lundi 10 mai 2010

De l'impérieuse et urgente nécessité d'écouter des choses ordinaires, mineures, inutiles mais essentielles...

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J'avoue avoir un coupable penchant pour les films ou les livres de genre(s). Je ne parle pas de ces immenses polars, de ces chefs-d'œuvre de la SF ou de ces formidables westerns. Je ne veux pas parler de toutes ces œuvres transcendant leurs genres respectifs. Au contraire, je veux parler de l'exact inverse : de ces long-métrages ou romans mineurs s'assumant crânement comme tels. Des petits polars bien ficelés ne cherchant à être rien d'autre que des petits polars bien ficelés. Des histoires de SF sans prétention autre que d'être de bonnes histoires de SF. Des trucs aimables, attachants, n'apportant rien à l'histoire de l'art, mais ne lui enlevant rien non plus et dont on oublie, souvent, qu'elle aurait bien du mal à exister sans eux. Oui, j'ai toujours eu une tendresse pour les ouvrages de genre. Comme pour les musiciens de seconde zone n'ayant jamais eu pour ambition de révolutionner la pop et se contentant de délivrer de bonnes chansons, bien écrites, carrées aux entournures. Selon l'humeur on les appellera seconds couteaux ou groupes de D2. En ce qui me concerne, j'aime bien dire d'un Supergrass ou d'un Idlewild qu'ils sont les plus grands des groupes mineurs.

De genre il est plus que jamais question ces temps-ci, puisque viennent de paraître deux très bons albums de genre. L'expression n'existe pas ? Elle le devrait, tant elle définit à la perfection le premier LP de Male Bonding, trio de jeunes gens évadés de l'intarissable scène locale anglaise et jouant, aussi improbable que cela puisse paraître en 2010... du grunge. Ni plus, ni moins. On sera tenté d'ajouter : du vrai grunge, et non du post-grunge, école musicale honteuse (citer les noms des groupes ferait fuir nos lecteurs) n'intéressant guère que des teenagers américains incultes, et n'ayant retenu de la mythique scène de Seattle que les gimmicks et les poses pseudo-torturées (enfin, celles de Seattle ne l'étaient pas - pseudo).


Nulle trace ce de ce méchant syndrome chez ces jeunes gens. Leur grunge à eux est bruyant, nerveux et viscéral. Il emprunte aux plus grands noms du genre, et plus volontiers - et c'est heureux - à la facette alternative qu'à la frange métallique. Comprendre par-là que dans ce très chouette Nothing Hurts, on n'entendra rien de Soundgarden ni d'Alice In Chains, encore moins de Pearl Jam. Mais beaucoup de Mudhoney, de Screaming Trees... et bien sûr de Nirvana, dont un titre enlevé comme "Weird Feelings" retrouve le goût des rythmiques fracassantes et du fameux ralenti/explosion (certes piqué par Cobain à Black Francis). On osera même dire que l'influence la plus évidente est celle du seul Krist Novoselic, dont on a pas assez dit qu'il était le plus grand bassiste de sa génération et qui ne renierait certainement pas une progéniture susceptible de balancer des choses comme le mordant "Paradise Ventilator". Non vraiment : c'est un authentique album de genre. Qui ne s'écarte que peu des clous, il faut le reconnaître. Mais qui se dépatouille remarquablement bien des figures imposées et s'impose, c'est le cas de le dire, comme le meilleur disque de grunge qu'on ait entendu depuis des années.

De genre il est également question sur Love & Desperation, le premier opus du super-groupe Sweet Apple ; peut-être même d'exercice de style. Là où la chronique devient amusante, c'est que derrière ce pseudo se cachent un Dinosaur Jr (J Mascis), parrain du grunge de son état, deux Cobra Verde (John Petkovic et Tim Parnin), fleuron de la scène alternative du début des nineties, et un Witch (l'innénarrable David Sweetapple), fameux groupe de stoner (où l'on retrouvait d'ailleurs déjà Mascis, en tant que batteur) aux connexions grunge évidentes. Et que jouent-ils donc, ces gens ? Si la pochette ne vous a pas encore fourni la réponse (*), sachez qu'il s'agit de glam-rock. Avec des variantes et une production très contemporaine, mais sans le moindre doute possible tant le premier morceau (brillant "Do You Remember") donne l'impression que Gary Glitter a ressuscité (je sais, il n'est pas mort - juste planqué quelque part).


Là aussi, les codes du genre sont globalement respectés, à l'exception d'un titre - au demeurant très bon - sonnant comme une face B. de Dino ("I've Got a Feeling"). De beaux riffs gras et entêtants ("Can't See You", "Somebody Elses's Problem"), un joli groove électrique ("Hold Me, I'm Dying"), une pop énervée un peu Big Star sur les bords ("It's over Now")... et bien sûr un fun assumé et jubilatoire. Ça bande les muscles non sans élégance, ça se la raconte grave par moments ("Flying up a Moutain", c'est un peu comme du Wolfmother... mais en bien). C'est particulièrement rafraîchissant.

