samedi 22 août 2009

Un village français - Trop ambitieux, mais pas assez.

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Certains l'attendaient avec un impatience depuis des mois, d'autres s'en passaient très bien... Le Golb accueille aujourd'hui sa première série hexagonale. Non qu'on fasse ici une allergie particulière aux productions françaises (des articles sur Reporters et Engrenages sont d'ailleurs dans les tuyaux...), mais il faut bien reconnaître qu'en dehors de l'immortel débat les français sont des nuls/mais non ils sont géniaux... il y en a juste moins, et des courtes, et des pas forcément enthousiasmantes (en fait si l'on élimine les prime-time de TF1 façon Navarro il ne reste plus beaucoup de titres). Raison de plus pour s'enthousiasmer pour des séries plus ambitieuses que la moyenne lorsqu'il y en a ? A en croire l'enthousiasme... l'excitation même de la presse... oui, apparemment. Peu importe que cet embrasement soit sujet à caution, la presse télé hexagonale n'ayant jamais vraiment brillé par sa capacité à déceler le potentiel de tel ou tel titre (1). Quasiment aucun de ces génies de l'investigation journalistique n'ayant consacré d'article à The Wire, on peut légitimement douter d'eux lorsqu'ils parlent d'ambition. Pourtant dans le genre, Un village français se pose-là : c'est peut-être effectivement la production télévisuelle française la plus ambitieuse depuis... Belphégor. Voire depuis toujours, ce qui n'est guère difficile si l'on considère que même lorsque les séries françaises atteignent un niveau de qualité égal (voire supérieur) à celui de certaines productions anglo-saxonnes, comme ce fut le cas avec les deux saisons d'Engrenages, cela reste dans le domaine très balisé de la série policière (excellente soit, mais policière quand même).

D'"engrenages" il est d'ailleurs souvent question avec Un village français, dans tous les sens terme. "Engrenage" parce que c'est exactement sur ce principe qu'est construite l'intrigue. Engrenages parce qu'en plus de Philippe Triboit à la réalisation, le "mastodonte" (sic) de France 3 compte dans ses rangs les toujours excellents Thierry Godard et Audrey Fleurot, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle (disons qu'à force de voire Audrey Fleurot dans tout ce que le pays compte de séries - elle a également joué dans Flics, Kaamelott, etfigure même au générique de la saga de l'été de M6 ! - on finit par ne plus la voir qu'en tant qu'elle même, en dépit d'un jeu toujours en tout point irréprochable). "Engrenage" enfin car vue l'ampleur du projet (cinq saisons déjà programmées, avec un vrai rythme saisonnier qui plus est) et son succès (du moins au terme de la première itération), tout laisse à penser qu'Un village français va faire date dans le PAF et marquer le début d'un cercle vertueux du côté des séries hexagonales.

C'est d'ailleurs ce dernier point qui désarçonne lorsqu'on prend le temps d'étudier la question, expliquant sans doute en grande partie l'unanimité de la presse officielle : le monde des séries françaises est si étriqué et si aléatoire qu'on en vient à se féliciter que l'une d'elle bénéficie d'un rythme normal d'une saison par an, ce qui en dit long sur l'état de désespoir des sériephages gaulois. Mieux (enfin : pire) : on se surprend à trouver incroyable qu'un feuilleton du Service Public ait un budget et défende un véritable projet, alors que c'est le cas du plus pourri des programmes commerciaux américains. Du coup on tend vers l'indulgence, alors que ce n'est assurément pas en étant condescendant (C'est génial... pour un truc français) que le niveau s'élèvera. Un village français, on aimerait la trouver géniale, mais il serait malhonnête de prétendre qu'elle l'est. C'est une bonne série, dont les ambitions sont indiscutables, la qualité certaine... mais sa seule véritable surprise, dans le fond, est le fait qu'il y ait eu quelqu'un dans ce pays pour la produire.

Commençons donc par les reproches, assez évidents : on aurait aimé pour commencer qu'une grande chaîne française ait lâché un budget décent pour défendre un projet un peu plus original et moins balisé que celui d'une série - même très bien faite - sur l'Occupation. Le choix de ce sujet précis résume à lui seul le paradoxe Un village français : d'une part, dans sa construction, son travail et ses objectifs, cette série ne ressemble à rien de ce qu'on a pu voir en France depuis l'invention de la télévision. Oui... mais d'autre part, de par son sujet et son approche très Service Public dans le traitement, cette série ressemble à mille chose vues, lues, entendues ces dernières années. On peut certes considérer que c'est très courageux de s'attaquer à un sujet aussi complexe et rebattu, qu'il faut une certaine abnégation et un talent évident pour réussir à lui apporter quelque chose. On peut aussi considérer que c'est très facile de se cacher derrière un thème profondément consensuel (quand bien même on le traiterait le cas échéant d'une manière qui ne le serait pas), et que c'est seulement le jour où France 3 diffusera Un village algérien qu'on pourra considérer que ça y est - les fictions françaises bénéficient de la même liberté de ton que leurs consœurs d'Outre-Atlantique (ces The Wire et autres Six Feet Under qui font tout sauf caresser le spectateur et l'opinion publique dans le sens du poil). Partant de là, on n'est pas spécialement étonné de constater que la réalisation est d'une platitude sans nom. La présence de Philippe Triboit laissait pourtant espérer quelque chose de plus audacieux, mais l'on imagine sans peine que les choix aient été limités - France 3 n'est pas Canal +. Et si certains critiques ont essayés de nous faire avaler qu'Un village français n'était pas une énième production de type Qualité France, impossible de ne pas nuancer en précisant que malgré des efforts évidents elle en conserve nombre de stigmates. A commencer par le plus embarrassant de tous : l'absence d'atmosphère.

