dimanche 11 avril 2010

Nick Cave - Putain : vingt ans !

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[Article précédemment paru sur Interlignage] Ça faisait tellement longtemps qu'on ne l'attendait plus que la seule nouvelle est en soi réjouissante : après vingt ans de silence littéraire, Nick Cave s'est enfin décidé à écrire un second roman et à le faire parvenir à des fans évidemment reconnaissants. Ce qui n'empêche pas un soupçon d'inquiétude tant le vide succédant à ... and the Ass Saw the Angel nous évita pendant longtemps de nous demander ce que Cave valait réellement comme écrivain. Pas comme poète déjanté, sonwgriter lettré ou comme prophète psalmodiant sa Secret Life of the Love Song au cours d'une lecture radiophonique si intense qu'elle fut rapidement immortalisée sur disque. Non : comme écrivain. Comme romancier, capable (ou pas) de tresser une intrigue, de rythmer une narration et d'imposer des personnages.

C'est qu'... and the Ass Saw the Angel, malgré d'indéniables qualités, avait bien des défauts que son aura culte et son côté unique nous avait autorisés à oublier. Tant que Nick Cave ne le se la jouait pas écrivain-un-vrai-un-dur, tant que l'expérience était ponctuelle, ce n'était pas si grave qu'... and the Ass Saw the Angel parte dans tous les sens, qu'il soit bourré de longueurs et que le style y soit terriblement ampoulé - à des années lumières du sens de l'épure et de la sobriété habitant même ses plus mauvais morceaux. Ce n'était pas grave, parce qu'... and the Ass Saw the Angel comptait pour nous. C'était LE roman de Nick Cave, une extension malade et blafarde à son univers, et c'était - objectivement - un livre tellement original et singulier que cela suffisait à nous faire nous dire que Nick Cave aurait pu faire un grand écrivain.


Et puis voilà : vingt ans après, The Death of Bunny Monro vient remettre tout cela en cause. Il existe, il est là et est fatalement plus qu'une version roman d'albums qu'on adore : il s'inscrit désormais dans une œuvre littéraire et doit être jugé à l'aune de celle-ci, plus seulement parce que c'est Nick Cave et que Nick Cave, sur ce blog, est considéré comme un Dieu vivant.

Première bonne nouvelle : l'univers y est tellement sordide et poisseux qu'on a réellement l'impression que "No Pussy Blues" - sans doute le meilleur titre récent du Caveman - résonne à nos oreilles durant toute la lecture. Clairement, l'auteur est allé déterrer sa facette la plus déjantée plutôt que le romantisme baudelairien l'habitant en secret (et qu'il ne révèle plus que ponctuellement depuis ce jour de 2003 où il décida de redevenir - enfin - un rockeur). Si ... and the Ass Saw the Angel était clairement influencé par Faulkner, The Death of Bunny Monro aurait pu pour sa part s'intituler As I Stand Dying, brossant l'inexorable avancée d'un pauvre type vers une mort annoncée dès le titre. Disons le franchement, il fallait au moins que l'auteur s'appelle Nick Cave pour que l'on supporte une telle surenchère dans le glauque et la violence, un misérabilisme si pesant et une satire tellement outrancière qu'une adaptation de Cormac McCarthy par les frères Coen semblerait à côté douce et chaleureuse.

Mais ce qui frappe surtout (et c'est la seconde bonne nouvelle), c'est que l'écriture de Cave a considérablement mûri et a gagné en force ce qu'elle a perdu en vocabulaire (*). D'une certaine manière, dans ... and the Ass Saw the Angel, Nick Cave s'épargnait la peine d'installer méthodiquement le cadre du récit (c'est ce qui lui conférait son côté si barré) : il était Nick Cave, ses lecteurs connaissaient déjà son univers, pas la peine de s'attarder. Ici, tout en signant un roman bien plus compact et rythmé, il prend malgré tout le temps de soigner l'exposition, la construction, et son style totalement chaotique fait des merveilles. Chaotique et même à la limite de l'épilepsie par moment, ce qui pourrait le rendre totalement illisible mais lui confère une densité et une originalité surprenantes : The Death of Bunny Monro évoque plein d'auteurs mais ne ressemble à aucun, comme si Nick Cave était cette fois parvenu à parfaitement insinuer sa personnalité torturée et son univers mystico-foutraque dans son récit. Le résultat, c'est une étrange sensation qui nous avait déjà étreint (mais de manière plus succincte) avec son précédent livre : celle que le roman que l'on lit s'insère parfaitement dans l'œuvre plus globale de Cave, qu'il en est la représentation littéraire la plus parfaite. De même qu'... and the Ass Saw the Angel ressemblait à ses albums de l'époque (principalement à Tender Prey, mais il préfigurait aussi d'une certaine manière les suivants), celui-ci ressemble, dans le ton, dans la couleur, dans le côté rêche et bluesy, aux récents Grinderman et Dig!!! Lazarus, Dig!!!. La différence c'est que The Death of Bunny Monro, en tout point brillant, se suffit à lui-même. Et qu'on peut même se retrouver à faire ce que je vais faire : vous conseiller de le lire, même si vous ne connaissez pas ou mal la discographie de son auteur.

 

The Death of Bunny Monro [La Mort de Bunny Monro], de Nick Cave (2009)

 


(*) ... and the Ass Saw the Angel était en effet écrit dans un langage particulièremet biscornu. ...

12 commentaires:

  1. Toujours agréable de retrouver Nick Cave, au moins en écoute.
    Je n'ai pas encore lu ce roman (j'avais adoré le premier), mais cela ne saurait tarder.

    Un bon dimanche à vous, cher ami.

    BBB.

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  2. Découvert cette sortie littéraire... j'hésite à me le procurer!

    SysT

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  3. Donc en gros tout le monde là mais personne l'a lu (à part SysT)... eh bah bravo ;-)

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  4. j'ai acheté le livre (il est dans la pile depuis un certain tps) et je lirai... ta chronique, quand j'aurai lu le bouquin ;-!

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  5. Je savais même pas que mon héros écrivait :s
    Je suis une piètre fan ...

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  6. je tenais à préciser: il est sur ma PAL mais indisponible pour le moment parce que mon homme l'a kidnappé pour le lire. J'ai bien été obligée de me rabattre sur autre chose !

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  7. Alf & Idothée >>> de mieux en mieux ! Heureusement que Sunalee nous a trouvé une excuse décente ;-)

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  8. Ah non je l'ai ni acheté ni lu, moi... mais j'y compte bien :-)

    SysT

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  9. Ben, je l'ai lu par hasard. Savais pas que ça existait, croisé dans une librairie, acheté. Aimé!!!
    Mais dur, dur, si j'ose dire...

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