dimanche 12 avril 2009

The Delano Orchestra - Béatitude

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L’amateur de musique a appris depuis longtemps à se méfier de deux préfixes souvent trompeurs et parfois irritants. Passons sur néo, rétamé depuis longtemps par le grand Lemmy au détour d’une phrase devenue fameuse, et arrêtons nous sur post – sans doute le préfixe favori des branchouilles les plus insupportables. Quand une musique est « post » quelque chose, on a toujours tendance à se méfier. À raison : dans le meilleur des cas c’est un qualificatif absurde (il n’y a jamais eu autant de rock’n'roll sur les ondes que depuis l’invention du « post-rock »), dans le pire une escroquerie à la prétention inversement proportionnelle à sa qualité. Non que le post-rock des années 1990 / 2000 n’ait accouché de quelques groupes majeurs et n’ait produit quelques chefs-d’œuvre, mais sa définition initiale (un genre utilisant les armes de base du rock pour faire autre chose – en gros) semble tellement loin aujourd’hui qu’il conviendrait presque parfois de parler de « post-post-rock » (idée à creuser… quoique si ça se trouve quelque journaliste proto-snob y a pensé avant nous). On se souvient d’ailleurs d’un musicien phare du genre (taisons son nom par respect pour sa famille) qui, tentant de définir la chose auprès du public d’un showcase FNAC pas trop au parfum, avait eu ces mots lourds de non-sens : « Well… so… le “post-rock”, en fait, c’est un truc qui est né quand des gens comme Mogwai ou nous ont voulu essayer de faire du rock différemment ». Éloquent, non ?

On comprendra que la réception d’un album présenté comme de la « post-folk » éveille en nous quelques craintes. Déjà, on devine assez rapidement qu’il ne s’agit pas de post-folk à proprement dire, c’est-à-dire d’appliquer à la folk la même démarche qu’au rock, mais plutôt d’un dérivé folk du post-rock, d’un genre de post-rock acoustique si vous préférez. Idée encore plus inquiétante… le post-rock, très riche instrumentalement parlant, étant déjà très ennuyeux lorsqu’il n’est pas bien joué, on est en droit de craindre le pire face à du post-rock acoustique. Craintes évidemment balayées rapidement (*).


Car si le second disque de The Delano Orchestra évoque bien l’Illinois, ce n’est pas tant la patrie du post-rock que l’État donnant son titre au magnifique album de Sufjan Stevens paru en 2005, qu’il évoque parfois avec brio et distinction. Le genre de référence qui vous fait balayer tous vos a priori, surtout lorsque la musique est aussi belle et sensuelle que celle développée par le groupe français tout au long de ce Will Anyone Else Leave Me? se classant d’emblée parmi la crème de 2009. Bien plus riche et varié que son prédécesseur (le charmant A Little Boy, a Little Girl, and All the Snails They Have Drawn, il y a presque trois ans), il entraîne le groupe vers des territoires encore en friche, lui fait revêtir sa tenue d’apparat (cordes, pianos, cuivres…) pour déboucher sur une collection de morceaux si réussis qu’au terme de la première écoute on est juste baba d’admiration (il en faudra un sacré nombre pour parvenir à se forger un avis plus crédible que « Wow… vachement bon, quand même ! »).

Une vingtaine d’écoutes et deux séances de rééducation rédactionnelle plus tard, plus aucun doute n’est permis : Will Anyone Else Leave Me? est un album de premier ordre, hanté par le Sparklehorse des débuts (l’intro et l’interlude) et véhiculant une palette d’émotions aussi riche dans son expression que compacte dans sa mise en scène. Parfois parcourues par un groove entêtant ("Until I Die" ou "Endless Night" font plus souvent penser à The Arcade Fire qu’à Mogwai), les chansons sont pour la plupart lumineuses ("Something Is Gone," "Will Anyone Else Leave Me ?"), délicates et subtiles même lorsqu’elles explosent à la moitié (le Low du magnifique Trust n’aurait certainement pas renié The Escape, sa montée en puissance comme son final ), souvent apaisantes et même, au moins une fois, belles à pleurer ("How to Care"… dont le seul titre file le frisson). Difficile de vraiment coller une étiquette là-dessus (post-folk ou une autre encore plus absconse), toujours est-il que l’ensemble plonge l’auditeur dans un sentiment persistant de béatitude mêlée de tendresse, comme si ces chansons pour la plupart douces et suaves rendaient heureux malgré la tristesse qui s’en dégage parfois. Sans doute la voix fluette, presque timide, façon Mark Linkous, n’y est-elle pas pour rien. Elle confère aux chansons (notamment "Sunday 2am") un côté pudique particulièrement touchant, comme si sa nudité et sa justesse devaient servir de contrepoids à la sophistication des arrangements.