C'est une constante dans les séries françaises, et c'est principalement cela qui fait d'Engrenages un OVNI : les Français sont très bons pour écrire des histoires et créer des personnages intéressants. Pour ça ils s'y entendent. Selon les cas, ils sont également capables de faire un effort de réalisation. Mais bâtir une atmosphère palpable, jouer sur les contrastes, les nuances... pour une raison que l'on ignore, ce petit plus indicible faisant la différence entre une série de seconde zone et une grande série semble impossible à appréhender par nos compatriotes. Un village français est soutenue par un scénario extrêmement malin, des acteurs presque tous très bons, elle regorge d'idées... mais tout comme Flics, Mafiosa et tant d'autres avant elle elle peine à développer une atmosphère qui lui soit propre. Or l'atmosphère... c'est essentiel, dans une série. C'est ce qui sert de ciment d'un épisode à l'autre, rend l'un d'eux valable même s'il est moins bon que le précédent. C'est là-dedans que se développe le style, et c'est ce qui fait par exemple que n'importe quel plan d'Oz, même le plus mineur, est immédiatement identifiable comme étant un plan d'Oz. Un village français ne manque pas de talent. Elle manque de style. Elle n'en a pas, en fait. Elle n'a que du savoir-faire, un savoir-faire indiscutable, un savoir faire scotchant le spectateur à son écran par moment... mais qui en aucun cas ne peut se substituer au style.

Reste donc une histoire et des acteurs. Si excellence il y a dans Un village français, c'est de ce côté. La narration est classique et les personnages sont des archétypes (le chef d'entreprise qui emploie tout le village, le médecin humaniste, l'institutrice candide mais courageuse, le flic carriériste et ambigu...) mais les auteurs parviennent à faire voler les clichés en éclat avec un réel talent. Ils voulaient explorer la fameuse "zone grise", le célèbre "ni héros, ni salauds" ? C'est parfaitement rendu, peut-être la meilleure illustration à ce jour de cette période de trouble, de nuances subtiles, de chaos moral. Un village français ne montre pas la guerre mais ce qu'il y a derrière, ces populations civiles paumées, la peur au ventre, l'ennui aussi, parfois. Et pour ce faire le casting a eu l'intelligence de choisir une galerie de très bons acteurs pas trop connotés ni identifiables (à part Fleurot, donc) : Robin Renucci a cette tête de brave type ordinaire, à la fois proche et lointain, comme quelqu'un qu'on viendrait de rencontrer qui nous semblerait étrangement familier ; avec son physique faussement passe-partout et sa gouaille, Thierry Godard est absolument parfait dans le rôle de l'entrepreneur totalement dépassé par les événements, cohabitant avec les allemands sans réellement s'apercevoir de l'engrenage (encore) dans lequel il met le doigt... Chose rare dans ce type de fiction, on n'a pas l'impression d'avoir vu tous ces gens dans des dizaines de téléfilms (même si c'est pourtant le cas de la plupart), et la crédibilité, l'épaisseur et la subtilité de leurs personnages ne sont jamais remises en question. Surtout, chacun laisse entrevoir un potentiel particulièrement intéressant, une marge d'évolution (si l'on peut dire) au fil des saisons. C'est sans doute sur cet aspect que le projet global de Frédéric Krivine et Jean-Pierre Azéma s'avère le plus enthousiasmant : mieux que dans aucune autre série française, on a réellement envie de voir la saison suivante (2), de suivre l'évolution des Larcher ou des Schwartz. Si ce n'est pas évident sur six épisodes, on devine déjà que le format va être exploité dans les prochaines saisons de manière dynamique et intelligente - ce qui bien entendu compense certaines réserves. Après tout, les séries peuvent évoluer, y compris en cours de saison (en l'occurrence les deux derniers épisodes sont déjà très supérieurs aux premiers). Cela constitue même une grande partie du concept. Aujourd'hui intéressante mais inégale, Un village français pourrait parfaitement tutoyer l'excellence dès 2010, une fois bien installée dans l'imaginaire du public et prête à prendre autant de risques formels qu'elle en prend dans le traitement de ses personnages. On a envie d'y croire tant les possibilités offertes par le concept semblent larges. Aucun doute, on suivra la suite avec attention. En espérant que ce soit le cas du reste du public...


