dimanche 9 août 2009

The Wire - Fin de règne

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Toutes les séries ont une fin, au sens propre comme au sens figuré. Fin de série façon sport (genre dix matches sans défaites), fin de série façon show TV aussi. La saison cinq de The Wire, c'est un peu les deux à la fois. L'épilogue de ce qui aura peut-être bien été la meilleure série des années deux-mille, mais aussi la première (et du coup dernière) contre-performance de l'équipe formée par David Simon, Ed Burns et Georges Pelecanos (ainsi que par Dennis Lehane, qui revient filer un coup de main pour l'occasion).

Tout commence pourtant pour le mieux... ou plutôt pour le pire pour nos héros, donc pour le mieux pour le spectateur : après le nouvel espoir qui soufflait sur la ville toute entière au terme de la saison quatre, voici venu le temps des désillusions ; la nouvelle municipalité, même si plus intègre que la précédente, n'a pas su tenir toutes ses promesses. Coupable d'un péché originel au prix particulièrement élevé (c'était quasiment la dernière scène de la saison quatre), Tommy Carcetti doit faire un choix impossible entre le père et la mère de sa communauté, la police et l'école. Il a fait campagne sur la baisse de la criminalité autant que sur l'éducation ; aujourd'hui pourtant il ne peut verser des fonds conséquents qu'à une seule de ces deux corporations essentielles. La mort dans l'âme mais l'esprit ailleurs (il songe déjà aux élection générales), il décide de favoriser la seconde au détriment de la première. C'est la fin des haricots pour l'Anti-Crime de Freamon et Cie. Coupes franches dans le budget de l'intérieur, grogne généralisée, policiers sous tension... et pendant ce temps le parrain Marlo qui n'en finit de plus de mener la danse dans les rues, métamorphosant son entreprise familiale en véritable multinationale du crime absorbant sans pitié la concurrence. Mais que faire face à ce genre de personnage lorsqu'on n'a même plus d'argent pour mettre de l'essence dans les véhicules de patrouille ?

Alors McNulty, plus incontrôlable que jamais, va jouer une improbable partie de poker, provocant une réaction en chaîne encore plus incontrôlable que lui (c'est dire). La presse va se mêler à l'histoire, rouage central de l'intrigue comme autrefois l'école ou les docks. Sauf que bizarrement, cette fois-ci, la mayonnaise ne prend pas.

Bizarrement parce qu'en tant qu'ancien reporter au Baltimore Sun David Simon connaît mieux que personne la mécanique de circulation de l'information dans cette ville. Il est donc d'autant plus étonnant de le voir peiner à appliquer le même implacable traitement qu'aux autres catégories sociales évoquées dans la série. On serait bien en peine de l'expliquer, mais on n'arrive jamais vraiment à s'intéresser aux aventures de ces journalistes dont aucun ne se dégage vraiment, ne touche ni n'intéresse parfaitement. Sans doute la grève des scénaristes, qui a réduit cette saison à dix petits épisodes, n'y est-elle pas pour rien. Mais il n'y a pas que ça qui entre en ligne de compte : beaucoup d'éléments de ce cru 2008 donnent l'impression de ne pas s'emboiter - à commencer par l'intrigue générale. Les mensonges de McNulty sont un peu gros, sinon pour les autres personnages du moins pour le spectateur. On évitera tout spoiler, bien sûr... mais vraiment, cette histoire est énorme. Trop énorme. Pour cette série-là, en tout cas. (*)

Car tout simplement, Simon et ses ouailles violent (volontairement ?) sans vergogne la règle fondamentale du vrai et du vraisemblable. L'intrigue de cette saison cinq aurait pu être acceptable ailleurs, dans une série reposant sur l'exagération des caractères et des situations (parait qu'il y en aurait quelques unes...) ; dans un programme à l'hyper-réalisme revendiqué, régit par une esthétique quasi-documentaire, dont le moindre détail était jusqu'alors toujours possible dans la vraie vie... ça ne passe pas, on ne parvient pas y croire. Toute la question étant de savoir si c'est volontaire ou non, si les auteurs ont eu l'envie (compréhensible) de casser leurs jouets au gré de dix épisodes sentant énormément le grand clap de fin : points finaux mis aux destins de la plupart des héros, réapparitions le temps d'une demi-scène de personnages disparus durant les saisons précédentes... tout cela ressemble fort à une grande fête de fin d'année, s'autorisant désormais la dérision et la désinvolture. Alors soit. On reste jusqu'au bout pour ces personnages si complexes et attachants qui nous aurons bercé durant cinq saisons dont quatre méritant le titre de chef-d'oeuvre. On leur dit adieu comme s'ils étaient de vieux copains, on les suit avec moins de passion que précédemment, mais ce serait mentir que de prétendre que leur dernière valse est totalement ratée. Le final est même une réussite exceptionnelle - impossible de ne pas écraser une larme. De 2002 à 2008, David Simon a sans conteste présenté le programme télévisé le plus ambitieux (sinon le plus grandiose) qu'on ait vu à ce jour, la Comédie Humaine à l'échelle d'une humble série policière. Stephen King déclara à maintes reprises que The Wire était la meilleure série de tous les temps. Tous les amateurs vous le diront : il a souvent raison.


