lundi 10 août 2009

Too Much Class for the French Boys

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°91]  
Too Much Class for the Neighbouhrood - Dogs (1982)


C'est marrant.

J'allais commencer ce papier par quelque chose comme "Ah là là les Dogs le plus grand groupe de rock français de l'univers est un groupe normand et même rouennais et ce n'est pas un hasard" lorsque je me suis rendu compte que c'était un peu n'importe quoi, et que fondamentalement le fait que les Dogs aient été rouennais n'a jamais eu la moindre importance ni le moindre lien avec ma vénération pour Too Much Class for the Neighbourhood - mis à part de m'avoir permis de découvrir le groupe sur scène plutôt que dans une nécrologie de Rock & Folk. Il serait d'ailleurs affreusement mensonger de laisser entendre que les Dogs sont un monument régional, quand bien même il existe une place Dominique Laboubée (ce que je ne savais même pas - elle a été inaugurée une semaine après mon déménagement). A Rouen comme ailleurs, en 2009, les Dogs ne sont pas spécialement connus - ils n'ont d'ailleurs pas grand-chose de rouennais. Il va sans dire qu'un rocker avec l'accent darouan aurait eu beaucoup de mal à faire carrière, et leur dandysme, leur élégance et leur aristocratie très british n'étaient pas plus normandes qu'elles n'étaient françaises : les Dogs furent avant tout l'un des plus grands groupes anglais de tous les temps.


De cela découle leur incroyable supériorité sur la concurrence française des années soixante-dix, quatre-vingts et même quatre-vingt-dix (car leur ultime album, que personne ne connaît ni n'a écouté, tient la dragée haute à un paquet de groupes revival contemporains) : les Dogs étaient un groupe glam briton ayant pris l'apparence de punks rouennais (notez la proximité avec la Manche... bon, il y avait bien Dieppe aussi, mais c'eût été pousser très loin la ringardise), histoire de tromper l'ennemi. Perfides sans doute, mais surtout affreusement classes, trop classes même... pour le voisinage bien sûr - pour la concurrence, surtout. Même les prétentieux Parisiens, si prompts à se prétendre aristocratiques, n'avaient pas grand-chose à leur opposer. Incomparables et insurpassables les Dogs - il faut les avoir vus une fois sur scène pour comprendre combien - avaient ce feu sacré que seuls les plus grands groupes anglais possèdent, cette nonchalance mâtinée de morgue qu'on trouve si peu par chez nous. Les groupes français vous savez, c'est un peu comme les séries de TF1 qui pompent le modèle américain : vous pouvez prendre exactement le même concept que les Experts, le même décor, le même microscope... vous pouvez même débaucher un scénariste ou un producteur de la série originale... transposée avec des acteurs français, ce sera vachement moins crédible - la nature profonde de la série est si intrinsèquement liée à l'inconscient collectif américain que la greffe ne peut pas prendre.

Pour le rock'n'roll, le vrai (je ne vous parle pas de pop ou de rock alternatif, hein), c'est exactement pareil. Les mecs ont beau pomper Cochran ou les Flamin' Groovies comme tout le monde, reprendre Dr Feelgood et chanter tous leurs titres en anglais sans le moindre début de commencement d'accent... ils sont exactement comme des blancs cherchant à faire du blues : aussi efficaces et précis soient-ils, ça se voit qu'ils sont français. Que le rock'n'roll ils l'ont peut-être dans la tête mais pas dans le sang, que le groove n'est pas un truc qu'ils maîtrisent et que l'ennui urbain, ma foi, ils le connaissent surtout via les albums des Ramones et des Dolls - mais ne l'ont jamais expérimenté personnellement.

