mercredi 8 septembre 2010

Patrick Rambaud - "... ce dont on ne parlait pas n'existait pas..."

...
"La Première Chronique fut scintillante et burlesque, quand la Cour s'installa. La Deuxième fut à la fois grave et ridicule, qui vit paraître la Comtesse Bruni. La Troisième, que vous tenez en main, est plus sombre parce qu'elle présente un Souverain remodelé en Tarzan dans un pays devenu dépressif et répressif."

Que reste-t-il d'une œuvre lorsque le projet littéraire échappe inexorablement à son auteur ? Démarrées dans l'euphorie d'un début de règne érigeant le grotesque et la vulgarité au rang d'arts suprêmes, terriblement loufoques, les Chroniques du règne de Nicolas Ier se poursuivent et continuent de s'enfoncer chaque année un peu plus dans une forme de torpeur malheureusement très représentative, comme le reconnaît l'auteur lui-même, de l'humeur du pays. Le pamphlet est plus pamphlétaire que jamais ; la satire n'est hélas plus très drôle, et des éclairs burlesques du premier épisode ne reste plus, parvenu au troisième, que l'acide sulfurique jeté par tombereaux sur des plaies pour certaines encore béantes.

Il faut oser le dire : on ne peut plus se délecter des Chroniques du règne de Nicolas Ier tel qu'on le faisait il y a encore un an. Les aduler - et elles sont particulièrement adulables - c'est aimer avoir mal, ou au mieux jouir de gratter ses bobos. Le règne a pris un tour trop sombre, trop oppressant et trop dur pour que l'on parvienne encore à en rire - et l'excellent Patrick Rambaud à faire de l'humour avec. En se projetant pas mal de mois en arrière (en gros de la rentrée 2008 à l'été 2009), on a le sentiment désagréable de parcourir, mi-horrifié mi-fasciné, un vaste champ de ruines. On rit encore, bien sur. Parfois. Au détour d'une phrase cinglante abattant quelque courtisan, d'un portrait ravageur de M. de Charon ("premier valet de chambre") ou d'un coup de latte bien senti au Chevalier Le Febvre. Mais le cœur n'y est plus. L'arrestation de Filippis, la nomination de Hees, Hadopi, les portiques à l'entrée des écoles... tout cela, fondamentalement, n'est pas drôle. Et Rambaud, d'ailleurs, a l'intelligence de ne pas essayer, la plupart du temps, de nous faire rire avec ça. Il se contente de souligner l'absurdité des situations, avec toujours cette même verve qui fit le succès (lui aussi très symptomatique de l'humeur du pays) des deux épisodes précédents.

Sans doute est-ce bien assez. Après tout, cette chronique comme les autres se boit comme du petit lait. On ne peut rien reprocher à l'auteur, qui n'y peut pas grand-chose si son sujet autrefois poilant est devenu sordide. A vrai dire, on compatit d'autant plus que pour reprendre une expression très à la mode : nous sommes dans le même bateau. Quand Patrick Rambaud pleure chaque soir en se disant "Ciel ! encore deux chroniques... qu'est-ce qu'il va nous sortir...", on pleure chaque matin devant le journal. Putain, deux ans.


Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, de Patrick Rambaud (2010)

18 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé les deux premières, mais pour lire cette troisième, j'attends juste qu'elle sorte en poche pour me ruer dessus, même si, comme tu le dis, on a de plus en plus de mal à en rire.
    Pourtant, jamais on aurait cru regretter (toutes proportions gardées) le Yacht de Bolloré et les rencards chez Mickey. Malheureusement...

    Putain, deux ans comme tu le résumes dans cette critique qui , finalement, sonne comme un édito super court, preuve si besoin est que ça devient trop difficile d'en rire.

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  2. Ecoute, ça tombe bien parce que je n'ai pas eu le temps de finir l'édito :-)

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  3. Très bon article, qui capte bien l'ambigüité de cette nouvelle chronique. La première série dont, même en la trouvant excellente, on n'a pas envie de dire : "vivement la suite".

    BBB.

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  4. Franchement, je n'aurais pas mieux dit.

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  5. J'avoue que je ne comprends pas vraiment le propos de l'article...

    En gros, en poussant la logique, l'époque (ou les agissements de notre bien-aimé président)est trop morose, trop sombre pour en rire??

    Enfin, c’est quand même pas nouveau la misère dans le monde non?! les réformes totalement inutiles, dénués de bon sens et sécuritaires??Les copinages? les expulsions ?

    (désolé pour le ton, ça fait un peu véhément..) (et je ne dis pas que ce n’est pas scandaleux, déplorable)

    Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ne pourrait t-on pas en rire ? Notre « conscience sociale » ne peut pas s’effacer le temps d’un petit bouquin bien « piquant » ?

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  6. Oui, ça fait un peu véhément, d'autant que le propos de l'article est écrit noir sur blanc.

    Rambaud a commencé par écrire une série désopilante, il tournait en dérision des attitudes et des évènements qu'on aurait juré trop énormes et peu crédibles dans un ouvrage de fiction, s'amusait comme un petit fou, et nous aussi.

