vendredi 7 mai 2010

White Country Rock

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°38]  
Lord of the Barnyard : Killing the Fatted Calf and Arming the Aware in the Cornbelt - Tristan Egolf (1998)

Pour ouvrir cet article, je pourrais vous raconter une anecdote devenue une légende underground. Ou comment Tristan Egolf, écrivain américain rejeté par quasiment tous les éditeurs de son pays d'origine, se retrouva un jour en France, à rencontrer tout à fait par hasard la fille de Modiano et à être de manière tout à fait inattendue sauvé de la clochardise à laquelle beaucoup le destinaient. Je continuerais avec le succès de son livre, son retour aux Etats-Unis. Je ferais une parenthèse sur son militantisme exacerbé, puis j'évoquerais son suicide tragique à l'âge de trente-trois ans - non sans avoir précisé qu'il était assurément l'un des plus grands écrivains de sa génération.

Je pourrais commencer comme ça, mais n'ayant pas pour ambition de me substituer à Wikipedia je préfère, vous ne m'en voudrez pas je l'espère, vous révéler un secret. J'ai lu son premier et meilleur roman en une nuit, en novembre ou décembre 1998. Ce n'est pas ça le secret. Le secret, c'est qu'il déclencha chez moi sinon une vocation, du moins une bien étrange fascination. Vous allez comprendre pourquoi.

Lord of the Barnyard, raconte le retour de John Kaltenbrunner dans sa petite ville natale. Le début du livre ressemble à une fiction terroir du samedi soir sur France 3 (admirablement écrite tout de même). Très vite pourtant, on comprend que quelque chose ne tourne pas rond : John manigance quelque chose. Et pour cause : victime de toutes les brimades et de toutes les humiliations durant son enfance, John est revenu se venger de ceux qui l'ont tant fait souffrir. Et met sur pied une incroyable machination, aussi implacable que la fatalité qui semble le poursuivre hargneusement.

Le style est flamboyant, inventif, tourbillonnant. Le personnage principal torturé et profond. Sa duplicité est remarquable : John est un jeune homme drôle, séduisant et sensé, tout en cachant un être ravagé, gorgé de haine et de mépris pour les cul-terreux bas de plafond qui ont ruiné son existence. Il met en relief cet étrange et fascinant paradoxe : du point de vue du lecteur, John est un individu totalement normal détruit par une communauté totalement chtarbées. Mais pour cette communauté, c'est bien évidemment lui qui est tout à fait anormal. Il n'est ni bigot, ni raciste, ni homophobe ni arriéré. Ses idéaux sont on ne peut plus nobles, quand ses concitoyens brillent par leur lâcheté et leur bassesse. Il n'est certes pas parfait, la haine l'a bien trop détruit pour qu'il soit un modèle de vertu. Mais son humanité ne fait aucun doute, contrairement à l'hystérie collective et à la bêtise crasseuse de la plupart des autres personnages. Impossible de ne pas le comprendre, de le soutenir même, dans son projet de destruction de la ville.

On pense un peu au Needful Things de Stephen King, à POP 1280 de Jim Thompson. Deux œuvres dans lesquelles le délitement progressif d'une petite bourgade du trou du cul de l'Amérique sert de masque à une satire. Mais on trouvera sans doute plus volontiers la rage de Thompson que l'humanisme de King. Lord of the Barnyard est plus qu'un roman : il est une déclaration de guerre au pays natal de son auteur. Tout y passe. Son mode de vie, ses valeurs, ses hypocrisies. Il n'est pas étonnant que le livre ait été d'abord publié en France : on voit mal comment un ouvrage aussi profondément anti-amércain aurait pu être couronné de succès dans cette contrée. Il faudrait bien évidemment conclure en évoquant l'influence de Faulkner, dont Egolf, qui n'a publié que deux romans de son vivant, fut l'un des plus beaux héritiers : brouillages chronologiques, portraits subtiles, décalages structurels, changements de point de vue discrets... tout l'attirail faulknérien y est, l'humour en plus. Noir et serré, comme de juste.

Et ainsi naquit une grande passion pour les histoires de petites communautés plus ou moins arriérées. En une seule nuit, ce concept d'intrigues dont j'ignorais jusqu'à l'existence est devenu pour moi une obsession. Il est vrai que j'appartenais moi-même à une petite communauté qui, de mon point de vue, ressemblait à s'y méprendre à Baker. Ça aide.


Deux autres livres pour découvrir Tristan Egolf :

Skirt & The Fiddle (2002)
Kornwolf (2006)
...

8 commentaires:

  1. Moi aussi je le trouve génial ce livre.
    Si tu aimes les livres sur les petites communautés je recommande Way of the road de Bill Geist.

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  2. ah, magnifique titre en clin d'oeil à mon album préféré de Bowie :-)

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  3. Merci de ma rappelr qu'il faut asoluement que je lise ce roman.

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  4. Excellent livre, c'est vrai. Dommage que le reste de la bibliographie d'Egolf n'ait pas été à la hauteur.

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  5. Ah, chouette. L'ayant déjà lu, celui-là, je n'ai pas besoin de le rajouter sur ma pile.
    Par contre, dire que ce livre n'est "rien qu'à toi".. tu abuses un peu quand même !
    Que va-t-il nous rester, à la fin ?
    Sinon, je suis d'accord avec toi, c'est un GRAND roman.

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  6. Anne >>> je note Bill Geist. Merci du conseil !

    Arbobo >>> j'adore ce morceau moi aussi.

    Auguri >>> de rien - j'adore rendre service.

    H.V. >>> c'est vrai que les deux autres ne sont pas aussi géniaux... hélas...

    Ing >>> oui, j'ai entendu ta complainte de l'autre jour :-)

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  7. Très bon livre effectivement, acheté sur ton conseil et qui a occupé mes vacances (donc merci).
    J'adore aussi le thème du bouquin, meme si je n'ai pas grandit dans une petite ville (mais une grande famille vaut bien une petite communauté...)
    En une nuit quand meme. Tu devait ressembler à un lémurien le lendemain...

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  8. Très content que ça t'ait plus !

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