Les Dogs sont une des rares exceptions à cette règle, et c'est particulièrement frappant sur Too Much Class for the Neighbourhood. Qui n'est pas forcément leur meilleur (Legendary Lovers est tout aussi génial) mais fait office, et on le comprend à l'écoute, de seul rare véritable classique du rock'n'roll made in France. En dépit de la variété des styles qu'il balaie (du rock'n'roll traditionnel à la new-wave en passant le rockabilly, le glam, le punk ou la power-pop) sa cohésion n'a de cesse d'épater. Même sur leurs moins bons disques (More, More, More est assez affreux par exemple) il se dégage des Dogs une aisance, une spontanéité et un panache tellement au-dessus de la moyenne que lorsqu'on entend un de leurs meilleurs la seule chose qu'on a en tête est une liste des soi-disant grands groupes anglo-saxons qui leurs sont inférieurs. De l'ironie de "The Most Forgottent French Boy" au sexy de "M.A.D.", de l'urgence de "Death Lane" à la reprise véhémente de "The Train Kept-A-Rollin', rien n'est à jeter sur cet album. A se demander comment il est possible qu'un tel groupe ait enregistré des scores de ventes si relatifs... enfin "se demander", non, on le sait pourquoi. C'est là que réside tout le piment de l'histoire : le génie des Dogs, célébré jusqu'à l’écœurement s'ils avaient été anglais (vraiment, je veux dire), n'a quelque part jamais fait que souligner l'inculture crasse des français en matière de rock'n'roll. Grâce à Too Much Class... et Legendary Lovers, on sait qui était là le premier entre l’œuf du désintérêt et la poule de la médiocrité : ce n'est pas parce que les Français n'ont jamais eu de grands groupes dont ils puissent être fiers qu'ils ne connaissent rien au rock, mais bien parce qu'ils n'ont jamais rien connu au rock (et accessoirement n'ont pas su célébrer les Dogs comme ils le méritaient) qu'ils ont eu si peu de très très grands groupes. Inutile de me remercier pour ce pathétique enseignement.


Trois autres disques pour découvrir les Dogs (qui se prononcent en fait juste "Dogs", sans "les", mais je trouve cela assez barbare à écrire) : 

Different (1979)
Legendary Lovers (1983)
4 of a Kind (1998)

26 commentaires:

  1. C'est marrant.

    Je m'attendais à Tostaky, ou Toxicity, alors que... C'est tellement évident que celui ci se devait d'y être.

    Que dire, sinon que c'est un disque que tu m'as fait découvrir, qu'il est extraordinaire, et que le morceau éponyme est surement un de mes préférés de tous les temps, et que je te suis éternellement redevable de cette découverte?

    Rien, sinon que je suis dégouté de pas y avoir pensé ;-)

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  2. Je ne sais pas si je suis le seul à mettre marré en lisant cette phrase, mais :"Il va sans dire qu'un rocker avec l'accent darouan", c'est excellent.
    On ressent la poésie et la douceur qui fait le charme de l'accent rouennais :D

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  3. Ca reste mieux que des rockers avec l'accent duhôvre ;-)

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  4. Whaouh la dépression estivale ! Pov Thominou, qui compisse ses calecifs avec Little Bob puis les Dogs. La semaine prochaine les Stocks, puis Bijou et Starshooter, et je crois qu'on aura fait un bon tour du rock ringard français des 80's.

    Voyons, un peu de sérieux : y a des gens qui lisent des livres ici, faut pas les décevoir...

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  5. Album superbe. L'un des meilleurs des années 80, tous styles et pays confondus. Et qui vous donne l'occasion, d'écrire un de vos meilleurs articles depuis longtemps (non que les autres soient mauvais, mais celui-ci, il est particulièrement bon...)

    BBB.

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  6. Les Dogs "ringards" ? C'est une blague ? Quel humour, alors. Les Dogs sont tout sauf ringard, c'est bien la première fois que je lis telle absurdité à leur sujet. Que l'on trouve Little Bob, je peux le concevoir. Que l'on pense cela de Bijou, pourquoi pas. Que l'on n'aime pas Starshooter, moi non plus. Mais les Dogs! Il faut vraiment ne jamais avoir pris la peine d'écouter une de leurs disques en entier, pour dire ce qui, vous m'excuserez pour la franchise, n'est rien d'autre qu'une imbécilité.

