samedi 15 mai 2010

Benjamin Biolay - Croisée des chemins

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Isabelle Boulay. Savourez ce nom, vous ne le reverrez probablement pas de sitôt dans un article de ce site. Mais c’est que voyez-vous, à Paris, on mesure le degré de variétude d’un concert au nombre de pipoles, vagues célébrités et autres visages connus que l’on y croise. La dernière date du marathon de Benjamin Biolay au Casino de Paris se situe de ce point de vue à environ 6,5/10 sur l’échelle de la hype, score honnête si l’on considère que c’est le Xème concert du chanteur dans ces lieux, et qu’Isabelle Boulay + une actrice de Plus belle la vie dont on ne sait heureusement pas le nom + un vague présentateur d’i-Télé… c’est quand même moyennement hype et très peu pipole. Heureusement, Philippe Val était là pour remonter le niveau. Paraît même que l’Ex du Héros du soir était présente. Enfin c’est ce qui s’est dit à la sortie.

Tout ceci pourra paraître bien superficiel, mais c’est à ce genre de détail que l’on note qu’attention mesdames et messieurs, on n’est pas au premier concert de rock venu. Ne vous plaignez pas, on vous a épargné la description des fringues du public, même si, comme dirait notre Maître à tous : « chaque détail compte ».

Et c’est bien aux détails qu’il faudra s’accrocher pour retrouver un peu du Biolay que l’on aime depuis toujours dans un début de concert pas bien bandant, pour ne pas dire assez laborieux. Certes, certaines intuitions sont confirmées : comme on le pressentait à l’écoute de l’excellent La Superbe, Benjamin Biolay est bel et bien devenu un interprète, en plus d’un compositeur et arrangeur surdoué. Le contraste avec le personnage chétif et timide, presque autiste, qu’il était sur scène à ses débuts, est saisissant. Biolay habite désormais ses chansons. Mais à quel prix ? Toujours aussi peu charismatique, voilà qu’il compense sa timidité maladive par un jeu de scène assez pathétique, et que je te pointe le doigt vers l’horizon, et que je te mets la main sur le cœur, et que je t’envoie des bisous au public, et que je te lâche des « Je vous aime aussi » et des « Merci du fond du cœur »… quelque part entre le Gainsbourg de la fin (celui qui était trop pété pour se rendre compte qu’il se couvrait de ridicule) et un quelconque concert de Bon Jovi en 1988. Est-ce une parodie, de même que La Superbe s’avère souvent un subtil pastiche ? Si c’est le cas, cela manque cruellement de finesse.

Alors bien sûr, il ressort de tout ceci une certaine fragilité. Biolay donne par instants l’impression de n’être absolument pas à sa place sur scène, ado timide se retrouvant malgré lui sous les spotlights et faisant l’intéressant comme il peut. Il faudrait alors voir dans le curieux choix d’ouverture que constitue "Tout ça me tourmente" un genre de message subliminal : « Tout ça me tourmente / Tout ça me tourmente un peu / La douleur m’éventre, la douleur m’éventre / Mais je ris dès que je peux /Tout ça me tourmente, tout ça me tourmente / Tout ça me tourmente un peu / Mais dès 20h30, oui dès 20h30 / Je n’ai pas le cœur, je n’ai que ma queue. » Et en effet, on sera plus souvent dans la queue que dans le cœur. Voir un fan de Bryan Ferry manquer à ce point de classe et de distinction a quelque chose de troublant, d’autant que le contraste avec la richesse et la subtilité de la musique est pour le moins perturbant.

C’est que le groupe derrière assure remarquablement, à l’aise dans tous les registres et d’une précision quasi chirurgicale. Durant les cinq, six premiers morceaux, c’est même clairement lui qui porte le concert, tandis que la star cherche ses marques, plus à l’aise sur les chansons nerveuses ("Si tu suis mon regard", "Dans la Merco Benz") que sur des titres calmes qu’il expédie avec un rare manque de passion ("Night Stop", notamment… pourtant une des plus grandes chansons de son répertoire). L’ambiance se réchauffe toutefois un peu, et lorsque arrive l’intermède au piano le niveau remonte nettement. Biolay semble soudain beaucoup plus à l’aise (parce qu’il est recroquevillé sur son instrument et ne voit pas le public ?) et délivre une poignée de titres particulièrement touchants, notamment le toujours très beau "Novembre toute l’année".

A partir de là, c’est un tout autre concert qui débute. Plus dur, plus dansant, plus surprenant… et tout simplement bien meilleur. Ce dernier tiers sera même par instants carrément exceptionnel, montrant un Biolay devenu subitement capable de se lâcher sans en faire des caisses et des caisses. "La Superbe" n’a jamais aussi bien porté son nom, noisy à souhait et autrement plus convaincante à elle seule que quasiment tous les titres qui l’ont précédée. Le groupe s’emballe, se met à jouer réellement plutôt qu’à simplement accompagner, l’ensemble se fait plus cohérent et enfin – à ce stade on n’y croyait plus – Biolay enlève les petites roues. Une métamorphose en direct live du Casino de Paris, devant un public conquis (ce qui ne veut rien dire en l’occurrence, les spectateurs ayant fait preuve d’une incroyable ferveur même dans les passages où le show était clairement mauvais), et qui sera couronnée par une version apocalyptique et sensationnelle d’'À l’origine' (il est vrai l’une des meilleurs chansons de son auteur). Pesante, heavy, presque malsaine, et s’achevant dans un tourbillon noise aussi inattendu que sensationnel. On entrevoit alors ce qu’aurait pu être ce concert si l’artiste avait eu un peu plus le goût du risque, et peut-être aussi un peu plus confiance en ses qualités de performer, largement malmenées (par lui-même) durant une bonne moitié de la soirée. Premier rappel de la soirée, "Négatif" s’inscrira dans la même lignée, épique et méconnaissable. "Padam", funky comme pas permis, revêtira pour sa part des accents de "Fame" (de Bowie/Lennon, hein… pas la série à la con). Elle parle d’ailleurs peu ou prou de la même chose. "Les Cerfs-volants" seront un joli moment de grâce, quant à "Brandt Rhapsody", concluant deux heures et demi de spectacle, elle sera délivrée exactement comme on le supposait : minimaliste, sans chichi, duo hip hop déchirant déguisé en pastiche de nouvelle chanson française.

Qu’en retenir alors ? Eh bien. On ne sait pas trop. L’ensemble s’est avéré bien trop foutraque, bien trop inégal pour tirer de véritables conclusions. Le bilan est mitigé, et si jusqu’alors on prédisait volontiers à Biolay une carrière à la Bashung, on a désormais quelques doutes. L’immense auteur de L’Imprudence, lui, était capable sur scène d’une radicalité que celui de Trash Yéyé n’effleure que par éclats. A ce stade de son étonnante trajectoire, il pourrait tout aussi bien virer Polnareff, ce qui n’est guère un compliment sous notre plume. L’éviter pourtant ne serait pas bien difficile : il suffirait de chercher à surprendre, à déranger, à faire un peu plus que donner au public variét’ (soit donc une bonne moitié de l’assistance ce soir) ce qu’il attend. Le prochain album devrait nous dire si l’on a eu raison de considérer Biolay comme le plus grand sonwgriter français, ou si le succès et la pipolisation auront fini par avoir sa peau.