jeudi 20 mai 2010

Ambitions à la hausse

...
Je me souviens très bien de ce jour de 1999 où un communiqué de presse annonça que Bruce Dickinson réintégrait Iron Maiden, flanqué du sympathique Adrian Smith. La planète metal, comme l'on pouvait s'y attendre, était en ébullition. On parlait du retour du plus grand groupe de metal de tous les temps (sans doute Black Sabbath et Motörhead puaient-il le pâté), on fantasmait sur l'invraisemblable passage du groupe à trois guitaristes, sur la tournée à venir. On spéculait sur les motivations du groupe, comme s'il était besoin de les chercher bien loin (*). Moi, j'étais surtout un peu surpris et peiné pour le gentil Blaze Bailey, qui avait assuré l'intérim' durant six ans et deux albums et qu'on avait remercié du jour au lendemain, parce que ça y était : la diva avait décidé de revenir (et de payer ses impôts). Allez savoir pourquoi, cet aspect des choses m'a particulièrement choqué à l'époque. Pourtant je n'étais pas fan des albums de Maiden avec Bailey (de toute façon c'était impossible). Je détestais son précédent groupe (Wolfsbane). Lui-même est parti sans faire d'histoires, avec une rare dignité. Mais je ne sais pas : cela m'a peiné quand même. Peut-être parce que j'avais la désagréable impression que les intégristes du groupe avaient fini par avoir sa tête après l'avoir critiqué non-stop durant des années (on le surnommait Blame Bailey), souvent de manière injuste : si l'on écoute chronologiquement les disques de Maiden des 90's, soit donc deux avec Dickinson et deux avec Bailey, il est assez évident que le déclin du groupe était déjà largement entamé avant même qu'il soit recruté. No Prayer for the Dying (longtemps considéré comme leur pire album) et Fear of the Dark sont tout de même des disques franchement moyens, à côté desquels la paire d'opus featuring Bailey (The X-Factor et Virtual XI) n'a pas spécialement à rougir.

Cette introduction faite, je passe sur la tournée peu excitante qui suivie pour en arriver à Brave New World, au titre fort mal choisi tant il était évident que l'idée était plutôt de renouer avec un passé glorieux et on ne peut plus lointain. J'avoue être aujourd'hui encore assez surpris par la qualité sidérante de cet album, probablement le meilleur que Maiden ait approduit après les années quatre-vingt (le dernier en date, A Matter of Life & Death, était également assez réussi). Mine de rien, le sextette anglais faisait mentir toutes les statistiques relatives aux reformations - il est vrai un poil moins courantes à l'époque. Rien - ou disons : pas grand-chose - de poussif dans ce douzième album studio, une inspiration indéniable, quelques excellents morceaux et surtout un refus de s'enfermer dans le passé on ne peut plus respectable. Honnêtement, j'ai adoré Brave New World à sa sortie. Le temps a bien sûr fait son œuvre depuis, mais si quelques réserves ont pu naître au fil des années mon avis est resté foncièrement le même.

Oh bien sûr, c'est du Maiden. C'est quasiment un genre à part entière, avec ses figures imposées (la power-ballade de service - "Blood Brothers", le traditionnel hommage à la littérature SFFF - "Out of the Silent Planet", l'inévitable digression progressive - "The Thin Line Between Love & Hate"...), ses codes et ses références internes. Personne n'attendait autre chose, on ne voit pas trop ce qu'on pourrait bien chercher dans un album de Maiden à part du Maiden. Mais ce n'est pas un de ces albums poussiéreux où de vieux machins se reposent sur leurs lauriers et s'auto-plagient durant une heure. Le son, tricoté par Kevin Shirley, est notamment d'une modernité indéniable. Les compos elles-mêmes témoignent de quelque chose qui avait presque totalement disparu des albums du groupe depuis 1988, à savoir de l'ambition. La comparaison avec son prédécesseur, Virtual XI, est éloquente : quand on le réécoute, on a l'impression d'entendre inlassablement le même morceau. Tous sont construits pareils, avec des refrains bébêtes clairement calibrés pour faire chanter les stades. S'il fallait ne reconnaître qu'une seule qualité à Brave New World, ce serait de se situer à l'exact inverse de cette dérive. Et d'être, sinon vraiment inventif, du moins réellement inspiré dans sa manière de naviguer au sein d'un univers on l'a dit extrêmement balisé. Il est frappant de noter qu'à l'exception de "Ghost of the Navigator", on trouve ici peu de ces cavalcades typiques du groupe, peu de morceaux ouvertement speed-metal. Mieux (ou pire, selon ce que l'on aime ou non d'un groupe), la production très aérée (et très réussie) fait souvent sonner Brave New World plus rock que vraiment heavy, ce qui n'aura pas manqué de décontenancer certains fans.