    BBB.

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  7. Guic' >>> "éternellement redevable"... n'exagérons rien. Je t'assure qui si tu m'ériges une statue, on sera quitte.

    Doc >>> n'est-ce pas ? Evidemment ce n'est pas facile à représenter par écrit, mais ce n'est pas pour rien qu'on me surnomme dans les milieux autorisés "la Toni Morrison du bocage" !

    Christophe >>> j'aurais pu dupliquer le commentaire de BBB. (en rajoutant quelques gros mots). Traite encore une fois les Dogs de ringards et je te jure que tous tes groupes préférés vont passer à la moulinette Top of the Flops, ainsi que NCIS et Boston Justice (non non, ne le fais pas, je blague ^^).

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  8. Mince, Guic m'a piqué ma blague.

    Plus qu'a écouter ce groupe alors...

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  9. Cela dit tu soulèves un point important... comment Guic' connaît-il les subtiles nuances entre l'accent darouen et celui de lehôvre ?... :-/

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  10. (Facile: au cours de mes études lorraines, j'ai cotoyés hôvrais,rouennais, mosellans, lensôas, alsaciens... Autant dire que je connais bien les accents moches de nos belles contrées. Ainsi que ces fascinantes querelles intestines régionales)

    Sinon, les Dogs ca peut pas être ringard, vu que c'était déjà un peu vieillot (enfin, "rétro") pour la date à laquelle c'est sorti (ce qui n'empêche pas leur oeuvre d'être délicieuse)

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  11. Guic, tu as oublié le pire de tous, l'accent Vosgien ;)

    Bon, ca m'a l'air sympa les Dogs, est ce que ca se rapproche de mon Vénéré Johnny (Thunders, je précise)?

    Si si, Thom, je te remercie pour ta conclusion, elle met bien les choses au clair...

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  12. j'ai commencé avec A 1,000,000 Ways of Killing Time puis Different, Walking Shadows et enfin Too Much Class...
    Ce sont des classiques indémodables (le prochain qui utilise Ringard je le broie) et s'il y a bien la chanson ultime par excellence, c'est The Most Forgotten French Boy...
    (elle doit être quelque part dans mon player d'accueil si Deezer l'a pas sauvagement squeezée, peut-être parce que ce serait trop bon)

    l'accent doubiste est mon préféré...

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  13. Guic' >>> tu as raison de parler de querelles intestines. Quelle connerie que tout ça ! Certes les havrais sont des cons, mais de là à en en faire toute une histoire...

    Xavier >>> Johnny Thunders ? Moui... pourquoi pas. Enfin tu sais cela dit je mets un extrait pour que chacun se fasse sa propre idée, hein (et l'album est présent inégralement sur deezer, ainsi que quelques autres du groupe).

    Yosemite >>> T'as de la chance, A Million Ways of Killing Time c'est le seul que je n'ai pas.

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  14. Je l'ai en vinyle et ne sais pas s'il a jamais été réédité en Cd.
    Il est magnifique !

    Xavier: il est dans ta pile jusqu'à demain soir.

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  15. Thom: déjà que je dois ruser pour que ni mes supérieurs, ni mes subordonnés (à qui je refile plein de boulot) me capte en train de lire ton blog, tu voudrais pas que je mette des écouteurs à donf au boulot! Sans compter qu'à ma prochaine demande d'augmentation, on me dira probablement d'aller me faire schtroumpfer et qu'avec le temps que je passe sur le Golb, je peux m'estimer satisfait de pas etre foutu à la porte!

    Yosemite: bon, je vais prendre un sac plus grand pour demain...

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  16. Yosemite >>> je ne crois pas non plus qu'il ait été réédité.