En somme : du travail d’orfèvre ; exactement le genre de disque qui ne dépassera probablement pas le succès d’estime alors que ses mélodies cristallines et sa richesse devraient lui garantir de se vendre par palettes entières, d’émerveiller des milliers d’auditeurs, de créer des vocations… exactement le genre de disque que l’on aime par ici, et que l’on chérira toujours, et que l’on vous encouragera éternellement à acheter. Généralement en terminant l’article par une chute un peu abrupte qui dit : « à ne pas manquer ».

À vos marques, prêts ?

Will Anyone Else Leave Me?, du Delano Orchestra, est un disque carrément « Wow… vachement bon, quand même ! ». À ne pas manquer !


👍👍 Will Anyone Else Leave Me? 
The Delano Orchestra | Kütü Folk, 2009


(*) En effet mon double culturofilesque aurait plutôt tendance à être plus aimable que moi...

24 commentaires:

  1. J'ai vaguement lu quelque chose sur eux l'autre jour... ce devait être sur Drowned in Sound... le nom du groupe m'a fait "tilt", mais sans ta chronique, je serais certainement passé outre...

    SysT

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  2. Et maintenant bouh... plus d'excuse !

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  3. J'espère que tu as conscience que je vais acheter ce disque sur la seule foi de ton article...

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  4. Promis, un jour j'essaierai de te vendre une bouze... ou mieux : un truc qui n'existe pas ;-)

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  5. Facile, il te suffira de mettre dans le meme article les mots post rock et Sparklehorse (des débuts, de surcroit!)...

    sinon pour ma culture, qu'a dit le grand Lemmy?

    et j'ai bien aimé la phrase:
    "le post-rock, très riche instrumentalement parlant, étant déjà très ennuyeux lorsqu’il n’est pas bien joué, on est en droit de craindre le pire face à du post-rock acoustique"

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  6. "Si c'est "néo" quelque chose, c'est que c'est de la merde."

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  7. :D
    décrire tant d'albums en si peu de mots et avec justesse, c'est la marque des grands!
    Quand on pense que nous autres en sommes encore à écrire des articles entiers...

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  8. En même c'est un petit joueur face à KMS ;-)

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  9. J'aimais beaucoup le premier album, qui devait déjà beaucoup à Sparklehorse. J'ignorais qu'un nouvel opus sortait déjà. J'ai hâte d'écouter cela, surtout compte-tenu de ce que tu en écris, qui me met l'eau à la bouche...

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  10. Déjà, déjà... il a bien deux ou trois ans le premier, non ?

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  11. Tant que ça ? Il me paraissait plus proche... Deux ans maxi, mais, là, je ne l'ai pas sous les yeux... Tu as sans doute raison. :-)

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  12. Bon en fait après vérif non, j'ai tort, il remonte seulement à février 2008 (c'est dingue comme le temps s'écoule parfois lentement, finalement...)

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  13. Ah ! Je me disais bien...
    Je l'ai acheté ce midi, je le découvre... Eh bien, je n'ai pas fini de l'écouter... J'aime vraiment beaucoup... :-)
    Plus convaincant encore que le délicat premier opus, moins fragile (ne serait-ce que dans la voix, les arrangements), plus affirmé...
    J'ai trouvé la bande-son de mon week end...

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  14. J'espère que tu as conscience que je vais télécharger ce disque sur la seule foi de ton article...

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  15. Ska >>> ton commentaire me fait vraiment plaisir !

    Christophe >>> le tiens aussi, mais pas de la même manière.

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  16. Ca y est, j'ai acheté ce disque à Yosemite! Je n'y retrouve pas trop Sparklehorse pour l'instant, plutot Syd Matters ou Immune, mais il faut que je l'écoute plus...
    En tout cas c'est très bon... Je vais le conseiller à Next, impossible qu'ils n'accrochent pas...

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  17. A Yosemite ? j'ai rien compris...

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  18. Il se trouve que depuis pas mal de temps j'achète des disques à Yosemite, et que nous nous sommes révélés via Art Blog et mon article sur Papa M. Car il est vendeur chez mon disquaire favori...

    Sinon pour Sparklehorse j'ai peut etre écrit un peu vite; la voix, et un titre comme "Gone", effectivement.... il faut que je réécoute un peu plus...

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  19. Ah okay okay okay... mais c'est quoi donc ce disquaire ? Si ça se trouve, moi aussi j'ai acheté des disques à Yosemite quand j'étais à Lyon !!!

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  20. Apparement, Yosemite tient depuis 10 ans le rayon indé du Gibert Lyonnais...

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  21. Ah oui ? Mais lequel ? Celui de Bellecour ? C'est le seul où j'ai mis les pieds...

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  22. Ben oui, pourquoi, il y en a un autre?

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  23. J'en sais rien, j'ai jamais été qu'à celui-là... mais il me semblait l'avoir entendu dire, donc voilà, je demandais.

    J'ai donc moi aussi acheté des disques à Yosemite ! :-)

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