mardi 27 juillet 2010

Plutôt un blues

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°40]  
The Sun Also Rises [Le Soleil se lève aussi] - Ernest Hemingway (1920)

Dans The Sun Also Rises il y a tout, et il y a rien. Il y a un tout qui se cache sous l’apparence d’un rien, et ce tout pourrait bien se nommer poésie.

Bien sûr, il y a une vague histoire. Et même des personnages, aux vie amochées, aux destins brisés qui vous sembleront peut-être un brin déjà-vus - normal : les antihéros de The Sun Also Rises sont la matrice de la plupart des antihéros de la littérature américaine. Des pères fondateurs, façon poétique et garantie 100 % beautiful losers. Il y a Jack, le journaliste infirme. Il y a son pote Robert. Il y a Brett, l’anti-femme fatale se lançant dans un jeu d’amour, de hasard et de sexe avec les deux hommes. Mais tout ceci (l'histoire branlante, les personnages branlés, la matrice) ne suffirait sans doute pas à définir ce roman lent et vénéneux, qui ne provoque généralement que deux réactions possibles : la vénération totale ou le rejet violent.

Car The Sun Also Rises, qui à défaut d’être l’œuvre la plus populaire de Hemingway est sans aucun doute la plus importante, est bien plus que le simple portrait de ces gens ordinaires… de même qu’il est bien plus qu’un croquis de la vie de certaines personnes dans un certain Paris d’une certaine époque un peu bohème, un peu folle - c'est l'expression consacrée et l'on finirait par oublier qu'elle porte en elle une ambiguité profonde : folle, ce n'est pas heureuse. Non. Il s’agit avant tout d’un manifeste, d’un objet unique, dépositaire d’un genre qui jusqu’alors n’existait pas et n’a d’ailleurs toujours pas de nom : une littérature épurée et sans fioritures qui parle de la vie normale de gens normaux qu’elle rend beaux, humains, vivants. La littérature de la chair et du sang, de l'os, de la sueur et des sécrétions en tout genre.

Ce n’est définitivement pas, comme on a pu le lire mille fois dont cinq cents de trop, un livre provocateur et sulfureux (à moins de considérer que ce soit sulfureux de peindre le monde tel qu’il est, raisonnement pas si con quand on pense aux réactions épidermiques provoquées de tous temps par les écrivains coupables de trop grand réalisme)… plutôt un blues, en fait… une longue chanson d’amour (à la vie, à l’humanité, à l’amour lui-même) mélancolique, brutale, rugueuse comme un morceau de Leadbelly - mais chargée d’espoir. Une chanson usant de mots simples mais directs, dont la mélodie peut sembler un peu facile alors que merde, tout de même, il faut savoir les trouver ces mélodies parfaites qui imprègnent immédiatement l’esprit de l’auditeur. Il faut le porter en soi, ce beat primaire qui emporte tout sur son passage.

Voilà ce qu’était Hemingway à ses débuts : un bluesman blanc capable de vous faire rire, pleurer, rugir rien qu’en vous narrant par le menu une dizaine d’éléments de votre propre vie quotidienne.

Un poète, en somme, dont ce premier roman est le chef-d’œuvre absolu. Une œuvre unique, fédératrice, qui marque à la fois le commencement et la fin de la littérature contemporaine. Tout simplement parce qu’après The Sun Also Rises, tout était terminé. Il était impossible d’aller plus loin dans cette voie – l’auteur lui-même ne s’y essaya jamais.

De fait, le vingtième siècle a commencé en 1920 et s’est achevé trois ans plus tard, lorsque Hemingway publia A Farewell to Arms.


Trois autres livres pour découvrir Hemingway (même si c'est celui-ci qu'il vous faut) :

The Torrents of Spring (1926)
Men withou Women (nouvelles, 1927)
To Have & Have Not (1937)
...

8 commentaires:

  1. Formidable roman, formidable auteur, formidable article !

    BBB.

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  2. Un blues, c'est tout à fait cela. Belle inspiration.

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  3. En effet, vous approchez quelque chose. Simple curiosité, mais Leadbelly, ce n'est pas la même époque ?

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  4. Et bien tu sais quoi ? Non tu n'as pas d'idée ? Bon je sais que ça va te paraitre dingue. Allez d'accord je te le dis. Enfin voilà quoi, Le Soleil se lève aussi, je ne l'ai jamais lu (mais il vient de faire un bond dans ma liste de lecture^^).

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  5. "Bluesman blanc", cette image évoque en moi Clapton bedonnant en costard blanc ou des trucs pesants comme Stevie Ray Vaughan, brrrr...

    Dans mon souvenir, c'était un bouquin très européen, et du coup j'ai du mal à l'associer au blues (musique américaine s'il en est) ou à ses outils narratifs. Enfin bref, je sais pas trop comment le décrire (je laisse ça à des gens plus érudits que moi), mais j'abonde dans ton sens : c'est un livre superbe.

    Cela dit, c'est une œuvre fantastique

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  6. (merci de ne pas tenir compte de la dernière phrase qui s'est retrouvée téléportée par erreur à la fin de mon texte suite à un micmac de copier/coller)

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  7. H.V.,

    Sauf erreur de ma part (ce qui est possible, je ne suis pas un spécialiste), Leadbelly est contemporain du livre, mais je ne crois pas que l'on puisse en "déduire" quoique ce soit, ses premiers enregistrements remontant, je crois, aux années 30.

    BBB.

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  8. Oui alors... ne vous emballez pas trop sur le blues, non plus, hein. Je parlais de ça parce que j'essayais de trouver un équivalent à l'extrême simplicité de l'écriture et de la narration, à sa rugosité, qui avait quelque chose de vraiment dépouillé pour l'époque. Je ne poussais pas plus loin la réflexion, et si j'ai parlé de Leadbelly c'est tout simplement parce que c'est mon bluesman préféré - donc le premier nom qui me vienne spontanément à l'esprit. Et aussi bien sûr parce qu'il me fallait tout de même un bluesman vaguement contemporain (quoique pas tout à fait, comme l'a dit BBB., mais un peu quand même, comme l'a noté H.V.). Je confesse ne pas avoir pensé à Clapton... en grande partie parce que je ne pense jamais à Clapton (quelle drôle d'idée), encore moins quand je suis amené à parler de blues :-)

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