vendredi 9 avril 2010

The Jon Spencer Blues Explosion - Would You Rock & Roll?

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C’est l’histoire d’un mec qui avait décidé que son groupe s’appellerait Blues Exposion, même s’il était nettement plus explosif que réellement blues. C’est l’histoire d’un mec qui a tout fait, tout vu, tout entendu, mais qui n’a jamais tiré la couverture à lui et ne s’est jamais vendu au plus offrant. C’est l’histoire d’un mec, surtout, qui tint durant des années et à bout de bras le flambeau d’un rock’n'roll que l’on disait alors moribond, et à qui personne n’eut la décence de rendre hommage une fois le genre revenu à la mode.

Jon Spencer sort le best of de son Blues Explosion, silencieux depuis déjà six ans. Quelques mois seulement après avoir publié le meilleur album de son Heavy Trash. Quelques semaines après la sortie d’Amsterdam Throwdown King Street Showdown, projet fou réalisé en la charmante compagnie d’Elisabeth Esselink (aka Solex) et, pour la première fois depuis un bail (dix ans ?), de son épouse Cristina Martinez. Jon Spencer n’a jamais déserté la scène, mais voilà longtemps qu’il n’avait plus été aussi présent. Sauf que le Blues Explosion n’est pas là. On ne sait pas trop bien où il est. Et sans lui, les spotlights ne s’intéressent jamais vraiment à ce que peut bien faire son leader.


Alors va pour le best of. De toute façon, il faut bien dire ce qui est : la carrière du Jon Spencer Blues Explosion a toujours été en dents de scie. Inégale, parfois peu inspirée. Et parfois, aussi, grandiose. Comme lorsqu’il se piquait d’inviter Beck et Alec Empire sur ses albums, histoire de prouver que l’on peut à la fois être un intégriste du rock vintage ET un bidouilleur de talent. Spencer a beau avoir plus souvent été un habile faiseur qu’un génie visionnaire, il aura réussi la prouesse d’exceller dans deux registres totalement antagonistes : le rock’n'roll primitif, volontiers mâtiné de rockabilly et le plus souvent évadé d’une autre époque ; et le rock expérimental, avec travail sonique régulièrement surprenant et plaisante habitude de systématiquement surgir là où ne l’attend pas.

Et puis bien sûr, il y a les lives. The Jon Spencer Blues Exposion y prend toute sa dimension. On peut même considérer à juste titre que le power-trio n’a jamais été capable de publier un disque à la hauteur de ses prestations scéniques. Il fut un temps – les années 90 – où l’on racontait partout que le JSBX (pour les intimes), était le plus grand groupe live du monde. Votre serviteur, qui les a vus des dizaines de fois, confirme. Vous arriviez dans la salle, vous pouviez ne rien connaître du groupe ou de ses chansons… vous ressortiez de toute façon transfiguré et chancelant, ébloui par un groupe d’une classe phénoménale et d’une présence extraordinaire. Sur scène, Spencer se laissait envahir (se laisse toujours, d’ailleurs) par la musique du Diable. Son regard ténébreux, son look austère, tout concordait à lui donner l’air d’un archange exterminateur derrière lequel s’ébrouaient deux petits démons : Russel Simmins, terroriste de la batterie, et Judah Bauer, le petit jeune qui semblait toujours si fier de fouler la scène au côté du Maître.


Il n’est pas interdit de penser que cette copieuse compilation (vingt-deux morceaux tout de même) s’étalant de 1992 à 2002 manque de live. On ne peut cependant s’empêcher de se dire qu’elle est parfaitement à l’image de la discographie studio du groupe, soit donc un joyeux fourre-tout ne s’encombrant pas plus de complexes que de figures imposées, et préférant volontiers aller piocher dans l’inédit ou la rareté au détriment de classiques que l’on aurait cru incontournables – au hasard : Sweet’n'Sour ou I Wanna Make It Alright, dont on regrettera l’absence une seconde avant de se reprendre. Après tout, il n’est pas plus mal que Spencer ait préféré exhumer des titres du désormais difficilement trouvable Xtra-Acme 1, des versions remixées (Flavor, par exemple) ou un extrait du formidable A Ass Pocket of Whiskey, de R.L. Burnside, dont le Blues Explosion s’était improvisé backing-band virtuose au milieu des nineties. Le résultat est – comme toujours – imprévisible, et l’équilibre entre opus relativement préservé – de toute façon derrière le côté foisonnant de la discographie le JSBX n’a en fait publié que six « vrais » albums durant la décennie 1992-2002.

Cela en fait-il une bonne porte d’entrée au groupe ? Eh bien. Oui, en fait. C’est même peut-être le disque qu’on attendait depuis longtemps, infoutu la plupart du temps de recommander un opus plus qu’un autre. C’est ce qui justifie que l’on en parle, alors que les best of sont rarement les bienvenus dans nos pages. Si l’on peut s’étonner de certains choix (aucun extrait du terrifiant live Controversial Negro ???), Dirty Shirt tient ses promesses d’introduction cradingue à l’univers électrique et grand-guignol de Jon Spencer. On espère désormais que le sous-titre The First Ten Years n’est pas un trompe-l’œil. Que le Blues Explosion reviendra un de ces jours nous mettre la fessée. On a l’a bien méritée.


Dirty Shit Rock’n'Roll : The First Ten Years, du Jon Spencer Blues Explosion (2010)