mardi 6 juillet 2010

William Faulkner - Comme une Comédie Humaine, mais en mieux !

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Comme souvent chez Faulkner, tout n'est qu'une histoire de destins croisés. Ici, une jeune fille enceinte traverse tous les États-Unis et atterrit à Jefferson afin de retrouver le père de son enfant, un certain Lucas Burch dont personne n'a jamais entendu parler.

Et comme souvent avec Faulkner, le destin se joue des personnages. La jeune femme débarque le jour même où ce petit patelin loin d'être tranquille est en ébullition suite au meurtre d'une des notables locales. Comme dans la fable de La Fontaine, on va vite crier haro sur le baudet, et en l'occurrence sur un âne doux et plutôt inoffensif, le brave Joe Christmas (déjà rencontré dans Soldier's Pay), un marginal refusant de s'insérer dans les commérages locaux, et qui plus est doté de la pire des tares aux yeux d'un cul-terreux du Mississippi : du sang noir coule dans ses veines...

Light in August est probablement de tous les romans de Faulkner celui qui est le mieux construit, en cela justement qu'il n'a pas du tout l'air de l'être. Tout semble partir dans tous les sens, les intrigues se suivent sans se ressembler (et surtout sans se rejoindre), certains chapitres semblent vides et inutiles tandis que d'autres submergent le lecteur d'évènements et d'informations... et bien évidemment, arrivé à la moitié du livre, tout s'emboite miraculeusement. La magie faulknerienne y est plus bluffante que jamais (certains racontent qu'il aurait réécrit ce livre près de quarante fois...).

Pour une fois, Le Grand William ne nous triture pas trop la chronologie (ce qu'on ne peut qu'apprécier) et se contente de quelques flashbacks explicatifs. A la place il se venge sur les arcs narratifs. Si vous avez le vertige, fuyez ce roman : vous n'en reviendrez pas tant il donne l'impression d'être en orbite autour de lui-même, avec ses arcs distordus donnant longtemps l'impression de ne même pas être destinés à se croiser. Surtout, Faulkner brosse ici le portrait de Joe Christmas, assurément son personnage le plus incroyable, inoubliable... le plus drôle, le plus attachant et par conséquent le plus humain. Alors qu'on se fout éperdument de ce qui va arriver aux autres, on est totalement happé par le destin (forcément tragique) de Joe. Il est rare que Faulkner centre un de ces romans sur un caractère précis (ce n'est d'ailleurs pas tout à fait le cas, mais celui-ci irradie tellement qu'il efface totalement les autres), ce qui rend Light in August d'autant plus charmant qu'il va finalement à contre courant de tout ce que l'auteur a fait auparavant. Écrite entre Sanctuary et Pylon, c'est une œuvre charnière entre ces deux "périodes". De plus en plus, on pense à un pendant agricole et américain de La Comédie Humaine. En plus sombre, en plus désespéré... un long fait divers tragiquement banal, tragiquement humain.


The Light in August [Lumière d'août], de William Faulkner (1932)

24 commentaires:

  1. Vous êtes malade, Thomas ? Je trouve cet article un peu court, par rapport à d'habitude...

    Amitiés,

    BBB.

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  2. C'est un vieil article en fait (cinq ans au moins) que j'ai un peu retapé pour les besoins de la cause...

    Sinon ça va, et vous ? :-)

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  3. pour être précis (mais je crois l'avoir écrit ici-même), Pylon a été écrit pendant l'écriture de Lumière d'août, faulkner patinait dans l'écriture de ce pavé, et Pylon a été une sorte de récré, récré sordide et malheureusement prémonitoire inspirée de son frère pilote.
    Une fois pylone achevé, il a pu reprendre et terminer Lumière d'août.

    pour ce que tu dis de la chronologie, faulkner a été un des grands expérimentateurs du 20e siècle, mais beaucoup de ses livres sont d'une lecture assez facile et d'une structure parfois traditionnelle, même si j'ai effectivement une attirance pour ses compositions comme "le bruit et la fureur" ou "les palmiers sauvages" :-)

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  4. Tu me donnes des idées de lecture pour Faulkner, merci ;) Je n'en connais pas grand chose, en fait, et je ne sais pas par où poursuivre dans son oeuvre quelque peu prolifique...

    Le premier que j'ai lu de lui, c'est le recueil "Treize histoires", et c'est un de mes plus grands chocs. Une "Comédie humaine" (mais pas chiante comme peut l'être celle d'un certain H... oups, je blasphème^^), et en fait, la sensation que c'était tout un monde qui s'ouvrait devant moi (la part de fantasme liée aux espaces américains n'y est sans doute pas pour rien), je ne me suis toujours pas remis de ce brassage de récits, de perspectives et d'approches très différents, donnant un tout terriblement cohérent, malgré tout.
    Quelques années plus tard, la deuxième baffe, c'était "Le bruit et la fureur" (je n'arrive toujours pas à concevoir que ç'ait été publié en 1925 O_o).
    J'avais aussi lu le recueil "Le Dr Martino", où je trouve qu'il y a un peu plus à boire et à manger, tout de même.

    Si tu as d'autres pistes à me filer au sujet du grand William, je suis preneur ^^

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  5. Moi qui ne savais pas lequel choisir, après avoir lu "Sanctuaire", je note celui-là. J'ai un peu le vertige, mais je suis aussi un peu maso... (en matière d'expériences littéraires uniquement, bien sûr).

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  6. QUOI ! Tu fais les fonds de tiroir !

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  7. C'est décidé j'attaquerai Faulkner par celui-ci, tu m'as convaincue en quelques ligne ! En plus je suis justement plongée dans plusieurs romans du sud américain. Merci pour cette critique diablement efficace. Sinon ton Golb est carrément mieux comme ça :-)

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  8. Bonjour,

    Moi aussi, ça me donne envie de le lire :-). Je ne l'ai jamais lu, mais ce billet me fait un peu penser à Steinbeck que j'ai dévoré en français quand j'étais ado et que j'aime beaucoup, beaucoup :-)

    Alors, je me suis renseignée pour savoir s'il pouvait y avoir des similitudes, je suis tombée sur ça:
    http://devorelivre.over-blog.com/article-19017958.html

    Ça m'a l'air pas si pire, I'll give it try! Et tant qu'à faire, je vais relire Steinbeck en anglais cette fois-ci!

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  9. Arbobo >>> une structure assez facile... ça dépend lesquels. Ses chefs-d'œuvre demeurent les plus complexes, tout de même. Et il y a également tous ceux qui - comme As I Lay Dying - semblent moins complexes aujourd'hui parce que leur construction a fait école. Globalement, Faulkner reste un auteur assez difficile d'accès. Ne serait-ce que du point de vue stylistique...

    Serious Moon >>> faut bien faire le ménage, des fois. C'est l'été ^^

    Dahu (et Ing) >>> je crois qu'au fil des années, j'ai dû chroniquer quasiment tous les livres de Faulkner (voire l'index du Golb). Néanmoins concernant les romans, je crois qu'à peu de choses de près tout le monde sera d'accord pour dire qu'il faut enchaîner avec un axe Sanctuaire - Tandis que j'agonise - Lumière d'août.

    Gaëlle >>> au bout de quatre ans, il était temps que je te convainque :-)

    Elodie >>> je t'encourage très chaleureusement à lire Faulkner... cela dit je suis obligé de doucher tes ardeurs : si je vénère ce dernier et si j'aime beaucoup Steinbeck, ils sont quand même assez différents. Les livres de Faulkner sont beaucoup plus sombres, complexes, sinueux...

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  10. en fait c'es ce que j'ai réalisé après l'avoir écrit ^^

    faulkner m'a initié vers 14 ans aux constructions élaborées, et durant des années je voyais son ombre sur la moitié de mes lectures,
    mais c'est sûr que si on compare à claude simon tout le monde écrit "simple" ;-)

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  11. Bon adjugé vendu quand même, ça va me sortir de ma période LÉGÈRE :-)

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  12. Arbobo >>> oui, je vois ce que c'est de voir son nombre partout. C'est un peu pareil pour moi ^^

    Elodie >>> tu vas pouvoir te rapprocher tranquillement de Breaking Bad :-)

    (au passage j'ai enfin vu l'épisode Fly hier soir... quelle merveille ! quelle formidable, formidable, formidable série ! Très faulknerienne, d'ailleurs, par éclats ^^)(enfin peut-être que je vois juste son ombre partout ;-))

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  13. M'en parles pas... Breaking Bad, j'en rêve, je crois bien que je vais m'acheter le DVD de la saison 3 (autre achat militant)... J'ai absolument envie de revoir la saison... elle me hante!!! Elle fait partie des séries que je souhaiterais à la fois avoir vues et pas vues pour avoir le plaisir de les voir... c'est comme l'un des derniers commentaires sur Fly sur Le monde des séries, j'envie les gens qui viennent juste de voir Fly, on dirait la première fois que tu te shootes (j'imagine... mais en tant qu'ex-fumeuse, mon cerveau imagine super bien), tu te souviens toujours de cette première fois...