The Wire (saison 5 : The Lies)
créée par David Simon
HBO, 2008


(*) Étonnamment, on est tenté de dire que The Wire aura poussé la filiation avec Oz jusque dans ses faiblesses, puisque les dernières saisons de la mythique série de Tom Fontana avaient elles aussi tendance à verser dans le too much et l'exagération...

26 commentaires:

  1. Alors. Je t'accorde que cette dernière saison est moins réussie. Je reconnais que cette fin est décevante. J'applaudis le parallèle avec Oz. Mais je trouve, malgré tout, que tu es très sévère. Il y a de superbes moments dans cette saison, le seul final suffit à en justifier l'existence.

    Bon dimanche.

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  2. Sévère... oui, sans doute. Mais c'est ce qui arrive quand on place la barre aussi haut.

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  3. Saison décevante, en effet, néanmoins, tout comme Bloom, je ne serais pas aussi sévère que vous. Il reste de véritables "moments de grâce", notamment tout ce qui touche aux rues. Ce sont plutôt les journalistes qui, comme vous le dites très bien, peinent à mobiliser l'attention, et manquent un peu de charisme.

    BBB.

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  4. Je crois que j'ai autant aimé chacune des saisons...

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  5. Allez, je viens en soutien. Pas facile, parce que j'ai vu cette saison il y a déjà quelques mois et que je ne m'en rappelle quasiment plus. Donc quand Thomas dit qu'elle est anecdotique par rapport au reste je le crois sur parole (je fais comme je peux hein ;)

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  6. C'est gentil de m'aider... mais besoin, il me suffit de leur demande de me citer sans tricher le nom d'un des journalistes de la saison 5 pour prouver que j'ai raison, ahahah...

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  7. THE WIRE. Meilleure série des années 2000 ? Meilleure série de tous les temps peut-être !
    On parle d'un niveau rivalisant avec les plus grandes oeuvres de la littérature. D'une richesse, d'une profondeur...
    On parle d'une fresque donnant corps et âme à une VILLE ENTIERE ! Pas seulement des visages, mais des personnages, vrais, profonds, une cinquantaine et chacun à son style, son langage, sa personnalité.
    Mais bien sûr, on ne verra jamais THE WIRE en tête d'un classement de séries (même sur cet excellent blog). C'est trop compliqué pour la ménagère, il y a trop de personnages, trop d'intrigues. Ce n'est pas niaiseux comme FRIENDS, facile d'accès comme DR HOUSE ou consensuel comme DESPERATE HOUSEWIVES. C'est affreux quand on y pense. Je crois que la série n'est même pas passée intégralement en France (alors qu'elle est finie depuis un moment)...

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  8. Elle est passée en intégralité sur réseau Orange (et oui).

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  9. Au moins j'apprends des choses...

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  10. Certes, J-C ... mais ce n'est pas un phénomène typiquement français. The Wire n'est devenue rentables qu'à la fin, et aux USA elle enregistré des audiences assez médiocres. Or on ne peut pas suspecter un pays ayant fait un triomphe aux Sopranos ou à Six Feet Under de ne pas être regardant sur la complexité de ses séries...

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  11. Peut-être, mais compares cinq minutes les audiences de DEADWOOD et DR HOUSE tu verras toi-même. Quoiqu'on en pense, la marge entre le mainstream et l'indie est toute aussi énorme en séries qu'en musique ou cinéma.
    Quant à SIX FEET UNDER, je dois dire que la suite de la carrière d'Alan Ball me l'a gâché. Je sais que tu aimes bien, mais sa nouvelle série est d'un ridicule et d'un cul-cul...

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  12. True Blood est loin d'être aussi culcul que tu le dis...

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  13. Reconnais qu'on était quand même en droit d'attendre de la part d'Alan Ball quelque chose de plus subtil que cette grosse artillerie sensationnaliste.

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  14. Ah mais je le reconnais très bien. Simplement cela participe d'un tout autre projet.

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  15. Mettre la même semaine 5 sur 6 à ces débiles d'experts et 3 à The Wire franchement fallait oser.

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  16. Je ne vois pas le rapport, et je ne trouve pas ces notes usurpées - chacune dans son genre.

