mercredi 21 avril 2010

Don't It Make You Smile ?

...
On n'en a pas beaucoup parlé, mais il y a quelques semaines le médiateur de la République (Jean-Paul Delevoye, nommons-le, vu que personne ne le connaît) a rendu un rapport qui disait en substance : oh là là, ça va pas fort, les français sont déprimés.


Rassurez-vous, ma première réaction a été la même que la vôtre : nan ? sérieux ? Ouh là là, fallait bien que le contribuable finance un rapport pour le savoir... tu m'étonnes qu'on soit déprimé, aussi, à financer des trucs inutiles comme ça... Et pourtant, au fil des jours, l'idée s'est insinuée dans ma petite caboche. Tenace (l'idée, mais ma caboche aussi ceci dit). S'agissait-il - comme il le semblait - d'un formidable enfonçage de porte ouverte ? Ou bien ce rapport traduisait-il autre chose, une certaine réalité qui nous aurait jusqu'alors échappée ? Difficile à dire. Mais comme cette info a priori anodine (après tout, le médiateur rend le même genre de rapport une fois par an) ne voulait pas plus me lâcher que je ne lui trouvais de sens, j'ai fini par tout bêtement... aller lire ce rapport, que l'on peut librement télécharger sur le site dudit médiateur (mais ça non plus, personne ne le sait... ce qui d'une certaine manière illustre merveilleusement une bonne partie du texte, qui évoque entre autres la méconnaissance et l'incompréhension que les français - vous et moi - ont - avons - tous plus ou mois de leurs droits/institutions/administrations). J'ignore si le pdf en question représente le rapport en lui-même ou juste une synthèse, pour être honnête j'avoue ne pas avoir été au bout de ces quatre-vingt-douze copieuses pages. Pas besoin, puisque j'ai rapidement compris pourquoi cette histoire m'intéressait (et vous noterez que c'est tout de même une sacrée bizarrerie que de devoir s'intéresser à un truc juste pour savoir pourquoi il nous intéresse) : pour une fois, on ne nous mesurait pas notre moral en se basant sur la sacro-sainte consommation, mais sur un véritable travail d'enquête, des histoires de gens normaux, des affaires pour certaines totalement banales. Rappelons que le Médiateur de la République, par définition, n'est ni un journaliste ni un sondeur : il est chargé de réfléchir à l'amélioration possible des rapports entre les citoyens et les administrations. Autant dire qu'il a du pain sur la planche tant notre pays est un enfer administratif sans nom (enfin si : ENFER, justement) en ayant rendu fous plus d'un. Que ceux qui ne comprennent strictement rien aux démarches administratives passée leur feuille d'impôt lèvent la main ?

... oh là, s'il vous plaît, du calme. Pas tous en même temps.

Fatalement, lorsque Jean-Paul Delevoye écrit que la société français est "fatiguée psychiquement", le poids est autre que lorsqu'il s'agit d'un simple sondage, d'une enquête d'opinion, d'un article de presse. Il est d'ailleurs intéressant de noter l'emploi de ce mot, psychiquement, qui est tout sauf un mot comme un autre. C'est l'intégralité du processus intellectuel qui est mise en cause. Comme une énorme torpeur mentale. A vrai dire, c'est une formulation carrément radicale qui fait bien plus qu'énoncer une évidence. Aussi me suis-je posé la question en ces termes : m'estime-je fatigué psychiquement ?

Eh bien... oui. Je crois. Je ne suis pas dépressif, mais je me sens - comme vous peut-être - considérablement déprimé. Il suffit de reprendre les éditos du Golb pour voir l'évolution tragique qu'ils ont pris depuis le début. A l'origine ils étaient drôle, ou du moins caustiques. Au fil du temps ils sont devenus graves, désabusés, parfois laborieux. D'ailleurs, il arrive de plus en plus souvent que je n'aie pas envie d'en écrire. Et lorsque je le fais malgré tout, le ton n'a plus grand-chose à voir avec ce qu'il était autrefois. Ce qui reflète, par bien des aspects, l'évolution de ma propre attitude au quotidien : l'emportement, l'enthousiasme, la colère également... ont cédé la place, lentement mais sûrement, à une forme de détachement, de désengagement. La vie pourtant ne m'ennuie pas plus qu'avant. Elle m'ennuie même moins. Mais je n'ai pas le sentiment, si je fais l'effort de me poser la question, de nourrir une foi démesurée en l'avenir. Vous savez ce qu'on dit : on ne sait pas de quoi demain sera fait.

