samedi 17 avril 2010

Suicide collectif ?

...
Que reste-t-il lorsqu'il n'y a plus rien ? Que reste-t-il quand un album qui a considérablement marqué votre vie se voit recalé à l'entrée du Panthéon sous le fallacieux prétexte que vous avez vieilli ? La rubrique 10 Years After tourne autour de cette question depuis le premier jour, mais elle ne s'y ait jamais collé de front jusqu'à présent. Bien sûr, j'ai pu adorer à l'époque tel album de Filter ou tel opus de silverchair. J'ai pu réviser mon jugement sur tel refrain poussif de Muse. Mais je n'ai jamais été confronté pour l'heure au moment où je devrais vraiment démolir un truc qui a réellement compté, un truc qui a marqué mon imaginaire. Quelque part, les hasards des calendriers ont fait qu'après treize numéros j'ai plus ou moins louvoyé.

J'avais très peur d'attaquer cette chronique parce que j'ai rarement aimé un groupe autant que j'ai aimé les Smashing Pumpkins. Or aujourd'hui, je n'oserais plus dire que c'est mon groupe préféré - et si je m'y replonge au moins une fois par an on peut pas dire que ce soit celui que j'écoute le plus régulièrement (ne me demandez d'ailleurs pas quel est mon groupe préféré, c'est une question totalement stupide à laquelle je n'ai aucune réponse à fournir... peut-être l'indéboulonnable Velvet... ou le Gun Club... Low ou The Coral, pour les groupes contemporains... en fait je n'en sais foutre rien). Alors oui, j'avais un peu peur. Surtout face à MACHINA. Peur d'y découvrir une boursouflure sans nom. Peur de trouver le disque totalement ringard. Peur de voir mon amour pour les Smashing Pumpkins, à l'instar par exemple de mon amour pour Suede, se décomposer... se déliter un peu plus à chaque nouvelle écoute ou chaque nouvelle ride.

Je n'en suis heureusement pas là.

En fait, j'en suis même plutôt au stade où je constate que MACHINA acquiert peu à peu le statut d'albums préféré des Pumpkins, ce qui s'explique sans doute probablement par le fait que je l'aie (un peu) moins usé que les autres, et ainsi que je prenne plus de plaisir à y revenir. Mais sans aller jusqu'à dire qu'à chaque retrouvaille je le trouve plus génial que la fois précédente, il persiste à systématiquement me bluffer aussi bien par la richesse de ses atmosphères, la variété des styles abordés ou la qualité des arrangements. MACHINA, contrairement à ce qui a pu se dire à l'époque, n'est pas un album boursouflé - c'est un album emphatique. Les deux notions sont bien différentes, la première est un défaut confinant à la médiocrité crasse quand la seconde a acquis, excusez du peu, ses lettres de noblesse dans la tragédie grecque. Bon, du calme : je ne suis pas en train de comparer Billy Corgan à Sophocle. D'autant que l'histoire qu'il met en scène dans cet album est bien de notre temps, mélancolique et mystique. Pas facile à vendre, ce qui n'excusera pas Virgin pour l'avoir littéralement plombé - comme l'en accusera à raison Corgan quelques années plus tard. Entre l'épouvantail d'un retour des Pumpkins au rock dur, agité dans tous les communiqués de presse alors qu'une rapide écoute permettait de comprendre qu'il n'en était rien, des choix de singles épouvantables tant ils étaient peu représentatifs de l'œuvre, et une incapacité manifeste à appréhender cet album il est vrai totalement sinueux... la major qui avait fait du quatuor des superstars peut bien se garder une grosse part du gâteau de la responsabilité du split qui survint six mois plus tard.

La vérité, c'est que personne n'a jamais vraiment compris cet album. Ce n'est certes pas un virage à 180 degrés, ni même une rupture radicale avec le passé. Ce n'est pas plus une manière de raccrocher une vague en marche (au contraire, c'est totalement intemporel). Mais MACHINA n'est pas une suite logique à Adore - pas plus qu'à aucun autre disque du groupe. Onirique, vaporeux (la production aide beaucoup), il ressemble presqu'à un fantasme, à l'album curien que Corgan rêvait de réaliser lorsqu'ado il écoutait la trilogie glacée dans sa chambre. C'est évident lorsqu'on écoute "Raindrops + Sunshowers", mais ça l'est encore plus face au torturé "Glass & The Ghost Children" - qui évoque de manière subtile mais appuyée les morceaux les plus psychédéliques de Robert Smith. Corgan n'a jamais caché son amour de la new wave, ni qu'une grosse part de son imaginaire en tant qu'individu puis de son univers en tant qu'artiste s'étaient construits à partir de ce background (on peut bien entendu ajouter à Cure Joy Division ou And Also the Trees). Le dark rock l'a toujours attiré, s'agglomérant à d'autres influences plus contextuelles... et c'est cela qu'on entend sur MACHINA. Pour un kid des années quatre-vingt, aimer la new wave et le heavy metal était développer un penchant totalement schizophrène. Ce n'est qu'une interprétation (partiellement soutenue par les paroles d'"I of the Morning"), mais MACHINA semble tenter de réconcilier les deux versants les plus mélancoliques et labyrinthiques des deux genres pour se métamorphoser en œuvre crépusculaire ne s'aérant réellement que sur la fin (ce sera la pop lumineuse d'"Age of Innocence"). Crépusculaire et, oui : bizarre. Désolée. Tellement désolée qu'à vrai dire, rétrospectivement, on a le sentiment étrange qu'elle a été conçue pour clore l'épopée Pumpkins. Corgan lui-même parlera plus tard de career-killer, de cul entre deux chaises (pas assez heavy, mais pas assez indie non plus). Il ne dira jamais clairement que ce devait être leur dernier album, mais laissera entendre à plusieurs reprises qu'on ne pouvait pas aller plus loin, dans le genre. Ce que prouvera d'ailleurs involontairement le très rétro album de reformation de 2007.



