lundi 3 novembre 2008

Philippe Claudel - Valeur sûre (on se répète)

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En admettant qu'il existe (ce dont on doutera poliment) il est bien une chose que le pire détracteur de Philippe Claudel sera bien obligé de lui reconnaître : l'auteur des Âmes grises a le mérite de la constance. Depuis le surprenant Meuse de l'oubli il y a presque dix ans, il est devenu l'une des rares authentiques valeurs sûres de la littérature française - un type dont on sait qu'à partir du moment où son nom figure sur la couverture il y a de grandes chances pour qu'on en ressorte enthousiaste. Adulé par le public, respecté par les critiques, chéri par les blogueurs... voici un auteur dont la surreprésentation médiatique ne nous lasse pas, dont les livres sont toujours sobres, bien écrits, intéressants... ça finira bien par le rendre un jour ou l'autre suspect (on ne peut pas être apprécié de tout le monde, ce n'est pas sain, même quand on s'appelle Claudel) mais pour l'heure l'édifice tient et ce n'est pas Le Rapport de Brodeck qui inversera la tendance : les mots Philippe et Claudel restent synonyme de simplicité et de qualité...

... oui alors bon : simplicité, c'est peut-être un tout petit peu vite dit. Car ce cinquième roman (il me semble) n'est plus tout à fait aussi linéaire que Les Âmes grises - il offre même une construction aux ambitions inhabituelles chez l'auteur de La Petite fille de Monsieur Linh (soit donc de l'archétype du roman simple qui touche droit au but... et au cœur). Constitué d'une multitude d'historiettes imbriquées les unes dans les autres au sein du rapport dudit Brodeck, il évite d'ailleurs moins facilement la confusion que le manichéisme... mais peu importe : la plongée dans ce petite village (chouette) frontalier est captivante, et si l'on devine assez rapidement quel est le fameux événement que le narrateur, seul à être doué pour l'écriture, a accepté de raconter à la demande de ses concitoyens... la lecture n'en est nullement gâchée. Bien au contraire : le livre revêt de fait un côté tragédie ordinaire tout à fait pertinent, renforcé par le ton candide d'un Brodeck dépassé par l'évènement - c'est à dire par l'Histoire autant que par l'âme humaine. « Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. » - l'incipit (à glacer le sang) imprègne immédiatement l'imaginaire du lecteur et reviendra le hanter tout au long de ce texte crépusculaire.

On arguera que l'écriture de Philippe Claudel est parfois un peu trop lisse pour soutenir une œuvre si ambitieuse ; ce n'est pas faux, tout en étant assez indolore du fait de la nature même du narrateur. Le vrai défaut du livre serait plutôt sa longueur (environ quatre cents pages... foutu rapport tout de même !), ses multiples ramifications là où on l'on se serait attendu à un texte plus court et plus dense. Et en même temps... ce sont aussi ses (trop ?) nombreuses digressions qui injectent un peu d'humanité dans une histoire incroyablement poisseuse. Le parti pris de la longueur (insistons sur l'expression, Claudel n'étant pas précisément habitué à s'étaler) se tient donc, et le livre avec. Qui a dit que Philippe Claudel était une valeur sûre... ?


👍 Le Rapport de Brodeck 
Philippe Claudel | Stock, 2007