jeudi 26 novembre 2009

2e Rencontres Musique & Littérature – Trois questions à Sébastien Moig, co-directeur du festival

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De la musique ? De la littérature ? De la BD, même ? Dans le même festival ? Avec Tue-Loup, en plus ! Non, arrêtez ? z’êtes pas sérieux…

Mais bien sûr, que nous sommes sérieux. Comme souvent (sinon toujours), c’est partant du particulier que nous nous sommes entichés du général… autrement dit c’est en étant aguichés par la présence d’un artiste à l’affiche (en l’occurrence nos chouchous1 de Tue-Loup) que nous nous sommes intéressés plus avant à un festival, au point de nous préparer à le couvrir comme se doit. Il faut dire que tout festival se proposant de marier musique et littérature ne pouvait par définition qu’intéresser un magazine comme le nôtre, féru de culture sous toutes ses formes. Accueillis de surcroît très positivement et chaleureusement dans nos démarches, voici que de fil en aiguille ce qui devait n’être qu’un article très général s’est métamorphosé en (court) entretien… oui car l’autre mot important dans le titre du festival, c’est évidemment «rencontres». Alors rencontrons donc !

Orchestrer la (les) rencontre(s) entre musique et littérature… ce n’est pas rien ; comment est né un projet si ambitieux (et si beau) ?

Sébastien Moig : L’équipe qui dirige le festival travaille depuis plus de dix ans maintenant à rapprocher les différentes formes d’expression artistique. Nous avons, au travers de la revue JazzoSphère, publié des dossiers qui traitaient déjà des approches pluridisciplinaires. Musique et littérature, mais aussi musique et arts plastiques (avec par exemple des dossiers sur le sculpteur Alain Kirili – qui invite dans ses ateliers à Paris et New York, des musiciens à se produire autour de ses œuvres – le poète Amiri Baraka qui se produit notamment aux côtés du contrebassiste William Parker…) ou encore musique et cinéma… Nous avons toujours pensé que du mélange de deux formes d’expression artistique pouvait naître une forme d’expression nouvelle enrichie des deux aspects, des deux particularités, des deux sensibilités.
En juin 2007 nous avons édité un livre-disque (L’Étrange Partition Sonore) qui traitait des liens qui unissent musique et univers imaginaires. Cet ouvrage singulier, que l’on pouvait considérer comme un pari audacieux, a eu des retombées que nous n’avions même pas imaginées au début. C’est un peu lui qui est à l’origine des Rencontres Musiques et Littérature. Pour le réaliser nous étions entrés dans quatre univers aux identités fortes, celui du dessinateur Enki Bilal, celui de François Schuiten et Benoît Peeters – présents pour cette nouvelle édition du festival – celui du romancier Antoine Volodine et celui du réalisateur français Christian Volckman. Rencontrer ces fortes personnalités et échanger avec elles sur les liens entre leur art graphique ou littéraire et la musique a eu un véritable effet déclencheur. Le projet du festival est donc né d’un processus de réflexion d’ensemble. Il est né aussi du constat que si certains festivals abordent la pluridisciplinarité, aucun ne lui est véritablement consacré.

Comment préside-t-on à la programmation d’un tel festival, dont le spectre est à la fois très vaste (littératures et musiques sont plurielles) et très pointu (puisque chaque représentation se doit de recouper les deux domaines) ? À plus forte raison lorsque l’on est encore un jeune festival ? Avez-vous cherché à cibler spécifiquement des musiciens s’inspirant de manière explicite de la littérature (et inversement), ou bien avez-vous plutôt choisi les artistes en fonction de leur sensibilité aux deux arts à l’affiche ? Certains artistes vous ont-ils même sollicités d’eux-mêmes ?
 

S.M. : Pour la première édition du festival, la programmation s’est imposée d’elle-même. Je veux dire par là que de par notre ouverture aux projets pluridisciplinaires, nous avions une idée très précise de qui nous voulions inviter. Nous avions déjà travaillé par exemple avec Palo Alto et nous connaissions donc leur façon de mêler musique et texte. Le projet de Bruno Tocanne sur la Beat Generation nous avait séduits dès le début et il était naturel de lui proposer de venir présenter ce projet sur Paris pour la première fois. Géraldine Keller est une vocaliste exceptionnelle qui donne vie au texte, nous l’avions déjà croisée à plusieurs reprises… La programmation de la première édition s’est donc construite d’une part avec des musiciens dont nous connaissions le potentiel de mise en relief des textes et d’autre part avec des artistes aux projets forts, qui avaient mené une réflexion de fond sur un projet littéraire ambitieux. L’impact de la première édition a fait que nous avons été sollicités par pas mal de groupes qui développaient des projets intéressants. Faire un choix a été assez difficile. Nous avons donc essayé de garder une cohésion d’ensemble. Je ne sais pas si l’on peut dire que musique et littérature sont plurielles, car nombre de spectacles font fi des backgrounds de chaque artiste, même si, bien entendu les influences et les sensibilités restent. Chaque projet est à percevoir dans son ensemble. Pas comme la réunion d’un musicien et d’un écrivain, mais comme la réflexion commune de l’un et de l’autre.