MACHINA/The Machines of God, des Smashing Pumpkins (2000)


...

18 commentaires:

  1. Je suis presque complètement d'accord. Personne n'aime cet album, moi je le trouve bien classe. Ce qui est marrant c'est que je n'aime pas spécialement les autres !

    RépondreSupprimer
  2. C'est marrant... Moi j'ai toujours adoré les Smashing, sans jamais en parler. C'est un groupe que j'aime avec discrétion :) Donc, je ne savais pas que personne n'était censé aimer cet album. Mais je note que là, on est déjà trois!

    RépondreSupprimer
  3. Lol, moi je les aime tous (même Zitgeist c'est pour dire^^) donc je sais pas si mon avis compte :)

    RépondreSupprimer
  4. Moi non plus, les Pümpkins ne sont pas mon groupe préféré. Juste le plus important que j'aie connu, celui qui a changé ma vie, celuyi qui a publié deux albums qui seraient assurément dans mon top 5 d'albums préférés de tous les temps, et...

    Ben j'ai toujours du mal avec Machina. J'en adore vraiment certains titres, d'autres me laisse froids, voir me gênent limite (This Time me saoule, Crying Tree of Mercury me colle mal à l'aise, j'en passe et des meilleures) C'est pourquoi j'ai encore un certain sentiment d'amertume à l'écoute de cet album (Que, finalement, Machina II ne vient compléter qu'à moyen, loin de retrouver l'équilibre, on continue la meme alternance de hauts et bas du 1, avec des titres grandioses, d'autres moins fascinants...)

    Mais je suis pourtant totalement d'accord avec ton appréhension de l'album, et me permet de saluer une critique de haute vollée (surtout que cet album était déjà passé sur ton pupitre lors du Rekap :-), et là le changement d'angle est juste et bienvenu).

    Voilà, typiquement, un album dont je sais qu'il est bon sans véritablement l'apprécier (vu mon échelle et mes gouts, c'est un peu le Sgt Pepper des SP ;-) )

    RépondreSupprimer
  5. mika >>> oui alors ça... c'est assez bizarre, je trouve...

    Kalys >>> comment ça "sans jamais en parler" ?

    Benjamin >>> oui enfin... c'est un peu pareil pour moi. D'ailleurs avec Guic' toi et moi on doit tenir les trois seules personnes à avoir positivement chroniqué Zeitgeist, non ?

    (enfin... Playlist n'existe peut-être pas encore à l'époque... mais bon, je suis sûr que tu en aurais quand même fait une chronique positive que j'aurais adoré ;-)

    Guic' >>> mais en fait sur ton échelle personnelle il y a toujours les Beatles, non ? C'est une échelle à Fab Four Degrees ? :-)

    RépondreSupprimer
  6. Attends, c'est pas sensé être la référence absolue et incontestée, l'étalon de toute échelle Rock n' Rollement valable?
    Les longueurs de Barbes se mesurent en Paul 70s, le mysticisme en Georges, l'engagement en Johns, et le ridicule en Ringos. Non, c'est pas ça?
    Non, ça peut pas être ça. Il n'existe aucune échelle Beatlesienne pour mesurer la calvitie de Billy Machina)

    RépondreSupprimer
  7. Bah non. Tu sais très bien que pour la calvitie on utilise communément l'échelle de Locke ;-)

    RépondreSupprimer
  8. (Je reprends: Il n'existe aucune échelle Beatlesienne de mesure de la calvite de Billy Corgan, qui est de 1.3 Rob Halford durant la période MACHINA.

    RépondreSupprimer
  9. Je voulais dire que, d'habitude, tout le monde est au courant de mes goûts musicaux. Mes amies de l'époque ne pouvaient pas passer à côté de mes découvertes, elles étaient forcées d'écouter tout ce qui me plaisait :) Sauf les Pumpkins... Je sais pas pourquoi, mais quand j'ai écouté Mellon Collie et Adore, je l'ai gardé pour moi. J'ai jamais rien lu sur ce groupe, j'en ai jamais discuté avec personne, en fait, je ne le connais absolument pas en dehors de ses disques.

    RépondreSupprimer
  10. Il n'est jamais trop tard pour bien faire, alors :

    http://legolb.over-blog.com/article-13649504.html

    ;-)

    RépondreSupprimer
  11. C'était passionnant, merci! Je salue au passage la richesse de tes chroniques. D'après moi, tu as su trouver l'équilibre entre l'érudition et les considérations personnelles. Bravo!

    RépondreSupprimer
  12. Mais de rien :) Sur Internet, on voit trop de gens écrire pour critiquer. J'aime bien dire aux gens quand j'apprécie ce qu'ils font, aussi ;)

    RépondreSupprimer
  13. Merci bis pour Kalys, et un bon gros groooooargh pour Christophe. Pas de jaloux ;)

    RépondreSupprimer
  14. C'est vrai que tes critiques sont passionnantes à lire ! J'ai réécouté pour la première fois depuis, wow, dix ans au moins, le double album Mellon Coly and the infinite sadness (orthographe approximative) ben j'ai trouvé que ça avait vieilli pire que moi (c'est dire...^^). En revanche, je sais je fais du hors sujet, le The Bends de Radiohead a pas pris une ride... mais j'écoute pas beaucoup de nouveautés alors mon avis est sans doute caca boudin !

    RépondreSupprimer
  15. Non, c'est pas idiot... et même plutôt vrai en fait...

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).