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  17. Je te trouve aussi sévère avec la saison. Certes les personnages des journalistes sont un poil moins intéressants. Ils sont moins forts que les flics ou les dealers mais les rapports entre eux sont quand même très chouettes. C'est peut être qu'avec tous les autres fils à tirer, toutes les intrigues à conclure, il n'y avait pas la place pour les développer à fond.
    Et certes l'histoire de Mcnulty est un peu grosse, mais ça ne m'a pas gêné plus que ça. Et le reste continue toujours aussi passionnant, notamment Bubbles, Duquan, Michael, Marlo, Omar... Bref, une déception un peu comprise, mais non partagée!

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  18. Mouais bon... j'ai peut-être été sévère. Peut-être que ça méritait bien un 4. Ceci dit, maintenant que j'y pense, presque un an après, je n'ai quasiment AUCUN souvenir de cette saison 5 en dehors de la trame générale (et encore, vaguement...), de la mort d'Omar et du final (donc les deux derniers d'épisodes, si je ne m'abuse). Ce qui finalement tend à prouver que ma sévérité n'était pas injustifiée, surtout si l'on considère que sans jamais les avoir revues je me souviens des quatre premières saisons quasiment par cœur...

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  19. je dois juste te dire "merci" pour la découverte de The Wire, ici même sur ce blog.
    merci pour m'avoir fait découvrir et à pas mal de gens autour de moi cette série fabuleuse

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  20. De rien. Rien que pour ça je suis content d'avoir ouvert ce blog aux séries télé.

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  21. Comme Dragibus, je te dois la découverte de cette série qui m'a scotché de bout en bout (ah ui, la saison 5 est moins bonne et je partage tout ce que tu as dit, sauf la note, quand même, bien que comme tu le dis, dans son genre, c'est la moins bonne des 5).

    Donc : merci ! merci ! merci !!!

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  22. Enorme merci à ce blog de m'avoir fait regarder The Wire. J'ai découvert et adoré Six Feet Under il y a environ 5 ans, puis the Sopranos il y a 2 ans, j'ai maintenant l'impression d'avoir bouclé une sorte de trilogie des meilleures séries dans ce genre. J'espère découvrir encore d'autres séries d'un aussi excellent niveau.. mais bon snif je suis toujours triste de terminer une aussi bonne série, l'impression de quitter des amis et leur univers!

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  23. J'ai lu tes six articles sur The Wire. Ils cernent bien les choses ; et sont souvent justes.

    Ce qui m'a le plus frappé dans la série, c'est sa propension à être très lisible à plusieurs échelles. On peut comme tu l'as fait commenter une saison ; mais c'est largement assez riche pour commenter épisode par épisode. Et c'est largement assez cohérent pour commenter la série dans son ensemble aussi !

    C'est pour ça que je suis un peu étonné par le style que tu adoptes dans ton article sur la quatrième saison, quand tu dis que "c'est dans cette (déjà) avant dernière séquence que The Wire cesse (définitivement ?) d'être une série policière". Cela me donne l'impression que tu vois la série de manière très actuelle, comme si n'importait que ce qui avait été fait récemment. Et en l'occurrence, les Mike de la quatrième saison deviennent les Wee-Bey de la première, par exemple (enfin, les Omar plutôt comme le suggère la fin de la cinquième saison). Bref, c'est cette dimension de cohérence de près et de loin que je trouvais importante (et fascinante).

    Enfin quoi qu'il en soit c'est mineur, merci pour tes articles.

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  24. Pépé >>> de rien !

    Vincent >>> ça m'est très difficile de répondre à ta question car l'article remonte à plus de deux ans, tu m'excuseras donc d'éluder en grande partie. J'imagine tout simplement que je faisais allusion au fait que l'intrigue policière elle-même était reléguée au second voire au troisième plan dans la saison 4, ce qui n'est pas tout à fait le cas dans les deux précédentes, où elle occupe une grande partie de l'espace narratif, quand bien même elle n'y est - nous sommes d'accord - qu'un prétexte.

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  25. Moi ce qui m'a marqué dans cette saison (j'ai découvert The Wire il y a 1 mois et demi) c'est aussi la continuité grâce à ce final qui compense la baisse de tension de la saison dans son ensemble. De plus il y à un autre facteur à prendre en compte, les journalistes n'apparaissent que dans la saison 5... Avant on les voit peu ou prou et leur influence est autant limitée que leurs caractères.
    Je n'y voit pas une "mauvaise" saison (hors de l'intrigue de Mac Nulty) mais plutôt une continuité: même quand les journalistes sont un des points focal de la narration, ils ont moins d'influence que les autres protagonistes.
    La fin et le renouveau d'Omar (quel charisme), de Bobbles et d'à peu près tout les autres personnages marquant ;un mini Avon, le lieutenant Carver pour reprendre le poste de Daniels, et même un nouveau Prop Joe. Ce choix de cycle me fais penser que l'auteur nous dit "j'ai finis le tour de la question" et si les journalistes y sont les derniers traité ce n'est pas par hasard.

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