Musique & Litterature Affiche

J’ai le sentiment, pour fréquenter depuis une dizaine d’années l’un et l’autre de ces univers, qu’alors que tout (à commencer par l’explosion des moyens de communication) concorde aujourd’hui à les rassembler, ils se parlent paradoxalement de moins en moins. Est-ce un sentiment que vous partagez ?

S.M. : En réalité, j’ai un sentiment un peu différent. Venant du jazz et des musiques improvisées qui ont toujours cultivé une curiosité débordante pour ce qui se fait ailleurs, je baigne depuis de nombreuses années dans ces univers foisonnants. Le lien entre la musique et le texte est presque naturel dans ces musiques, notamment le travail avec les poètes ou slammeurs. D’un autre côté je crois que les écrivains sont portés aussi par la scène et participent volontiers à des mises en musique de leur univers. Olivier Cadiot travaille notamment avec Rodolphe Burger (il a aussi joué avec le pianiste Benoît Delbecq). Michel Houellebecq, Antoine Volodine, Brigitte Giraud, Lydie Salvayre, Arnaud Cathrine (avec le musicien Florent Marchet), Danièle Mémoire, François Bon, les poètes Serge Pey et André Velter sont des exemples parmi d’autres de cet intérêt manifesté par les écrivains français pour le lien entre le texte et la musique. Paul Auster, aux Etats-Unis, travaille aussi avec le clarinettiste Don Byron pour des lectures musicales. Peut-être qu’il y a moins de visibilité sur ces projets, moins de médiatisation. Je crois cependant que tout cela est en train de changer grâce à des manifestations littéraires comme les Correspondances de Manosque ou Paris en lettres qui incluent dans leur programmation des spectacles qui réunissent ces deux formes d’expression.
Je pense d’un autre côté que les musiciens aiment se nourrir de l’imagination débordante de certains auteurs, classiques ou non, pour composer des œuvres originales. J’ai écouté récemment le projet du pianiste Eric Watson autour du Corbeau d’Edgar Alan Poe. Nous produisons actuellement à JazzoSphère le projet du musicien canadien Eric Normand autour de l’œuvre du romancier Arturo Perez-Reverte qui sera publié en 2010. Le résultat montre que les sensibilités des musiciens et des écrivains sont proches, que l’imagination de l’un peut nourrir la réflexion de l’autre et inversement. D’ailleurs de nombreux musiciens sont aussi auteurs de romans surprenants, Nick Cave2, Iggy Pop3, Gil Scott Heron4, Mathias Malzieu5, Brigitte Fontaine6… Je ne suis donc pas inquiet. Je sais que ces deux arts auront toujours à se parler et c’est un peu pour cette raison que les Rencontres Musique & Littérature sont nées. Pour rassembler dans un festival les projets qui nous touchent et qui prouvent que l’approche plurielle à de beaux jours devant elle.

2èmes Rencontres Musique & Littérature, les 5, 11 et 12 décembre 2009 à L’Archipel
Initialement paru sur Culturofil.net


1. Qui a ri ?
2. … And the Ass Saw the Angel, pavé à situer quelque part entre la Bible et Faulkner, il y a de cela plus de vingt ans, qu’il adapta d’ailleurs plus tard en un genre de sountrack co-signé par son comparse Warren Ellis et le toujours excellent Ed Clayton-Jones… sans conteste son ouvrage – disque comme livre – le plus étrange ; Nick Cave vient par ailleurs de publier son premier livre depuis une éternité, The Death of Bunny Munro, que nous n’avons malheureusement pas pu nous procurer pour l’instant.
3. En réalité une autobiographie culte co-signée par Anne Weher… et Iggy a bien sûr publié cette année un album (assez raté) inspiré par La Possibilité d’une île de Houellebecq.
4. Citons notamment son excellent roman d’inspiration hardboiled, Le Vautour – le seul traduit en français à notre connaissance.
5. Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi et bien sûr La Mécanique du cœur.
6. Citons, au milieu d’une bibliographique particulièrement dense, l’étonnante Limonade Bleue, parue il y a une dizaine d’années.
7. On lui doit notamment l’inclassable Holeulone.
8. Et plus encore des fans de John Cage…