lundi 16 août 2010

The Killer Inside Me - Un petit noir bien serré

...
Quelque part, c’est une bonne nouvelle. Comme le laissait présager ces derniers mois le succès grandissant de la (formidable) série Breaking Bad, les Américains sont en train, progressivement, de redécouvrir Jim Thompson – soit donc l’un de leurs plus fascinants écrivains. Assez peu adapté en regard de sa productivité, souvent mal (on se souviendra de l’affligeant The Getaway, avec un Alec Baldwin grotesque et une Kim Basinger dont la carrière ne s’en remit jamais vraiment), l’auteur du glauquissime Pop 1280 se retrouve transposé à l’écran pour la première fois depuis une bonne quinzaine d’années, et c’est à Michael Winterbottom, cinéaste à la filmographie aussi sympathique qu’hétéroclite, de se coller au gros morceau qu’est The Killer Inside Me.

Gros morceau parce que s’il s’agit d’un des plus grands romans de Thompson, il est en grande partie inadaptable. L’ironie aura voulu qu’il le soit deux fois (la première – aussi quelconque que peut l’être un film avec le bien nommé Stacy Keach – remonte aux seventies), mais il faut reconnaître qu’on n’y allait pas forcément de bon cœur, convaincu qu’on était qu’une bonne partie de la virtuosité du récit passerait à la trappe. C’est bien évidemment le cas. Néanmoins, divine surprise, la version de l’auteur d’I Want You et 24 Hours Party People n’est pas loin d’être ce qu’on pouvait espérer de mieux partant d’un texte aussi biscornu, déjanté et chaotique. Car pour ceux – nombreux – ne l’ayant pas lu, il faut bien souligner que The Killer Inside Me est entré dans les annales de la littérature comme l’un des trucs les plus radicaux jamais écrits en matière de polar. Noir et poisseux et sans issue – soit. Mais aussi et surtout d’une construction névrotique et insaisissable, toute à l’image de la psyché torturée du narrateur. Gouffre sans fin, le roman rebondit sans cesse, improbable crescendo de violence et de folie au rendu d’autant plus perturbant que Thompson, fidèle à sa réputation d’éboueur de l’âme humaine, s’y pare d’une jubilatoire amoralité.

Bien évidemment, un film de Winterbottom, réalisateur plein d’idées mais sans style, pouvait difficilement rendre la profonde satire sociale sommeillant derrière le hardboiled provocateur de Thompson. Si l’un des enjeux de l’œuvre originale est de laisser le protagoniste révéler sa nature de psychopathe de manière lente et progressive, le film ne laisse que peu de place au doute. Cela ne le rend pas moins efficace, mais convenons qu’avec un acteur moins talentueux que Casey Affleck les choses eussent été bien plus compliquées. Avec son faux air de Nixon, sa bouille juvénile et son regard empli de vide, le frère de Ben, dont on supposait à juste titre qu’il ne ferait que se bonifier en vieillissant, achève de confirmer qu’il est l’un des meilleurs comédiens américains de sa génération. La manière dont il se métamorphose en l’espace d’une seconde en dangereux maniaque est d’autant plus bluffante que là où d’autres (on ne les citera pas mais vous devinerez sûrement) en feraient des caisses, lui a choisi une partition plutôt subtile, à défaut de vraiment aspirer au minimalisme. Le reste du casting tient la route, pour ce qu’on en a vu : tout est fait pour qu’on n’ait d’yeux que pour Affleck, et ça marche. A peine si l’on remarque que Simon Baker, le navrant héros de la nullissime The Mentalist, est bizarrement bon, et Jessica Alba, étrangement juste (il est vrai qu’elle joue une pute et n’a pas une seule scène où elle soit véritablement habillée, pas vraiment un rôle de composition pour quelqu’un devant principalement sa notoriété à ses quarante-mille séances photos pour les magazines masculins).

On pourra certes reprocher à Michael Winterbottom d’avoir totalement gommé la dimension sociale, cruciale chez Thompson, ainsi qu’une bonne part du background de Lou Ford. Ce serait cependant une (relative) injustice : on ne peut décemment pas en vouloir au cinéaste d’avoir préféré se focaliser sur l’aspect le plus fascinant (et le plus difficile à mettre en scène) du roman. Dans le fond, foi de lecteur ayant dévoré le livre il y a plus de dix ans, plus personne ne se souvient avec le recul du contexte et de la soi-disant « vengeance » qui servent de socle à l’intrigue. Tout ce que l’on garde The Killer Inside Me, c’est la folie de son personnage, sa froide monstruosité, et le tourbillon narratif dans lequel nous embarque un texte basculant dans la déjante la plus absolue en son milieu. Or de ce point de vue, le film tient parfaitement la route. Amoral, violent et noir, il offre cette excellente surprise de n’avoir que très peu édulcoré la vision dévastée qui présidait à l’œuvre originale. Sans être tout à fait aussi sombre que son modèle – la faute à un léger manque d’atmosphère dans les scènes des transitions, le métrage réussit lui aussi à être un peu plus qu’un film de genre, et parvient par instants à glacer d’effroi (surtout, on l’imagine, si l’on ne connaît pas le fin mot de l’histoire). Sans être indispensable, on tient là un très bon film noir, et probablement la plus convaincante des adaptations de Jim Thompson. Ce qui, c’est vrai, n’était pas très difficile.


The Killer Inside Me, de Michael Winterbottom (2010)

Aucun commentaire: