Cela faisait longtemps et secrètement, je n'y croyais plus vraiment. En fait, cela faisait même très longtemps. Que je n'avais pas été emballé par un livre de Camille Laurens au point d'avoir envie, séance tenante, de dire à tout le monde de se jeter dessus. Le lecteur de passage attendait sans doute pour sa part son "retour" après la polémique sanglante l'ayant opposée à Marie Darrieussecq. C'est peut-être un peu bête, mais c'est humain. Le lecteur assidû que je suis attendait en revanche et surtout son retour à l'excellence, après deux livres (le médiocre Ni toi ni moi et le moyen Tissé par mille) que l'on qualifiera poliment de décevants. D'ailleurs, si j'étais honnête avec moi-même, j'ajouterai que je désespérais de revoir un jour Camille Laurens se hisser au niveau du sublime Dans ces bras-là. C'est (quasiment) chose faite. Je peux retourner hiberner pour dix ans.
Car si la phrase-clé de cette Romance nerveuse, celle qui déclenche la dynamique narrative et la nervosité du titre, semble être "ça commence à faire longtemps, Philippe" (dans la bouche du futur ex-éditeur), on se disait plutôt ces dernières années que ça commençait à faire longtemps, Dans ces bras-là. Longtemps qu'on n'avait pas à ce point vibré à la lecture d'un livre de Camille Laurens. Longtemps qu'on ne l'avait pas sentie si parfaitement maîtresse de son sujet (donc d'elle-même). Mieux : alors qu'on pouvait avoir le sentiment, à la lecture des textes précédents, qu'elle était un peu bloquée sur Dans ces bras-là, incapable de le dépasser au risque de finir par s'autoparodier (c'est toujours un peu le problème lorsqu'un artiste atteint une forme de perfection), voici qu'elle parvient à renouveler avec brio son univers et son style.
Ce dernier est toujours aussi poétique mais moins éthéré, plus rugueux et - vous ne devinerez jamais - plus nerveux. C'est ce qui s'appelle joindre la plume à la parole. C'est ce qui s'appelle, surtout, le talent. Dans Romance nerveuse, l'amateur de l'auteure se retrouve à lire des pages qu'il n'aurait jamais imaginées sous sa plume. Surpris et emballé. Autrefois incisive, brillante, faisant reposer le récit sur un équilibre fragile entre cérébralité du propos et sensualité de la plume... voici que Camille Laurens nous revient plus charnelle ; plus humaine, aussi. Avant d'être ce qu'il est de toute évidence (une histoire de contraires qui s'attirent, de couple improbable entre une auteure brillante et raffinée et un paparazzi que tout tend à désigner comme un gros beauf), Romance nerveuse est l'histoire d'une fragilité, d'une faille dans la cuirasse rendant possible l'existence de cette histoire d'amour. La démonstration est virtuose, acide, souvent très drôle. Elle est de surcroît renforcée par la fabuleuse idée du dédoublement de la narratrice : l'action est commentée par Ruel, son double, sa version pragmatique et non-masochiste - sa version forte en somme. Fabuleuse idée car ce faisant, en conférant une existence presque concrète au principe de la petite voix intérieure, Camille Laurens explose les codes de l'autofiction et son culte malsain de la vérité plus forte que la littérature.
Romance nerveuse n'est certes pas exempt de défauts. A tout prendre, on se dit que l'auteure aurait probablement pu écrire la même histoire sans prendre la peine de revenir sur la polémique dite du plagiat psychique, ce qu'elle fait dans le premier mouvement (nettement plus faible) de sa symphonie. Surtout si c'était pour le faire de cette manière, en travestissant les noms de manière bien inutile. Sans doute était-ce une manière implicite de suggérer que ce roman survivrait de longtemps à la polémique, tout comme son auteure, et que la postérité oublierait les détails et les véritables noms. Peu importe, cette partie est un peu décevante, pas à la hauteur du reste. Mais ce reste est tellement brillant, piquant et inventif qu'il réduit en miettes nos hésitations.
Romance nerveuse, de Camille Laurens (2010)
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Car si la phrase-clé de cette Romance nerveuse, celle qui déclenche la dynamique narrative et la nervosité du titre, semble être "ça commence à faire longtemps, Philippe" (dans la bouche du futur ex-éditeur), on se disait plutôt ces dernières années que ça commençait à faire longtemps, Dans ces bras-là. Longtemps qu'on n'avait pas à ce point vibré à la lecture d'un livre de Camille Laurens. Longtemps qu'on ne l'avait pas sentie si parfaitement maîtresse de son sujet (donc d'elle-même). Mieux : alors qu'on pouvait avoir le sentiment, à la lecture des textes précédents, qu'elle était un peu bloquée sur Dans ces bras-là, incapable de le dépasser au risque de finir par s'autoparodier (c'est toujours un peu le problème lorsqu'un artiste atteint une forme de perfection), voici qu'elle parvient à renouveler avec brio son univers et son style.
Ce dernier est toujours aussi poétique mais moins éthéré, plus rugueux et - vous ne devinerez jamais - plus nerveux. C'est ce qui s'appelle joindre la plume à la parole. C'est ce qui s'appelle, surtout, le talent. Dans Romance nerveuse, l'amateur de l'auteure se retrouve à lire des pages qu'il n'aurait jamais imaginées sous sa plume. Surpris et emballé. Autrefois incisive, brillante, faisant reposer le récit sur un équilibre fragile entre cérébralité du propos et sensualité de la plume... voici que Camille Laurens nous revient plus charnelle ; plus humaine, aussi. Avant d'être ce qu'il est de toute évidence (une histoire de contraires qui s'attirent, de couple improbable entre une auteure brillante et raffinée et un paparazzi que tout tend à désigner comme un gros beauf), Romance nerveuse est l'histoire d'une fragilité, d'une faille dans la cuirasse rendant possible l'existence de cette histoire d'amour. La démonstration est virtuose, acide, souvent très drôle. Elle est de surcroît renforcée par la fabuleuse idée du dédoublement de la narratrice : l'action est commentée par Ruel, son double, sa version pragmatique et non-masochiste - sa version forte en somme. Fabuleuse idée car ce faisant, en conférant une existence presque concrète au principe de la petite voix intérieure, Camille Laurens explose les codes de l'autofiction et son culte malsain de la vérité plus forte que la littérature.
Romance nerveuse n'est certes pas exempt de défauts. A tout prendre, on se dit que l'auteure aurait probablement pu écrire la même histoire sans prendre la peine de revenir sur la polémique dite du plagiat psychique, ce qu'elle fait dans le premier mouvement (nettement plus faible) de sa symphonie. Surtout si c'était pour le faire de cette manière, en travestissant les noms de manière bien inutile. Sans doute était-ce une manière implicite de suggérer que ce roman survivrait de longtemps à la polémique, tout comme son auteure, et que la postérité oublierait les détails et les véritables noms. Peu importe, cette partie est un peu décevante, pas à la hauteur du reste. Mais ce reste est tellement brillant, piquant et inventif qu'il réduit en miettes nos hésitations.
Romance nerveuse, de Camille Laurens (2010)
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J'avais hâte de lire votre avis sur ce roman - je me doutais que vous ne tarderiez pas à le lire ; cela donne très envie et que je vais m'y plonger sans tarder. H.
RépondreSupprimerJe viens de commencer et pour l'instant je m'ennuie pas mal (c'est bavard ah la la). Mais bon je vais aller jusqu'au bout bien sûr. J'aime bien cette auteur.
RépondreSupprimerH.V. >>> suis-je si prévisible ? :-)
RépondreSupprimerLil' >>> tu me diras quand tu auras fini...
J'avais beaucoup aime 'Dans ces bras-la', heureuse de voir que Camille Laurens est revenue au mieux de sa forme. Je le note, merci.
RépondreSupprimerDe rien, c'est un plaisir.
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