jeudi 9 avril 2009

Peter Doherty - Un amant naïf et sentimental

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Depuis qu’il est presque clean et que les moins de 16 ans le vénèrent, Pete… pardon : Peter Doherty n’en finit plus de revenir, et les médias de relayer ces retours – visiblement personne n’a pris la peine de leur dire qu’ils se répétaient. Il y a de quoi s’étonner : quand les Libertines, premier groupe de Doherty que les gamins d’aujourd’hui connaissent à peine, publiaient deux chefs-d’œuvre absolus, la presse française et Nagui s’en fichaient éperdument. À présent que l’un des deux ou trois meilleurs groupes de la décennie est devenu un lointain souvenir (1) et qu’il semble acquis que plus jamais Doherty n’approchera ce niveau, il n’a jamais fait autant de couvertures ni reçu autant d’étoiles. Sans vouloir jouer les rabats-joies ou les fans de la première heure précocement vieillis, on s’interroge tout de même sur les dommages que peut causer une loupe médiatique encore plus implacable (et paradoxalement : aveugle) qu’à l’époque de Kurt Cobain.

Car bien entendu tout cela rappelle quelques souvenirs, peu importe que Pete soit surtout devenu une star chez nous la première fois que son nom a été inscrit dans ELLE. Certes, le terme d’« icône » semblerait excessif accolé à quelqu’un vendant finalement peu de disques en regard d’un Coldplay ou d’un U2, passant relativement peu en radio et dont la musique demeure encore assez confidentielle chez les plus de 30 ans (mis à part ceux bien sûr qui ont des ados à la maison). Il n’empêche : à défaut d’être une vraie icône populaire, Doherty est assurément l’unique personnage culte que nous ait offert le rock des années 2000, en dépit de l’argument du il-est-devenu-connu-grâce-à-ses-frasques – finalement très franco-français (en Angleterre les Lib's sont devenus énormes dès leur premier single). Dans une époque comme la nôtre, où le rock n’est plus un mode d’expression dominant et s’est explosé en foultitude de micro-courants aussi passionnants que confidentiels, son succès demeure d’autant plus considérable qu’il reste ce petit songwriter indé initialement sorti de la mythique écurie Rough Trade. Mieux : sa pérennité (déjà plus de dix ans de carrière, et cinq albums depuis 2002) a quelque chose de rassurant au terme d’une décennie plus que toute autre gouvernée par les modes et la hype. Doublement mieux : la popularité d’un personnage aussi naïf, romantique et premier degré semble carrément salubre en un début de siècle où le cynisme n’a jamais été autant en vogue.

Preuve que mythe il y a, même modeste par rapport à ceux des décades précédentes : on en oublierait presque parfois qu’il y a un album, de la musique, des chansons souvent exceptionnelles. Aujourd’hui on peut suivre la vie de Pete Doherty quasiment en temps réel sur le Net, on peut voir ça comme du people – ou bien on peut considérer que ce n’est que la transcription contemporaine de la mythologique rock’n'roll. Après tout : dans les légendes de Cobain ou Morrison, la place réservée à la musique était déjà réduite à une portion pour le moins congrue ; en ces temps où la forme a définitivement pris le pas sur le fond, rien d’étonnant à ce que cette part ait encore un peu diminué.


Ce qui nous amène à ce Grace/Wastelands au titre aussi superbe que sa pochette. À un fond sans véritable surprise, il faut bien le reconnaître, si ce n’est sa qualité, pas forcément évidente compte tenu du côté versatile du garçon. L’album était attendu, la présence de Graham Coxon au générique alléchante, Doherty lui-même jouait depuis des mois les VRP avec un indéniable talent… pour que finalement le grand secret entourant l’ouvrage finisse en eau de boudin. Coxon ou non, le premier album solo de Pete Doherty ressemble très précisément à ce qu’on aurait pu imaginer, c’est-à-dire – entendons-nous bien – à une collection de chansons foutraques, sobrement habillées parfois, assemblées de bric et de broc, toujours. Ceux qui avaient trouvé le son du dernier Babyshambles un peu lisse seront donc sans doute aux anges, les autres se contenteront de hocher la tête d’un air entendu. Sacré Doherty ! Cela valait bien la peine de laisser ses fans se perdre en conjectures durant des mois : Grace/Wastelands est dans la droite ligne des titres les plus acoustiques de Babyshambles, qu’il singe même parfois sans vergogne ("Arcady" est une ressucée de "Clementine", vieillerie que Pete traîne de démo en démo depuis 2003), à quelques coxonades près. Plutôt folk, donc, façon Adam Green des débuts, avec un zest de pop… et puis voilà. Le succès annoncé n’en est que plus déroutant ; son auteur avouait récemment se demander comment un tel disque pouvait intéresser autant de gens… nous aussi. Non qu’il soit mauvais (au contraire) ; simplement qu’un album comme celui-ci, bricolé à la maison avec quelques copains, parfois volontairement cheap… puisse autant exciter un public aussi vaste… voilà bien un évènement tout à fait inédit dans l’histoire du rock.