👍 Un village français (saison 1)
créée par Emmanuel Daucé & Frédéric Krivine
France 3, 2009


(1) Soyons réalistes : les journalistes télé, en France, ne connaissent rien aux séries télés. Dans les années 90 seul Télérama - reconnaissons-lui au moins cela - s'intéressait au phénomène et nous offrait des dossiers sur Oz ou les Soprano. Et si le Net n'avait pas buzzé autour des Experts au début des années 2000 sans doute TF1 en serait-elle encore à les diffuser le dimanche en milieu d'après-midi entre Walker, Texas Ranger et une rediff du Rebelle...
(2) C'est évidemment aussi le cas pour Engrenages, mais ses saisons ne se suivent pas dans le temps et racontent chacune une histoire individuelle.

15 commentaires:

  1. Bonjour Thomas,

    C'est un très bon article que celui-ci. Néanmoins, j'avoue n'avoir pu réprimer un certain ennui devant les premiers épisodes de cette série, et ne pas être allé au bout.

    A bientôt,

    BBB.

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  2. J'ai moi-même trouvé l'exposition un peu soporifique, mais ça s'arrange nettement après, une fois le système bien installé. Sans doute la saison aurait-elle gagné à compter un ou deux épisodes de plus.

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  3. Comme BBB, je n'ai pas vraiment été convaincu par cette nouvelle série. De bonnes intentions, de bonnes idées, mais le résultat reste trop "franchouillard" à mon goût (et, contrairement à ce que tu dis, j'ai trouvé certains comédiens très mauvais, l'institutrice, notamment, joue faux du début à la fin).
    Mais tu as raison, je suppose qu'il faut lui laisser le temps de s'installer.

    Bon week-end.

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  4. Bon, cette série je m'en fous un peu, par contre, BONGO!!!!

    (j'ai rien compris mais c'est marrant...)

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  5. Très intéressant papier. Ca change des trucs très formatés qu'on lit en général sur les séries. Je n'avais pas vu celle-ci mais finalement, votre critique en étant plus nuancée m'a plus donné envie.

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  6. Xavier >>> en fait c'était juste un test pour voir s'il y en avait qui lisaient vraiment le petit encart en bas à gauche (et non, il n'y a rien à gagner).

    C-U-L-P >>> merci pour votre visite.

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  7. Ne ronchonnez pas, voyons. Votre article est très bien. Et dans sa continuité, je dirais que ce n'est pas parce que c'est une série française que nous pourrions (Bloom, moi, d'autres) nos l'infliger en intégralité, alors que nous nous ennuyons. Haut les coeurs !

    BBB.

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  8. Ah mais je ne ronchonne pas du tout ! Qu'est-ce que vous allez chercher là ?

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  9. BBB,

    Je n'ai peut-être pas été clair, mais moi j'ai vu cette série en entier.

    Cordialement.

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  10. Pour moi c'était clair, en tout cas.

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  11. BONGO!! non, j'déconne!
    c'est assez frustrant de pas pouvoir commenter ton Golb me more! (c'est peut etre fait exprès)
    (Yosemite m'a preté le Dogs que tu as chroniqué dernièrement...)

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  12. C'est frustrant tant que je fais mumuse avec mais à terme, tu verras que tu n'auras rien à commenter, son but est informatif et fonctionnel - il y a déjà 1500 et quelques articles pour causer sur ce blog :-)

    (et de toute façon... techniquement parlant ce n'était pas possible de mettre des commentaires...)

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  13. Je partage totalement ton avis sur un Village français. Merci pour cet article. En revanche, je ne crois pas que Philippe Triboit soit un grand réalisateur. Pour moi c'est quelqu'un qui n'a pas d'idées visuelles. Il confond atmosphère et sens de l'image, ou comment retranscrire ce qu'il y a à l'écrit en image. Quel ton donné, quelle ligne graphique, quel code visuel ? Entre "la commune" et "un village français" on peut noter une chose : l'absence d'idées.

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  14. Salut Showshoes !

    Tu sais je ne crois pas non plus que Triboit soit un "grand" réalisateur, juste un bon qui a fait ses preuves et a eu tendance à se retrouver embarquer dans des projets ambitieux. Mais en réalité en disant ça j'ai la sensation de m'engager dans une discussion totalement absurde - pas à cause de toi mais à cause de ma réponse - dans la mesure où je me rends bien compte que pour reprendre la comparaison avec Outre-Atlantique, personne là-bas ne connaît les réalisateurs de séries (à quelques rares exceptions près) qui sont trois ou quatre sur chaque et sont totalement interchangeables. C'est le show-runner qui est garant de la cohésion et du style... et si je note qu'on s'approche de plus en plus de ça en France (et Krivine est un bon exemple) j'ai la sensation qu'on n'y est pas encore.

    Bref : ton commentaire me fait surtout réaliser (c'est le cas de le dire ;-) que tout en voulant montrer les décalages France/US je me suis quand même malgré moi focaliser sur un aspect (le réalisateur) typiquement franchouillard :-D

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