Beaucoup n'hésitèrent donc pas à parler d'album "commercial"... terme qui fait toujours sourire appliqué à un groupe comme Iron Maiden, qui n'a jamais été une petite bande d'enragés indie. En plus, c'est assez faux. Car dans le fond, ce que contient implicitement ce reproche, c'est le regret de ne pas avoir le groupe reformé se livrer à plus de racolage. Quand on est Iron Maiden, faire un disque commercial consiste plutôt à décliner une formule comme le fit le groupe dans les nineties. Des trucs comme Fear of the Dark ou X-Factor sont beaucoup plus "faits pour vendre", c'est une évidence. En tout cas c'est sûr que ce n'est pas fait pour écouter. Ce n'est pas la moindre des qualités de Brave New World que d'avoir su, en dépit de quelques titres sans intérêt, replacer Maiden du côté de l'artistique - aussi discutable que puisse sembler l'utilisation de ce terme à certains lecteurs de ce blog.


Découvrez la playlist Brave New World avec Iron Maiden


Brave New World, d'Iron Maiden (2000)




(*) Rappelons qu'en 1993, sur la dernière tournée précédent le split, la situation au sein du groupe était si désastreuses que Dickinson et Harris réussissaient la prouesse de ne jamais se croiser... même sur scène.
...

22 commentaires:

  1. Un grand penseur a dit : "Il y a deux choses qui ne changeront jamais concernant l'adolescence. La première est désagréable, ne se soigne que l'âge aidant et fait fuir les filles. On l'appelle acné. La seconde est désagréable, ne se soigne que l'âge aidant et fait fuir les filles. On l'appelle Iron Maiden."

    RépondreSupprimer
  2. Amusant ça... On dirait que malgré l'âge, Iron Maiden fait toujours fuir les commentateurs, quand même.

    (Euh, sinon, j'ai jamais écouté cet album, alors je ne saurais en dire quoi que ce soit d'intéressant. Article vachement bien et instructif, cependant (j'ignorais ces aléas de l'histoire qu'a vécu la Vierge de Fer))

    RépondreSupprimer
  3. J'aurais dû parler de Dio ! :-)

    RépondreSupprimer
  4. Dernier Maiden acheté, apprécié à l'époque, maintenant pffff Bruce Dickinson tout est dit :-D

    Un album de Maiden moderne, une surprise en somme. Delà à le réécouter maintenant, je passe :-P

    RépondreSupprimer
  5. Bouais, Maiden pour moi c'est les 80's, voire seulement Di'Anno, voire seulement le premier album, voire seulement son premier morceau, l'hymne "Prowler".

    RépondreSupprimer
  6. Doc >>> tu ne me feras pas croire que tu as jeté ton pantalon violet à paillettes ;-)

    Idlewoodarian >>> voire seulement le premier EP en 79 ^^

    RépondreSupprimer
  7. Je n'aime pas beaucoup cet album... Bien aimé à sa sortie (j'étais petiote, j'y connaissais rien), mais là en le réécoutant, je le trouve un peu... Je sais pas, léché. Je trouve que la production est super propre, et que du coup il est tout lisse, il perd en puissance.
    Après, il se trouve que j'adore Fear of the Dark, donc bon ;)

    RépondreSupprimer
  8. Je plussoie avec Kalys, Fear of the Dark c'était le premier (et dernier) album des Maiden que j'ai acheté avec mon pauvre argent de poche, genre 16,666FF/100FB par mois à l'époque du haut de mes 16 ans. C'est celui que je préfère mais c'est un plaisir coupable que j'assume entièrement :-D bon je découvrais pram, pixies, le floyd, les flying saucer attack pour me dédouaner, aie pas frapper sur le name droping christophe, putain aieuuu

    RépondreSupprimer
  9. "De toute façon, Maiden depuis Prowler", c'est une sorte de private joke sur un forum d'amateurs de metal que je fréquente. Du coup, ça me fait toujours rire quand je lis un truc dans le genre sur le net (G.T. avait fait le coup dans son article sur le hard 80es je me souviens). Merci donc à Idlewoodarian d'avoir éclairé ma journée.

    Tout à fait d'accord, un très bon album d'Iron Maiden qui en fin de compte n'a pas grand chose à envier aux productions 80es du groupe. (je le trouve bien meilleur qu'un "Somewhere In Time" par exemple, et tout aussi bon qu'un "Number of the Beast" ou que le premier album). Retour de l'inspiration, de la mélodie et des bonnes compos après les années de disette, une production résolument moderne (Iron Maiden n'avait jamais sonnée aussi puissant) et un je ne sais quoi de neuf et de frais (notamment le côté ultra-mélodique de certains titres).

    2-3 trucs quand même :

    - A mon avis, le déclin du groupe dans les années 90 est dû avant tout au départ d'Adrian Smith après "Seventh Son" pour divergences musicales : Smith voulait continuer dans la voie sophistiquée des derniers albums, tandis que Harris voulait revenir à des trucs plus basiques et bruts, dans la veine de "Killers" : ça nous a donné la daubasse "No Prayer For the Dying" et les errances du groupe dans les 90es. Effectivement, quand Dickinson est parti, le mal était déjà fait.

    - "Des trucs comme Fear of the Dark ou X-Factor sont beaucoup plus "faits pour vendre", c'est une évidence." Pas trop d'accord concernant X-Factor. L'album est moyen (trop long, répétitif, peu accrocheur), mais bon, y a une certaine prise de risque et une volonté de renouvellement de la part du groupe (plus sombre, plus "progressif", moins accessible, ambiances sombres et "médiévales" inédites). L'album a plein de défauts, mais on peut difficilement lui reprocher d'être racoleur ou d'appliquer une recette.

    - "La comparaison avec son prédécesseur, Virtual XI, est éloquente : quand on le réécoute, on a l'impression d'entendre inlassablement le même morceau. Tous sont construits pareils, avec des refrains bébêtes clairement calibrés pour faire chanter les stades." Je voudrais pas dire, mais c'est pas spécifique à Virtual XI, ça. C'est même des défauts assez récurrents chez Maiden, notamment sur de bons albums ("Somewhere In Time" en tête, ainsi que "A Matter of Life and Death"). Quant aux refrains bébêtes... "A Brave New World A Brave New World A Brave New World" "We're Blood Brothers We're Blood Brothers We're Blood Brothers", si c'est pas bébête ^ (sans oublier la quasi totalité des chansons de "Somewhere In Time"). Celà dit, ça change pas grand chose sur le fond : "Virtual XI" est une merde (j'aime bien "The Clansman" et la ballade nulle de fin, celà dit).

    RépondreSupprimer
  10. Bon article et je suis relativement d'accord avec toi, sauf sur quelques passages sur le commercial (mais ca, je pense qu'on peut tous en avoir une idee differente).

    Par contre, je pense que tu aurais pu glisser un mot sur le Rock In Rio, double album live de la tournee Brave New World (parce qu'a partir de celui la ils sortent un double live apres chaque studio...) qui est vraiment excellent, qui reprend la majorite des titres Brave New World, et qui est, avec Killers (mon premier amour) le seul que je peux encore ecouter des Maiden.

    RépondreSupprimer
  11. Merci de faire mentir Guic' !

    Je passe sur la séquence nostalgie (le premier disque que j'ai eu devait être signé Chantal Goya, c'est pas pour ça que j'en ai les larmes aux yeux en y repensant ^^).

    The Shaman >>> ah mais pour moi BNW est carrément mieux que cette boursoufflure de SIT, aucun doute !

    Pour ce que tu dis à propos des refrains bébêtes en revanche, je ne suis pas tout à fait d'accord : c'est particulièrement marqué sur Virtual XI, pas tellement dans les refrains mais dans la construction des morceaux qui est quasiment toujours la même sauf sur le premier titre (horrible par ailleurs) et le dernier (qui c'est vrai est très bien). Sur X-Factor ou FOTD, pourtant tout aussi ratés, le groupe n'a quand même pas atteint un tel degré de renoncement à tout début d'ambition... et là je ne parle même pas du concept de VXI, de la crétinerie des paroles (ce qui aura le plus manqué de Dickinson, dans le fond, c'est moins sa voix que son humour) ou du jeux vidéo pitoyable qui va suivre (cela dit si tu n'y as jamais joué c'est une expérience à vivre ;-)

    Tireub >>> je n'avais pourtant pas l'impression d'avoir dit quelque chose de particulièrement original sur le commercial ^^

    RépondreSupprimer
  12. Pour me la jouer snob, je dirais que le meilleur live de Maiden, c'est Maiden Japan ^^

    RépondreSupprimer
  13. Concernant les refrains et les structures, je donnais l'exemple de Somewhere in Time : mélodie de guitare en intro, couplet speedé et agressif avec Dickinson qui s'époumonne, refrain monophrase ("Caught Somewhere In Time Caught Somewhere In Time Caught Somewhere In Time", "Heaven Can Wait Heaven Can Wait Heaven Can Wait"), pont instrumental, couplet-refrain, break/solo, couplet/refrain. Répête ça sur tous les titres de l'album. C'est pas le seul album dans ce cas, les compos de AMOLAD sont très semblables également dans leurs structures (toujours les mêmes intros/outros calmes en arpèges, les mêmes montées en puissance en fin de premier couplet, des refrains très semblables d'un titre à l'autre etc). Ca n'en fait pas des mauvais albums pour autant (les compos de ces deux albums sont globalement d'un bon niveau), celà dit. C'est ce que je voulais dire par des "défauts récurrents chez Iron Maiden".

    Concernant les paroles de VXI, tu veux dire qu'elles sont pires que d'habitude? (j'avoue que je me suis pas spécialement penché dessus, déjà que la musique est pas franchement engageante) Pas testé le jeu non plus (et je vis très bien sans).

    Pour en revenir au commercial, la musique du groupe l'est ni plus ni moins que d'habitude. L'aspect "commercial" concerne davantage l'"autour" (les multiples sorties de lives et de DVD notamment). Après, faut pas se leurrer, cette reformation est davantage un mariage de raison qu'un mariage d'amour. Ce qui ne les empêche pas d'être revenus à un bon niveau.

    RépondreSupprimer
  14. A quand une chronique assasine de "The Final Frontier"?

    RépondreSupprimer
  15. Je l'ai même pas encore écouté. Mais j'ai du mal à croire qu'il puisse être vraiment mauvais...

    RépondreSupprimer
  16. "Fear of the Dark, album franchement moyen". J'ai cru m'étrangler en te lisant! J'ai relu et re-relu, y avait-il une faute de frappe, une erreur de syntaxe, mais non tu le pensais vraiment. Je me permets de te dire qu'il faut absolument que l'écoute à nouveau... sans boules quiès!! Quels arguments peux-tu donner pour qualifier de moyen un album qui contient Afraid To Shoot Strangers et Fear Of The Dark!?!
    Meilleures Salutations

    RépondreSupprimer
  17. Je suis pourtant loin d'être le seul à le penser ou à l'avoir l'écrit. Les critiques étaient déjà plus que mitigées à l'époque, y compris chez les fans, et personne n'a vraiment été surpris par le départ de Dickinson...

    Disons que c'est un album plutôt pas mal, mais assez loin tout de même des meilleurs du groupe. Et ce n'est certainement pas la ballade MTV "Afraid to Shoot Strangers" qui risque de me faire changer d'avis ;-))

    RépondreSupprimer
  18. Cher Thomas, étant un récent lecteur de ton blog , j'imagine ne pas être aussi maléable que tes lecteurs récurrents, peut-être suis-je aussi plus âgé..! Qu'est-ce que je me fous que tu parles des pseudos critiques de l'époque, j'imagine que tu parles des inrocks ou de rock et folk (j'aimerais d'ailleurs que tu me sortes un article, scanné si possible, d'une critique défavorable de Fear Of hhe Dark), moi, je me souviens parfaitement parfaitement des louanges de NME (autrement plus crédibles par ailleurs) sur cet album!!! Attention à ne pas confondre album rentable commercialement et album commercial préfabriqué par Steve Harris pour être vendu... Quant à la séparation d'avec Bruce, tout le monde sait que les tensions apparues durant la tournée de FEAR OF THE DARK, l'album majeur (au niveau des tunes c'est vrai :-) ) des années 1990 pour Maiden, se sont soldées par ce qui est arrivé... ABE
    A+

    RépondreSupprimer
  19. C'était MOI!! Désolé c'est l'âge..

    RépondreSupprimer
  20. NME, légitime ? Je ne lis pas les Inrocks (ni R&F), mais NME légitime, quand même, ça doit faire très longtemps que tu ne l'as pas lu :-)

    Pour "Afraid..." je sais bien que je charrie, d'autant qu'il n'est même pas sorti en single. J'avais mis un smiley, pourtant !

    RépondreSupprimer
  21. (cela dit je n'aime pas ce morceau, mais je n'aime pas les ballades de Maiden en général - à part "Children of the Damned", bien sûr)

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).