardou les frères La galère ait été aussi énorme. J'ai surtout l'impression qu'on nous a surtout bien vendu le bousin (jusqu'à saturation) mais qu'on était très loin du raz de marée en dehors de la Perfide Albion, mais je me trompe sans doute...

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  12. Un élément d'explication à l'aspect efficace trouvé dans l'encyclopédie du rock d'Assayas : la similitude entre le chant de Gallagher et celui de Johnny Rotten .

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  13. J'ai oublié le complément du nom dans mon commentaire précédent : "du groupe" . Je vous laise le replacer correctement .

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  14. Doc >>> oui enfin le monde ne se résume pas au petit peuple gaulois. Oasis tournait à guichets fermés dans les plus grandes salles du monde entiers (USA inclus, ce qui est souvent un indicateur). Et puis même en France, c'était assez énorme. Je me souviens qu'on en parlait au journal télé. Même mes grands-parents connaissaient Oasis, je les revois encore en parler. Donc si, c'était énorme, Be Here Now a été numéro 1 ou 2 dans toute la planète (et, oui, en France aussi).

    Daniel >>> des similitudes ? Ça ne m'a jamais frappé, mais effectivement je me souviens qu'à l'époque on rapprochait aussi Oasis des Pistols, ce que je ne comprenais d'ailleurs pas trop.

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  15. Il me semble que si on me parle d'Oasis, la première chose à laquelle je pense, c'est Wonderwall, parce qu'on m'a tellement rabattu les oreilles avec que je finirais presque par l'aimer nostalgiquement.

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  16. Maybe you're gonna be the one that saves me...

    C'est dans ce genre de moment qu'on ne se sent plus tout jeune...

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  17. Cela ne m'a pas frappé non plus avant qu'on me le fasse remarquer , mais il y a bien , finalement, dans cette morgue du chanteur , ce mépris classieux , quelque chose de Johnny Rotten .

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  18. Ah oui. Le mépris classieux, tout à fait. Je suis là et je vous emmerde.

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  19. vous confondez arrogance, prétention, combat de jeune coq avec le mépris classieux

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  20. C'est vrai que Rotten n'était ni arrogant ni prétentieux. Et sa battle avec Thunders n'était pas du combat de jeune coq. Non non, Rotten était un type extrêmement cultivé, raffiné et distingué. Scott Asheton aussi, je crois... :-)

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  21. "Les Caïn et Abel de la banlieue de Manchester sont probablement les seuls rockers dont n’importe qui commencera par vous dire qu’ils sont des connards avant même de citer une seule de leur chanson."

    En ce qui me concerne, j'appliquerais plutôt ca aux Guns n Roses.

    Oasis, pour moi c'est l'incomprehension totale. Pas aussi plat que Coldplay, mais franchement bof quand même. Je ne deteste pas, c'est juste que ca ne reveille rien chez moi. Ce qui est peut etre pire encore. Alors qu'ils aient été érigés en Dieux du Rock me laisse plus que pantois.

    Surtout lorsque l'on sait que la britpop a accouchée de groupe tels que les La's ou les Stone Roses, à mon sens infiniment supérieurs.

    Bon, tant pis hein.

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  22. En même temps dans le genre groupe qui m'indiffère totalement, les Stone Roses se posent là. On aura donc du mal à être d'accord :-))

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  23. Concernant Rotten , je n'ai jamais utilisé le qualificatif "prétentieux" . Quant à savoir s'il était raffiné ou cultivé hors de scène , cela n'a pas d'importance . Le chanteur des Cramps était lui aussi quelqu'un de raffiné si j'en crois les témoignages de ceux qui l'ont côtoyé . Sur scène, il était en bas résille avec de temps en temps de la terre dans le slip .
    Johnny Lydon est devenu "Rotten"( rapport à ses dents je crois ) et crachait sur le public ( et inversement ).
    Quant à opposer Oasis et les Sex Pistols , attention à ne pas tomber dans le "c'était mieux avant "...( pour info j'ai oublié de dire que je n'aimais pas Oasis . Ni avant ni maintenant ).

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  24. ah mais je dis pas le contraire les pistols étaient pas très finaud non plus mais bon comparer Oasis et les Pistols c'est un peu capillotracté non ?

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  25. Je suis tout à fait d'accord avec Daniel, et en y repensant c'est vrai que certaines intonations... par exemple sur "Supersonic", son "I need to be my-seeeeeeeeeeelf"... effectivement ça sonne très Rotten.

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  26. Très joli ce "capillotracté" .
    Non, pas tiré par les cheveux . Pourquoi ? Oasis a été considéré par un groupes de jeunes cons branleurs . Les Sex Pistols aussi , non ? ( En plus on est sûrs que le bassiste d'Oasis joue sur les disques ; en ce qui concerne Sid Vicious, en revanche ... Et même le guitariste d'ailleurs ... );

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  27. Oui, et pourtant ils jouent vraiment comme des patates, parfois. Finalement, c'étaient Oasis les vrais punks ;-)

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  28. "Les Caïn et Abel de la banlieue de Manchester sont probablement les seuls rockers dont n’importe qui commencera par vous dire qu’ils sont des connards avant même de citer une seule de leur chanson"...
    mais comment fais-tu pour écrire des choses si sensées Ô Grand Omniscient ! ;-))?

    N'importe qui

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  29. Rappelons que ce n'est pas parce que la rubrique commentaires est ouverte à tous que ceux qui n'ont rien à dire sont obligés de dire quelque chose.

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  30. Le drôle c'est que c'est sûrement le truc le plus juste de l'article. Mais bon c'est sûr que si on fréquente que des fans du groupe ou des incultes on ne peut pas le savoir ;)

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  31. Bah je t'en prie :D

    Oasis est un des groupes de rock les plus critiqués et détestés des 20 dernières années, ce n'est pas nouveau et c'est étonnant que certains n'en aient pas conscience. Ca dépend des milieux j'imagine mais moi j'avais surtout beaucoup de potes que ce groupe affligeait et, quand on les lit les commentaires à cet article c'est apparemment le cas de beaucoup de monde. Après ta formule n'est qu'une formule, peut-être que notre copain anonyme ne sait pas ce qu'est une forme et n'a jamais ouvert un journal ou un livre de sa vie.

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  32. hi hi hi ... bon allez, c'est moi qui l'ai écrit
    ce com de "N'importe qui", et visiblement ca a été interprêté bizarrement ;)... mais non je le disais sérieusement que c'était sensé (j'ajouterais même que c'est pour ce genre de phrases-raccourci mi-sérieuses, mi-ironiques que j'aime lire les chroniques du golb) et je suis bien d'accord avec Serious Moon ("le truc le plus juste de l'article"). Néanmoins, pr préciser, perso je n'aime toujours pas spécialement les Dalton du rock - je veux dire leur musique, au-delà de l'attitude - je trouve qu'ils ont un "plafond de qualité" qu'on perçoit trop (même si je ne peux pas objectivement nier l'efficacité de leurs chansons, je sais qu'elles ne pourront pas me faire planer très haut )

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  33. Le gars qui s'appelle Alf est donc un troll. Il y a une logique :-)

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