Quel pessimisme que ce vieil adage. Quelle tristesse que de l'entendre encore et encore, plus que jamais. Si je me tais cinq minutes (cela m'arrive souvent, même si vous ne le savez pas), si j'écoute ce que les gens disent autour de moi, je suis terrassé par la peur du lendemain qui les domine, les écrase... c'est frappant par exemple concernant l'actuel débat sur les retraites...

(oui, il y a un débat sur les retraites en ce moment, débat touchant également les gens n'ayant pas les moyens de partir en vacances et qui les auront sans doute d'autant moins demain, fin de la parenthèse désagréable... mais bon, quand même ça va bien leur histoire de nuage, y a quand même plus grave dans la vie que des hommes d'affaires privés de business-class ou des gens qui sont obligés de dé-ou-recaler leurs vacances (certes on compatit, on en connaît, on les embrasse, on est désolé pour eux... enfin de là à ne parler que de cela 24/24 pendant une semaine, faut peut-être pas déconner non plus (c'est bon, là elle est vraiment finie, la parenthèse)))

... qui anime bien des machines à cafés ces temps-ci.

(enfin... qui animait... avant que ce foutu nuage ne vienne me pourrir mon édito de la semaine...)

Bien sûr, dans les médias, on verra des gens prendre position. Des opposants débattre, des gouvernements battre, des syndicalistes rebattre. Mais si l'on s'éloigne de la lumière, qu'entend-on surtout ? Rien. Ou plutôt un vague murmure désabusé, résigné, sans illusions certes - sans grande révolte surtout. La fameuse fatigue psychique semble tout étouffer. Comment s'en étonner ? Nous vivons dans un monde si totalement anxiogène. On nous explique à longueur d'année que la crise, le chômage, le recul de l'âge de la retraite, le déficit (voire la faillite), j'en passe et des encores moins mûres... on nous explique à longueur d'années que de toute façon c'est plié - on n'y coupera pas. Bon bah... ok. A force, les français, ils ont fini par comprendre le message. Faut pas s'étonner qu'ils soient déprimés, les pauvres. Raisonnons par l'absurde : c'était quand la dernière bonne nouvelle qu'on nous a annoncé au journal ? Le dernier truc qui aurait pu déclencher un semblant d'enthousiasme collectif ? Le futur licenciement de Raymond Domenech ? Allons, soyons sérieux. D'ailleurs on l'est, sérieux. Peut-être trop lucides et réalistes pour ne pas être déprimés. Pour vous dire : on n'arrive même à envisager la possibilité que l'Équipe de France fasse quelque chose au Mondial. Quasiment tout le monde est d'accord pour dire que les Bleus vont se faire dégager vite fait bien fait. Alors vous imaginez bien que si on n'est pas capable de faire preuve d'un semblant d'enthousiasme pour le foot, avoir confiance en l'avenir... bien entendu c'est risqué d'écrire ça maintenant, alors que si ça se trouve les rues vont être dévastées par la liesse quand Lyon aura emmanché cinq buts au Bayern, ce soir. Mais bon. En même temps, qui y croit ? Hier encore, Le Monde posait cette question : Lyon peut-il gagner la Ligue des Champions ? Je ne spoilerai personne en vous disant que la réponse était non, et qu'on s'étonne même que quelqu'un la pose encore. Enfin cela dit, s'ils y parviennent, ça fera toujours plaisir. Cependant pour Lyon comme pour l'Equipe de France comme pour ma retraite, j'avoue ne pas nourrir d'espoir autre que : on fera comme on pourra (en espérant qu'on pourra mieux que pour les vacances qu'on n'a pas pu avoir, et même que c'était même pas à cause d'un nuage de fumée).
...

27 commentaires:

  1. Ecoutez, moi, ça va, mais c'est sûrement parce que je suis déjà à la retraite.

    ;-)

    BBB.

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  2. Ce matin et jusqu'à il y a un quart d'heure, je me sentais bien, les oiseaux gazouillaient dans l'aube naissante et le jour se levait sous un ciel tout bleu et ensoleillé.
    Je viens de regarder.
    Le ciel est bleu mais un peu grisé. Aucun nuage, ni les jolis tout blancs dont les formes font rêver ni les noirs tout laids chargés d'électricité et de métaux lourds. La grisaille n'est pas non plus celle d'un stratus métis, aucun ne pourrait courir uniformément sur sur un horizon à 360°. Juste un bleu triste laissant passer un soleil flou.
    Maintenant j'ai le blues.

    Je vais reprendre un café.
    Non, sans un nuage de lait.
    Je le prends noir comme les hommes.

    Puis je me roulerai dans l'herbe pour me couvrir la tête de cendres.