    Xavier >>> si tu essaies de suggérer que je t'embauche à la place, c'est peine perdue :-)

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  17. ah je comprend mieux l'histoire des accents!! bon, ca me plait vachement, je vais écouter un album, que va me preter un pote très prochainement ;)

    Thom, je ne suis pas pret de postuler dans une boite qui met des 3/10 à d'excellents albums sous prétextes qu'ils se vendent...

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  18. Comme quoi on est tellement campé sur ses positions qu'on ne lit pas très attentivement... car j'ai pourtant raconté sur Art-Rock que la dernière fois que j'ai écouté et détesté l'album en question c'était un mois et demi avant sa sortie, le groupe ne vendait alors pas grand-chose...

    (et en plus c'est complètement faux, j'ai mis une bonne note à Marilyn Manson, qui vend trois, quatre fois plus que Ghinzu ^^...)

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  19. c'était une pique purement gratuite, je sais bien que ce n'est pas ton genre ;)

    tient, j'ai trouvé au moins deux albums sortis en 2009 que je préfère au Ghinzu...

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  20. Oui enfin en même temps si c'est Bat For Lashes et Placebo, épargne-toi cette peine :-)

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  21. Bon, revenons au vif du sujet, j'ai vu les Dogs sur scène en 1984, ou 5 ou 6, je ne sais plus. C'était vraiment bien en tout point, je suis d'accord. Le seul truc qui me gênait un peu (mais avec le recul, plus du tout)ça m'avait frappée à l'époque c'était... l'accent. Bon, mais vous avez assez palabrer il me semble. En tout cas, merci pour cette cure de Jouvence !!!

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  22. Les Dogs sur scène en 84. Ah la vache, y'a eu des générations plus gâtées que d'autres...

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  23. Les Dogs sur scène en 79, 81, 82 (4 fois ou 5), 85, 87 (3 fois) et 90. Je dois en oublier quelques uns. Et comme un con, après le trou.
    Oui, à c't'égard, je fais partie d'une génération gâtée.
    En même temps, on était pas si nombreux à suivre les rouennais. Tu sais, Marquis de Sade, c'était tellement plus in the mood.

    Quant à ton texte, je ne dirai qu'un mot : AMEN !

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  24. Je crois qu'après 90 c'est le trou pour beaucoup de gens...

    J'en profite pour préciser que sur deezer, non seulement il y a Too Much Class, mais on peut aussi trouver Walking Shadows (autre classique du groupe même si bizarrement je ne l'adore pas), l'excellent live Short, Fast & Tight ainsi que des albums plus récents comme 4 of a Kind / A Different Kind, pas forcément faciles à dénicher dans la première fnac venue. Je dis ça pour les nombreuses personnes qui n'auraient jamais eu l'occasion d'entendre les Dogs dans les années 90.

    Sinon eh bien... le Patrick Eudeline du Web francophone qui me dit Amen, ça me fait quand même quelque chose ;-)

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  25. eh ben thom, tu vois que tu as tes petites obsessions toi aussi ^^

    les dogs je suis toujours passé à côté, va falloir que je teste,
    mais ça me fait penser à un groupe qui n'a jamais percé, malheureusement : les Roadrunners.
    sacré groupe de rock ça aussi,
    et puis dominic Sonic, du bon rock des familles aussi,
    fin 80s/débuts 90s (sonic est toujours en activité, en réalité)

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  26. C'est ce qu'on appelle un étrange hasard des calendriers ;-)

    Les Roadrunners... autre groupe normand cultissime, qu'il n'est pas interdit de voir comme les dignes héritiers des Dogs (ils sont de la génération juste après). Eux aussi s'inscrivent dans cette lignée de groupes semblant trop "roll" et pas assez alternatifs pour être reconnus à grande échelle en France (leur cas est encore pire, ils sont beaucoup moins connus que les Dogs), alors qu'en Angleterre ils auraient été des stars.

    J'aime moins Dominic Sonic, mais c'est effectivement dans la même lignée.

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