Rien qui soit susceptible de changer la face du rock ? Effectivement. Ce n'est pas le but - ce sont des albums de genre. Ils brillent avant tout par leur efficacité, leur immédiateté et dans les deux cas - ce n'est pas un hasard - leur sens de la dérision. A consommer sans modération.


Nothing Hurts de Male Bonding (2010)





Love & Desperation de Sweet Apple (2010)



(*) Au cas où vous seriez un troglodyte précisons qu'il s'agit d'un pastiche de celle de Country Life, de Roxy Music.
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15 commentaires:

  1. "aussi improbable que cela puisse paraître en 2010... du grunge"
    En meme temps, après le revival cold wave et shoegaze, ca sentait très fort le revival grunge. Mais je ne l'attendais pas si tot (cela dit, tant mieux, les Jesus and Mary Chains ca n'a jamais été mon truc).

    Sinon le post grunge, c'est qui?

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  2. Sur le Male Bounding, j'ai d'abord écrit une chronique sur le même ton que la tienne et, ensuite, chose tout-à-fait exceptionnelle, après dix écoutes, j'ai revu ma note à la hausse et ajouté que cela me semblait être tout de même un peu plus que de la jubilation simple et immédiate, ce cross over improbable entre Nirvana et les Buzzcocks (plus que du grunge).

    Perso, pour les bons petits albums de division 2, et sans renier le bonheur simple, les écoutes ne se multiplient pas au-delà de trois ou quatre...


    Question : suivras-tu le même chemin???

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  3. Petite préférence pour Sweet Apple, ce qui n'est pas surprenant ;)

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  4. En sachant combien j'aime les derniers Pearl Jam et Alice In Chains, j'ai envie de dire que tout est possible :)

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  5. Comme le chef de maison ne parle pas, j'y reviens à propos de Male Bonding. La violence et l'adoption de certains gimmicks et poses musicales sont absolument pompés "grunge". Mais faut pas croire que ça ait une allure de Pearl Jam.

    Car c'est résolument punk et british aussi. Les morceaux sont formatés hyper courts et efficaces. Ca donne une folle envie de sautiller et de danser (ce qui ne m'est tout de même jamais arrivé avec le grunge ou alors danse de la mort destroy). Si j'osais, je dirais que ça a un caractère quasi pop...

    Buzzcocks + Nirvana, je dis...
    :-)

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  6. J'arrive, j'arrive ! :-)

    Je suis assez d'accord avec ta dernière remarque. En fait, c'est à peu près ce que je voulais dire en parlant de facette alternative.

    D'ailleurs à propos de Pearl Jam j'ajouterai, un peu taquin, que pour moi ce groupe (dont je suis fan - pas de méprise) n'a jamais été un groupe grunge. Plutôt un groupe de hard-rock qui a accidentellement eu du succès à ce moment de l'histoire où les labels signaient à tourne-bras tous les groupes indés de Seattle. Son histoire plaide d'ailleurs en ce sens. On ne peut pas dire que Mother Love Bone soit un parrain du grunge au même titre que l'étaient à la même époque les Screaming Trees, Dino ou les Melvins. Green River déjà plus, mais on retrouve finalement peu de ce groupe dans la musique de Pearl Jam...

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  7. boah et ma question, elle pue du fion?? (oui, je suis poète à mes heures...)

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  8. Mais non mon bonhomme...

    Alors citons en vrac : Creed, Staind, Nickelback, 3 Doors Down, 30 Seconds to Mars (qui doit pas mal à Tool aussi), les Vines évidemment... et bien sûr Bush. Des groupes qui n'ont jamais vraiment eu bonne presse en France, mais qui continuent à vendre des palanquées de disques aux USA en pompant trois gimmicks à Nirvana et deux à Pearl Jam...

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  9. C'est vrai que Creed se faisait bien descendre par les critiques, moi je détestais pas à l'époque. par contre les Vines, c'est vraiment du sous Silverchair/Nirvana avec 15 ans de retard...

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  10. Ah... Je me rappelle encore quand les vines sont sortis. J'adorais. En meme temps je découvrais Silverchair et j'adorais. Et je trouvais "Kryptonite" de 3 Doors Down pas si dégueu que ça.

    Puis j'ai eu 17 ans. :-)

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  11. Dans le genre "inutile et attachant", il y a aussi les Futureheads, dont Lyle vient de parler :

    http://www.danslemurduson.com/archive/2010/05/10/album148-the-futureheads-the-chaos.html

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  12. hé hé Guic, très bon... j'avoue que je ne connais pas les autres groupes, j'ai déjà meme pas eu le temps d'écouter les derniers Pearl Jam...

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  13. Je savais bien qu'en écrivant cet article certains se sentiraient encouragés à dévoiler certains coupables penchants ;-)

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  14. C'est peut-être idiot, Male Bonding me fait penser aux Flaming Lips des débuts.

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  15. Des tous débuts, alors. Genre période Hear It Is...

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