    Sauf que son projet a dévié lorsque le grotesque, le burlesque, la drôlerie inhérente au régime ont fini par être enfouis sous des choses de plus en plus sombres et pesantes, qui n'étaient pas réellement inscrits dans le "code génétique" du projet de Rambaud. Il fustigeait beaucoup les apparences, le bling bling, ce qui faisait tout le sel et le navrant de la première partie du mandat. Tout cela semble loin et comme Guic', je regrette presque cette époque.

    Bien entendu on peut encore en rire dans l'absolu (bon courage pour faire une bonne vanne avec tout ça, cela dit), il n'y a pas de problème de conscience sociale. Mais Rambaud lui-même n'essaie plus vraiment de faire de l'humour avec (ça aussi, je l'ai écrit dans l'article). La Troisième chronique est un best of sinistre des trucs les plus choquants et dérangeants qu'on ait eu à avaler ces dernières années, et plus une satire désopilante du pouvoir en place. Il faut dire ce qui est : on rit tout de même de moins en moins à chaque volume, et dans celui-ci (que j'ai aimé et lu très vite par ailleurs), je ne crois pas avoir ri plus de deux ou trois fois en tout.

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  7. D'accord, donc en fait j'avais pas compris...

    Tu parlais plus du ton de l'auteur que du contexte.
    J'aurais dû attacher plus de poids au "la satire n'est hélas plus très drôle..."

    J'ajoute que j'avais bien relus(quand même) et que c'est plutôt le commentaire de guic qui m'avait conforté dans mon (in)compréhension.
    Je fais donc mon mea-culpa...

    (re-désolé pour le ton, c'était pour souligné le côté absurde...)

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  8. Plus le ton de l'auteur que le contexte, voilà. Même si je pense que les deux sont intimement liés. M'est avis que Rambaud - comme nous tous - espère bien qu'il n'aura jamais à aller jusqu'à la dixième chronique...

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  9. Mais comment ça se fait que je n'ai jamais entendu parler de ces oeuvres? Comment j'ai pu passé à côté de ça?
    Bref, une fois de plus merci de m'avoir fait découvrir ça, je vais les lire rapidement.
    Juste une petite question : je commence par le dernier ou le premier?

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  10. La question mérite d'être posée car ce n'est vraiment pas la petite série underground et confidentielle... les trois tomes ont atomisés les top des ventes, y compris à une époque où tu étais en France (enfin il me semble...). ^^

    Ecoute je pense qu'a priori tu peux les lire dans n'importe quel ordre. Il y a pas mal de petits running gags du premier qui se retrouvent dans les suivants, mais rien qui nuise à la compréhension. Maintenant je pense qu'en lisant les tomes dans l'ordre il s'opère une mise en perspective réellement troublante, notamment parce que comme Rambaud est toujours décalé dans le temps (il a un an de retard sur l'actu, en moyenne), on prend vraiment conscience de l'accumulation surréaliste des "séquences" qui, sous sa plume, deviennent des sketches...

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  11. Je ne les ai pas encore lu j'ai peur de pleurer plus que de rire mais je vais le faire un jour c'est sûr et j'ai peur d'avance...

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  12. Oui oui, j'avais bien fait le calcul, je devais être en France l'année de la parution du premier tome... Humhum. Pourtant je suis l'actualité hein, faut pas croire... Bref ;)

    Ceci dit depuis que je suis aux États-Unis j'avais choisi d'ignorer Sarkozy et d'entrer dans une phase d'Obamania réconfortante. Mais maintenant que tout va mal ici aussi, je peux me réintéresser à l'autre (même les États-Unis le font d'ailleurs, tu as vu la Une de The Economist?)

    En tout cas, merci pour le conseil, je commencerai pas le premier!

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  13. Oups, lapsus révélateur ou syndrome du lundi matin? Je voulais dire bien sûr que je commencerai "par" le premier...!

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  14. Yueyin >>> je comprends bien !

    Melou >>> j'ai vu la couv', bien entendu. Tu sais ici il y a toujours cette dérive de s'exciter dès que quelqu'un, quelque part, dit du mal de Sarkozy... et de se détourner des débats de fond pour se focaliser sur l'image (en l'occurrence internationale) encore et toujours. Dans le fond je ne suis pas sûr que la couv soit un tel affront pour Sarkozy. Mais je peux me tromper.

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  15. Des débats de fond? Politiques? En France?
    En les attendant, moi ça me fait bien marrer de rigoler de la taille de notre président. Et puis il faut bien garder le moral.

    (PS : aux US, la couverture était différente - sur l'Amérique du Sud en fait . Et certes je suis dans un microcosme à DC, mais on en parle quand même pas mal ici...)

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  16. C'est que je croyais quand même qu'à DC vous aviez mieux à faire :-)

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  17. DC n'échappe pas à la règle : il n'existe pas d'endroit dans le monde où on ait mieux à faire que de parler pour ne rien dire...

    (et puisque j'écris ça, le Golb en devient également un... zut zut zut ;) il est temps que j'arrête de commenter cet article! )

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  18. Je ne sais pas pour DC, mais Le Golb a toujours été plus ou moins comme ça ;-)

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