vendredi 27 mai 2011

Mes amours décomposés - Comme un roman, mais en moins...

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Il est quand même bien sympa, ce Gabriel Matzneff. Des années (quarante environ) qu'on veut nous le faire passer pour un type dangereux, sulfureux voire diabolique... alors qu'en fait c'est une crème d'homme - tenez par exemple : à son journal de la période 1983-84, il a ajouté un petit avant-propos bien pratique où, littéralement, il nous mâche le travail en faisant une analyse des plus pertinentes de son livre et même, une ébauche de critique (auto, du coup) :

"Si inconstant que je fusse, il y avait néanmoins une maîtresse à qui je demeurais fidèle : la langue française [...] Ce n'est pas la prose travaillée, maintes fois remise sur le métier, de mes romans et de mes essais ; ce n'est pas un livre composé dans le silence d'un cabinet, mais toujours en mouvement, dans la rue, ou dans l'autobus, ou à la plage [...] Un journal intime, c'est-à-dire, essentiellement, un journal de ma vie amoureuse [...] Mes amours décomposés se resserre dans mes jeunes amantes [...] Celui qui se contenterait de feuilleter ce livre, d'en lire des passages au hasard, pourrait avoir le sentiment que ce n'est qu'un catalogue d'histoires de cul [...] mais la lectrice et le lecteur attentifs qui feront l'effort d'entrer dans ce carnet intime comme dans un roman, et de le lire de la première à la dernière page, verront que, malgré la proximité de leurs prénoms, Marie-Elisabeth, Marie-Agnès, Marie-Laurence ne sont pas des corps interchangeables, qu'elles ont chacune leur tempérament, leur humeur, leur vocabulaire [...] Ils verront aussi que je suis le contraire d'un type qui ramène chaque soir chez lui une nouvelle fille dont il sait à peine le prénom, la saute, et ensuite tchao poulette [...] Avec presque toutes les héroïnes de Mes amours décomposés, j'ai été uni par des liens puissants, et durables [...] Surtout, ce que je fais au lit avec mes petites amantes a dans Mes amours décomposés infiniment moins d'importance que mes observations sur la façon dont les adolescentes vivent leur premier amour, s'affranchissent de leurs parents, découvrent les joies archangéliques de la transgression..."

D'accord Gabriel, d'accord. C'est fort aimable de préciser cela d'entrée, mais qu'est-ce qu'il nous reste à raconter dans la chronique ? Hein ?

Allons à l'essentiel, tout cela relève bien sûr de l'autojustification complaisante et met un chouïa mal à l'aise (bien plus que le livre lui-même, à vrai dire, qui ne saurait être résumé à ses passages les plus moralement répréhensibles). Force est de reconnaître que Matzneff a fourni ici un résumé si parfait de son texte qu'on ne sait pas trop quoi ajouter, mis à part qu'en dépit de quelques fulgurances, son ouvrage le plus fameux (pour des raisons plus polémiques que littéraire) est loin de ses plus grandes œuvres. La faute à ce qu'il définit très lucidement lui-même lorsqu'il évoque le style : rude, saccadée, l'écriture de Mes amours décomposés en fait un ouvrage particulièrement fastidieux à lire. Pire, les moments où il verse dans le roman à thèse pullulent, et gonflent au plus haut point. Il manque à ce livre une certaine élégance que l'on retrouve dans les romans de l'auteur, élégance se déployant moins dans les mots que dans un rythme narratif propre à Matzneff qui ne se retrouve pas du tout dans le cadre d'un journal "intime". Cela n'empêche certes pas Mes amours décomposés d'être un texte riche et de qualité, lorsqu'on parvient à dépasser la nausée provoquée par certains passages (dont on se demande franchement comment ils ont pu ne pas valoir à leur auteur de filer directement en taule - 1990, c'était hier, mais cela semble une autre époque) ; mais il s'inscrit au bout de quelques pages seulement parmi ces livres qu'on lit par intérêt curieux plus que par passion.


👎 Mes amours décomposés - Journal 1983-84 
Gabriel Matzneff | Gallimard, 1990

2 commentaires:

  1. Je ne m'en rappelle pas très bien, mais il me semble que j'avais beaucoup aimé, moi.

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  2. Il y a tellement de tomes dans ces journaux que ce n'est pas étonnant...

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