vendredi 10 avril 2009

Seul dans le noir d'un scriptorium avec Paul Auster qui me fait la lecture...

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A lire la presse, difficile de savoir si le dernier Paul Auster est génial ou nullissime - on lira tout et son contraire selon les titres. Vous me direz Thomas, grand fou ! Quelle idée de lire de la presse ? ... quelle idée en effet, mais que voulez-vous : on a tous nos petites faiblesses. Or quand on s'est emmerdé comme un rat crevé au fin fond du scriptorium du précédent Auster, on est en droit de nourrir quelques appréhensions avant de se lancer dans Man in the Dark, de chercher à savoir ce que les autres en pensent... et de noter une cassure vraiment marquée dans les commentaires. Cassure bien connue d'ailleurs, Auster divisant depuis longtemps le monde des lettres en deux camps d'égale importance : ceux le considérant comme un génie et ceux le voyant comme une outre vide faisant piailler les intellos neurasthéniques. Mais cassure qui jamais n'a semblé si prononcée - et pour cause : Man in the Dark est probablement le plus austérien (et le plus austère, aussi) de tous les livres de son auteur... et là, je ne vous cacherai pas que j'ai un peu l'impression d'écrire cette phrase à chaque fois qu'Auster publie un livre.

Il est pourtant assez rapidement évident que Man in the Dark est bien plus que ce que certains veulent en dire, bien plus qu'une uchronie basée sur le concept de Et si le 11 Septembre n'avait jamais eu lieu ? Notons d'ailleurs que s'il n'était que ça, il partirait déjà d'un postulat particulièrement excitant, l'idée de voir Auster chasser sur les terres du Philip K. Dick de Man in the High Castle étant plutôt prometteuse tant leurs œuvres sinueuses ont toujours paru liées. Or il n'est pas que cela : l'uchronie est réelle, projette le lecteur dans un étonnant monde parallèle où New York est ravagé par une guerre d'indépendance... mais cette uchronie, c'est là toute la spécificité de ce nouveau roman, est une fiction assumée comme telle : le fruit des divagations d'un vieil homme seul et paralysé, s'imaginant un univers (et une vie) parallèle pour tromper sa solitude et son ennui. Ici réside à la fois la force et la faiblesse de Man in the Dark : sa force, c'est une fois encore chez Auster une plongée vertigineuse dans les méandres de la création, une capacité unique à faire se confondre réalité et fiction, à emporter le lecteur dans une galaxie littéraire dont seul l'auteur de Music of Chance semble connaître le chemin ; sa faiblesse, c'est que comme l'uchronie n'est qu'un prétexte, elle semblera par moment un brin faiblarde à l'amateur du genre, poursuivant une trame foncièrement invraisemblable (je parle évidemment non pas de la non-existence du 11 Septembre mais de la Guerre de Sécession ravageant New York) et mettant en relief des caractères et des comportements finalement assez banals.

Qu'en penser alors...? Man in the Dark est assurément un ouvrage singulier, mais ça c'est le minimum syndical pour du Paul Auster. L'explosion des balises fictionnelles est épatante de maîtrise, mais aucune véritable gloire là-dedans - Auster ne sait pas faire autrement (et ne fait pas autrement du reste depuis son tout premier livre). A vrai dire dans Man in the Dark, roman aussi ambitieux qu'inabouti, on a en fait la sensation désagréable que d'une part Auster se répète et excelle dans ce qu'il ressasse, et que d'autre part il se renouvelle mais ne convainc pas vraiment dans sa mue. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'on le retrouve dans ce genre de situation périlleuse : chez Auster, le génie semble souvent cyclique. Après un premier Âge d'Or qui l'avait révélé au monde, le candidat permanent au titre de plus grand écrivain vivant avait quelque peu peiné dans les côtes à la fin des années quatre-vingt-dix... avant de renaître et d'entrer dans un second Âge d'Or au début des années 2000 (avec successivement The Book of Illusions, Oracle Night et The Brooklyn Follies). Depuis Travels in the Scriptorium il semble à nouveau entré dans une phase de transition... autant dire que si son retour à l'excellence est du niveau de The Book of lllusions, on est prêt à s'envoyer autant de Man in the Dark qu'il le voudra.


Man in the Dark (Seul dans le noir) 
Paul Auster | Henry Holt and Company, 2008


Faute de temps je ne peux pas lister les avis sur ce livre, mais je vous invite en revanche à ajouter vos liens en commentaire...

3 commentaires:

  1. Ah ben j'arrive bien, tiens. :-)
    Alors, après un laps de temps (et les irréparables outrages d'icelui) de post-lecture, je dirais que je ne retiens pas l'uchronie. (j'ai envie de mettre la nuchronie, c'est plus harmonieux je trouve). C'est la deuxième partie du roman qui me reste. Parce que tu as tout à fait raison, la première partie, divagations de vieil homme, n'est qu'un prétexte. (peut-être un assouvissement de vengeance "politique", car pour Auster Bush ne devait pas être élu, ne pouvait pas être élu et donc son mandat n'était qu'une vaste fiction, un monde parallèle et cauchemardesque).
    J'ai été bien plus touchée par la deuxième partie, ce vieil homme et sa petite fille, la perte, le deuil, la solitude, enfin, l'Auster-bagage qui fait que j'adhère à chaque fois... (bon, je suis une faible :-)

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  2. Ah... c'est joli, ça, la nuchronie...

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  3. En tout cas le titre est super marrant (manque juste "brr j'ai peur" à la fin :)

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