lundi 28 juin 2010

Julien Pras - 11 chansons + 1 dilemme

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Faut-il… peut-on, même, faire abstraction des similitudes entre deux artistes pour mieux les apprécier individuellement ? La question est vieille comme la musique elle-même, art principalement fait d’influences, de références, de citations voire parfois carrément de pompe éhontée. Tout amateur de musique se l’est posée un jour, ou du moins s’en est approché – car pour se retrouver face à cette interrogation encore faut-il que le second arrivé rivalise un tant soit peu avec le premier. Ou disons : qu’il soit tout de même un peu plus qu’un ersatz.

Membre de Calc (non, ce n’est pas un jeu de mots malheureux) en pleine évasion solo, Julien Pras évoque Elliot Smith. Immanquablement. On pourrait louvoyer (certains confrères s’en sont fait une spécialité), faire semblant de n’avoir rien vu ou bien verser dans une bien hypocrite litote (du genre : se rapprochant parfois de l’univers de…, à traduire généralement par c’est à si méprendre)… le fait est là, et le nier serait absurde. Cette évidence crève les oreilles dès la première note et se fait d’autant plus insistante qu’il ne le rappelle pas comme ça, juste vaguement ou par éclats… non non : Julien Pras évoque Elliott Smith du début à la fin de son premier album solo. Hormis un ou deux passages où il s’aventure dans des territoires un chouïa plus épiques (le genre de chose qui n’était pas du tout du goût de l’auteur d’Either/Or), impossible – sauf à être d’une prodigieuse mauvaise foi – de ne pas faire le rapprochement. Tout l’attirail y est, de la voix à la manière dont elle est captée en passant pour le goût pour les arrangements faussement sobres et carrément luxuriants, les mélodies clairement apparentées… etc.

Théoriquement, pas de problème majeur : aucune personnalité, poubelle – on passe au disque suivant. En plus : Elliot Smith, quoi. L’un des plus grands génies de toute l’histoire de la pop ! Fallait oser.

Oui… sauf que non. Les choses ne sont pas si simples et les oreilles, pas si propices au préjugé que le (mauvais) esprit de leur propriétaire. Ce qu’on serait presque enclin à regretter tant du coup, Southern Kind of Slang nous place dans une position assez difficilement tenable : impossible de ne pas constater que cet album est bon, et même très bon parfois. "Alien Town" sonne peut-être comme un inédit de Figure 8 ; elle n’en est pas moins une chanson adorable. On dit "Alien Town", on aurait tout aussi bien pu dire "The Sweetest Fall" ou "Son of the Stars"… cela vaut pour quasiment tous les morceaux d’un album particulièrement bien produit et cohérent, à quelques détails près ("Evil Horn" est une chanson assez crispante, on se saurait dire pourquoi).

Alors que faire ? Ignorer une ressemblance écrasante pour se délecter des mélodies cristallines de Julien Pras ? Ou bien faire preuve de bon sens, se dire que tout cela n’est pas très sérieux ?… Nous voilà revenu à la case départ, à ce stade où l’honnêteté intellectuelle commande d’écouter et de réécouter pour saisir les différences mais où le cœur, pour sa part, s’en contrefiche – il est déjà parti dodeliner du popotin au son de "Heavy Load" (sans doute la plus réussie des chansons de l’album). On serait tenté de dire – mais n’est-ce pas déjà louvoyer ? – que Southern Kind of Slang est un album à écouter plutôt qu’à chroniquer. Formule facile à sortir après cinq paragraphes, mais moins artificielle qu’il pourrait y paraître venant de votre serviteur : c’est plaisant d’analyser et de réfléchir sur les œuvres, mais il y aussi un moment où il faut savoir se taire et écouter. Et en se taisant, et en écoutant de manière presque passive… on se dit que ce disque est touchant, délicat et même parfois émouvant. Qu’il se compose presque uniquement de chansons réussies. Qu’il serait dommage de passer à côté. Et puis bon : il est mort Elliott Smith, non ? Alors va pour Julien Pras ! Ce sera notre nouveau copain romantique, notre nouvel ami des soirées aux chandelles où l’on n’aura pas besoin grâce de lui de réfléchir trop longtemps à la musique idéale pour la faire fondre. Le gars qu’on ne l’emmènera pas voir en concert de peur qu’il nous la pique en ne faisant rien qu’interpréter ses jolies chansons.

Même qu’on le regrettera.



Southern Kind of Slang, de Julien Pras (2010)


7 commentaires:

  1. Sur l'extrait, c'est vrai qu'il y a un petit quelque chose. Pas au point que j'en sois choqué, cependant. Le reste de l'album, peut-être ?

    BBB.

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  2. J'ai fait avec ce que j'ai trouvé. Je trouve ça tout de même assez frappant dans les arrangements, mais ça dépend des moments. Ce n'est sûrement pas sur ce titre que c'est le plus flagrant.

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  3. Je reprocherais plutôt à ce (joli) disque d'être un peu ennuyeux à la longue.

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  4. Vu sur scène il y a quelques mois et certains morceaux évoquaient en effet assez nettement Elliot Smith. Mais j'avais trouvé sa voix difficilement supportable, du coup je ne me suis pas intéressé à l'album...

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  5. Sans aller jusqu'à singer Smith (il n'ont pas tout à fait la même voix), on sent le gars qui a été traumatisé par Figure 8, c'est vrai que c'est difficile de ne pas y penser. Mais l'album est attachant.

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  6. Je t'ai connue plus loquace, chère Lily :-)

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