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  3. Non mais évidemment que Lyon va gagner. C'te folie ! :-)

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  4. Trois commentaires ? Eh bah. J'ai sous-estimé le potentiel dépressif de cet article. Heureusement, Lou est là.

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  5. Dépressif, oui, et a quoi bon, et tout ça.
    Et tellement vrai. :-(

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  6. Comment peut-on déprimer alors qu'au-dessus de nous il y a quelque chose pour nous rappeler à chaque instant que nous ne sommes que de minuscules nano-grains de poussière inutiles face au vaste infini ? ^^

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  7. Déprimés seulement ? J'avais l'impression qu'on était tous dépressifs et que le mal être était devenu maladie.

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  8. Tout pareil que Benjamin.

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  9. 22h54 ...
    demain matin, va falloir me lever tôt, avaler mes 3 mugs de café et partir bosser.
    L'article est long, je m'aperçois que je suis trop fatiguée pour le lire vraiment. En diagonale je lis les mots: café, lendemain, foot (foot ? ?)
    ça m'déprime.
    (j'aime bien le dessin)

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  10. en lisant en diagonale, on peut lire : sérieux, administration, pessimisme, tristesse, syndicalistes, dévastée, nuage...

    en lisant en diago, on peut aussi lire : rapport, sens, torpeur, enthousiasme, plaisir...

    ;)...

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  11. Oui enfin... on n'est pas obligé de lire en diagonale :-)

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  12. Ils sont fous ces Belges ! la diagonale du fou, mortelle !

    Je voudrais juste corriger une petite erreur de clavier de Thierry.
    'au-dessus de nous il y a quelque chose pour nous rappeler à chaque instant que nous ne sommes que de minuscules nano-grains de poussière'
    On dit 'quelqu'un'. Tu es poussière et je ne suis qu'un grain de poussière, comme Jacques Higelin :)

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  13. "Ils sont fous ces Belges ! "
    Ben oui, ils n'ont même plus de gouvernement...

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  14. oui, ils sont fous... faire tomber un gouvernement (bon, c'est pas la première fois...) pour des raisons bassement électoralistes et aiguiser encore un peu plus les tensions entre les gens... plus cons que fous, en fait

    Af le belge pas fier sur le coup ;-/...

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  15. Are you not supposed to write "Doesn't it make..."
    But, yeah the Beatles didn't give a fuck when they sang "She's got a ticket to riiiide, and she don't care..."

    So I'm fine with your "don't"

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  16. Quand des mecs qui gagnent en quelques mois plus que nous en toute une vie et qui profitent de la retraite à 35 ans (enfin si une télé ne les embauchent pas à prix d'or) ont besoin d'aller voir des femmes de petite vertu, alors oui, la déprime dans ce pays est profonde, pas besoin de faire une grande étude pour ça... :)

    Moi j'ai plutôt un super moral en ce moment, c'est pas normal, il va sûrement m'arriver une merde...

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  17. Alf >>> non mais en même temps, au moins chez vous, la politique est drôle :-)

    Raph >>> in fact, the title is a quotation from a Pearl Jam song, "Smile" (that's why I wrote "don't", instead of "doesn't", as in the lyrics)... but nobody saw it, not even Benjamin :-(

    Lyle >>> on a TOUS besoin de femmes de petite vertu ! ;-)

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  18. Et pour Ribery, apparemment...

    C'est marrant d'ailleurs, la vie : plus tu es célèbre et plus tu peux avoir toutes les femmes que tu veux... plus tu te retrouves à aller aux putes. Je n'ai jamais vraiment compris ça, qu'il s'agisse de Ribery ou de Hugh Grant...

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  19. Sauf qu'on arrive mieux à comprendre pour Ribery que pour Hugh Grant bizarrement...

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  20. De toute façon, c'est à l'âge de neuf ans que j'étais le plus politisé et le plus idéaliste. Aujourd'hui, je suis aquaboniste (?), comme beaucoup, avec de temps en temps de vagues espoirs vite déçus.

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  21. Moi j'ai carrément commencé avec une grève de la tétine à l'âge de onze mois. Après, tout est allé de mal en pis...

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  22. Si je te dis que j'avais 9 ans en 1981, tu arrêtes de te moquer avec ton histoire de tétine ?!

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  23. Ah mais moi aussi je te parle de 81 :-D

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  24. OK OK, tu étais un enfant très précoce. Mais pourquoi à 11 mois ? Que s'est-il passé sur le plan politique en novembre/décembre de cette année-là ?

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  25. Justement, c'est ce que j'étais en train de chercher ! Je pense que c'est l'autorisation des radios locales privées, mais il est possible que je te réponde autre chose et au fur à mesure de mes recherches google...

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