En fait Grace/Wastelands est exactement à l’image de son créateur : lunaire, parfois génial… et assez irrégulier. Comme tous les albums de Pete Doherty depuis la fin des Libertines, il donne l’impression de ne pas être fini, contient presque autant de morceaux fabuleux que de jolies choses un peu gnan-gnan et dispensables, enchante et ennui parfois dans la même chanson. "Salome" en est un excellent exemple : la première minute est charmante, les deux autres soporifiques. Idem pour "Palace of Bones", deux fois trop longue. Et ainsi de suite. Et à côté de ça Grace/Wastelands recèle de véritables pépites ("1939 Returning," "I Am the Rain"), le single majestueux de service ("Last of the English Roses"), une ballade contemplative poignante ("Lady Don’t Fall Backward") et quelques fulgurances étonnamment produites, fruits de la rencontre avec Coxon ("A Little Death Around", la fabuleuse "Broken Love Song"…).

Il n’y a quand on y pense que deux types de génies : ceux qu’il faut absolument canaliser, et ceux qui ont souvent besoin d’un coup de pied aux fesses. Ce n’est pas faire injure à Doherty que de noter qu’il appartient à la seconde catégorie. On ne peut que déplorer qu’un type pourvu d’un tel potentiel cède si souvent à la facilité, quand cet album prouve une fois de plus que lorsqu’il se bouge, il est capable de choses merveilleuses ("Sweet By & By", par exemple). Quitte à stagner de plus en plus au fil des années ? Dans le fond, il n’y a pas un écart de style ni de thématique (ni même de niveau) démentiel entre les premières démos des Libertines et cet album. À 30 ans tout juste, Doherty écrit exactement les mêmes choses, et de la même manière, que lorsqu’il en avait 18, l’insouciance en moins, les tics de composition et la torpeur stupéfiante en plus. En cela il évoque plus que jamais le Cobain de la fin, incapable de se sortir de son inaltérable schéma ralenti/explosion. Pas de quoi le clouer au pilori au vu de la qualité des chansons… mais pas de quoi s’extasier non plus, l’effet de surprise et la séduction de la nouveauté s’étant dilués depuis longtemps dans l’encre acerbe des tabloïds (3)


👍 Grace/Wastelands 
Peter Doherty | EMI, 2009


(1) Enfin… oui et non : la présence de Carl Barat, qui co-signe un titre de cet album, a ouvert la porte aux rumeurs de reformation les plus folles
(2) Au sens : « produites, comme c’est étonnant », et non bien sûr au sens « la production est vraiment étonnante sur ces chansons » !!!
(3) Vous aurez bien sûr reconnu un article paru précédemment sur Culturofil.
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8 commentaires:

  1. Bon article, le dernier paragraphe résume à merveille ce que j'ai toujours pensé de Doherty (meme à l'époque Libertines), surtout la phrase:
    "On ne peut que déplorer qu’un type pourvu d’un tel potentiel cède si souvent à la facilité"

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  2. Dahu Clipperton9 avril 2009 à 22:02

    A choisir entre l'intégrale de Doherty (en groupe ou solo) et le vinyle qui racontait l'histoire de Rox et Rouky, que j'écoutais avec passion quand j'étais pitit, ben je choisis le renard et son ami le fox-terrier.


    Mais venons-en au fait : nous sommes le 9, et Thom a publié 12 articles, DOUZE ! Pas que des textes brefs, hein, y'a entre autres un looooong et briiiiiillant édito sur le P2P.

    Ne parlons pas de ses commentaires, comme, au hasard, chez G.T., qui sont assez souvent encore plus longs que ses articles...

    Que lit-on à gauche de l'écran ? "Archives du blog / mars (31)", un par jour, tranquille, décontracté du gland... J'vous parle même pas des années bissextiles

    Je le clame donc haut et fort : ce type est barge !

    Ou alors il est vraiment trois, comme beaucoup l'affirment.

    Ou alors il est sain d'esprit, il est seul et unique, et à ce moment-là, je le rebaptise Shiva et je lui dresse illico un autel.

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  3. j'ai essayé de l'écouter mais je n'ai pas réussi à aller au bout
    Ce n'est pas que je trouvais ça mauvais, mais j'sais pas, je n'accrochais pas.
    Je vais tout de même faire une 2e tentative, voire + si affinité...

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  4. Dahu >>> et encore... dans le temps j'en publiais presque le double, par moi. J'ai vieilli (enfin : "nous"...)...

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  5. "En cela il évoque plus que jamais le Cobain de la fin, incapable de se sortir de son inaltérable schéma ralenti/explosion."
    Mine de rien, il s'agit là d'une phrase absolument définitive et qui résume parfaitement Cobain et son oeuvre... ce jusqu'à l'inévitable ultime explosion.
    Pour le reste, j'ai plus de trente ans et n'ai pas d'ados à la maison.

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  6. Eh bien... merci. Je pensais enfoncer une porte ouverte, en fait...

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  7. j'ai pas fini l'article... (Dahu : le temps de lire tout ce que Thom écrit paraît encore plus long au regard de sa production) mais je lis "en Angleterre les Libs sont devenus énormes dès leur premier single" et je dis : tous les groupes anglais deviennent énormes avec leur premier single... il faut "juste" assurer le deuxième un tantinet pour peut-être accéder à un quelconque sacro-saint autel woknwoll (et non pas wok et casserole comme il me vient parfois à l'esprit) dont la barre a été placée vachement haute, rapport à la notoriété dont j'ai parlé susditement...

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  8. Ah ah... c'est pas faux ! Enfin dans le cas qui nous intéresse tout va bien : le second album des Libertines s'est nettement mieux vendu que le premier...

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