    Cette série est d'autant plus exceptionnelle que dans une de ses interviews (lien donné sur le Monde des séries, je ne sais plus où), Vince Gilligan raconte comment en grande partie leur créativité vient des contraintes budgétaires imposées...

    Et chose étrange (ou pas?), je trouve que cette saison, et particulièrement les épisodes One minute et Fly, suscite chez les gens des envolées lyriques incroyables!!! Moi la première :-)

    Bon je m'arrête là paske je ne peux pas m'arrêter la dernière fois que j'ai ressenti cela c'est pour Oz et la fois d'avant pour la 4e saison de Nip/Tuck...

    Sinon oui, je pense bien que Faulkner va me rapprocher de Breaking Bad :-)... Je me suis renseignée sur lui (bien sûr j'en avais déjà entendu parler, mais jamais lu) et à son évocation, ma mère, prof de lettres/histoire, s'est enflammée (à 10 h du soir), arguant même que, du coup, rien, que de lui en avoir parlé, ça lui donnait envie de le relire et allant même jusqu'à avouer, carrément, que l'un de ses plus grands regrets, c'est de ne pas pouvoir le lire en anglais!!! (en passant, elle m'a traitée d'inculte aussi, faut le dire!).

    Donc, alors que j'étais simplement allée à la pêche aux conseils, je me retrouve avec :

    Le Bruit et la Fureur (The Sound and the Fury)
    Tandis que j'agonise (As I Lay Dying)
    Sanctuaire (Sanctuary)
    Lumière d'août (Light in August)

    à lire en priorité!!!

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  14. C'est bizarre, mais dans Notepad, mes commentaires n'ont pas l'air si longs que ça :-)))

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  15. Oui voilà. Là tu tiens la triplette de classiques de Faulkner :-)

    Je ne m'attarde pas sur Breaking Bad (peu de temps aujourd'hui), mais je partage tout à fait ton enthousiasme. Inutile de préciser d'ailleurs qu'on en reparlera bientôt dans ces pages !

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  16. Bravo, moi aussi tu m'as donné envie de le lire! C'est facile à lire en anglais?(j'avais essayé d'en lire un il y a deux ans, j'avais trouvé le vocabulaire assez difficile...)

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  17. Vous me stressez un peu quand même, parce que je ne trouve vraiment pas cet article terrible, j'ai l'impression d'avoir écrit 10 fois mieux sur Faulkner (le fait que ce texte soit vieux de cinq ans joue aussi sûrement).

    Faulkner n'est pas facile à lire en anglais, non. Déjà, même en français, ce n'est pas très facile. Après bien entendu j'imagine que cela dépend du niveau d'anglais de chacun.

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  18. Toi, tu stresses quand les articles que tu ne trouves pas terribles (et donc que tu as du moins travailler) nous conviennent bien? Au contraire, relax, on est moins exigeants que toi! (maintenant c'est moi qui stresse : mais où est mon esprit critique?!)

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  19. En fait je stresse quand j'ai l'impression que mon article est une bafouille sans intérêt ne rendant pas hommage à l'œuvre dont il est question (s'il s'était agi d'un livre mineur ou d'intérêt moindre, ça ne me poserait aucun problème). Mais c'est à double-tranchant : si je stresse c'est aussi parce que je sais qu'en certaines occasions je suis capable d'y parvenir ^^

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  20. J'ai commencé The Sound and The Fury aujourd'hui... Pour l'instant, je n'y comprends... à peu près rien!!!! Ma première impression pour l'instant, c'est "oh la vache!".

    Oui paske, l'éducation reçue (et le snobisme) ayant la vie dure, j'ai commandé donc l'édition "The Library of America" :

    "The Library of America edition of the complete novels of William Faulkner culminates with this volume presenting his first four full-length works of fiction, each newly edited, and, in many cases, restored with passages that were altered or (in the case of Mosquitoes) expurgated by the original publishers. ***This is Faulkner as he was meant to be read***."
    http://www.loa.org/volume.jsp?RequestID=241

    Donc entre le parler/patois, le style, la syntaxe, la présentation des dialogues et l'oubli de mots, pour l'instant j'accorde plus d'importance à la forme qu'au fond... Parce que oui, oui, il manque même des mots!!! J'ai des phrases de type :

    "Quentin." Mother said. "Don't let "
    "Course I is." Dilsey said.

    Ok, là j'aurais préféré que l'éditeur remplisse le blanc!!! Pask'une fois que j'ai relu la première phrase, voire le paragraphe en me demandant si j'ai pas raté un épisode, je tombe sur le "Course I is." il est pas très difficile à comprendre, mais faut le digérer quand même!!! Sans compter qu'il y en a plein d'autres derrière à digérer!!! Et alors, y'a des passages en italique, je suppose que c'est un changement de point de vue, mais j'en suis pas très sûre pour l'instant!!

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  21. La vache, c'est hardcore quand même... Je crois même que c'est plus hardcore que de lire Shakespeare en "anglais moderne naissant"!!! J'envisage sérieusement d'acheter les Cliffsnotes associées :

    Summaries and commentaries guide you through each section of the novel, and critical essays help you understand the origin of the book's title, the structure of the book, and Faulkner's stream of consciousness style of writing. Other features that help you study include

    * A section on the life and background of William Faulkner
    * A special guide to the Benjy section – the most difficult section of the novel
    * Analyses of the major characters
    * An additional critical essay on meaning through motif in the novel
    * Review questions and essay topics

    Read more: http://www.cliffsnotes.com/store/product/productCd-0822012197.html#ixzz0weKYvG53


    Bon je suis allée lire le billet sur le roman en question, ah je suis rassurée, je ne suis pas folle :

    "Pour arriver à ses fins, il a employé sa méthode bien connue des lecteurs : le brouillage chronologique. Car avant d’être un chef d’œuvre en terme d’écriture ou de propos, « The Sound & The Fury » est (comme quasiment tous les plus grands livres de Faulkner) un chef d’œuvre structurel. Chaque partie narre une journée précise, mais dans le désordre chronologique le plus total – croit-on. Cela renforce la confusion du lecteur et provoque sa désorientation totale. Il serait intéressant, d’ailleurs, d’essayer de lire cet ouvrage en remettant chaque partie dans le bon ordre…je suis persuadé que ça gâcherait les trois quarts du livre."
    http://legolb.over-blog.com/article-3923023.html

    Oui, c'est ça, je suis complètement désorientée, ça me perturbe réellement!!! Je vais essayer de continuer, mais franchement les Cliffsnotes m'attirent beaucoup, d'autant qu'elles sont dispos en pdf!

    Du même M. Sinaeve :

    "Un jeu multidimensionnel qui donne le tournis et ne manquera pas de rebuter le lecteur non averti. Moi-même, la première fois que j’ai pris ce livre, il m’est tombé des mains. C’est un texte extrêmement dur – dans tous les sens du termes."

    Ah ben, si j'avais su!!!

    Après avoir lu les commentaires dudit billet, je suis encore plus rassurée!!! Mon plan de bataille donc : 1) VO sans Cliffsnotes, 2) VO avec Cliffsnotes, 3) VO revue et corrigée :-) et en désespoir de cause, 4) VF!!!

    Mais bon, là j'avoue c'est la première fois que ça m'arrive!!! La vache, j'en reviens pas :-)

    (mmm... je mets mon comm ici, je sais pas si on "peut" écrire des commentaires dans l'autre billet..)

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  22. Si j'avais su, si j'avais su... si tu regardes bien je n'ai pas été trompeur sur la marchandise, y compris dans cette discussion :-)

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  23. LE problème c'est qu'INSTINCTIVEMENT j'essaie de remettre les trucs en place, de rétablir la ponctuation et la syntaxe, je n'y peux rien, c'est comme ça!! Alors s'il s'agit d'une (dés)organisation délibérée que l'on retrouve même dans la narration, je vais jamais m'en sortir!!!

    Quand j'ai acheté les livres, je me suis dit, encore une fois : "putain les éditeurs ils abusent quand même, ils se permettent de changer l'œuvre de quelqu'un et en plus ils prennent les lecteurs pour des démeurés, l'uniformisation à outrance et gnagnagna..."

    Ah ben, messieurs les éditeurs, comme je vous comprends!!!! J'aurais été éditeur, passé la première page, j'aurais renvoyé le manuscrit à l'auteur avec une copie des règles de typographie en vigueur!!! C'est le minimum syndical quoi :-)))

    Et en plus, j'apprends qu'il y a deux Jason et deux Quentin et que Benjy, en réalité, il s'appelle Maury, comme son oncle????? Ben voyons!!!

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  24. En 1928 je crois qu'on pouvait encore trouver des éditeurs qui étaient aussi des artistes, des gens avec une véritable vision de la littérature... et pas des commerçants comme aujourd'hui. Cela dit Faulkner a eu du mal à se faire publier, même après s'être fait un nom. Bizarre, hein ? ;-)

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