Comment peut-on être à ce point fan de Joy Division et dans le même temps systématiquement rechigner à écrire à son propos ? Annoncée le 17 Novembre 2007 cette chronique s'est faite attendre un an sans qu'il y ait de vraie bonne raison à cela... sinon peut-être une allergie naturelle à Joy Division en cette période où le grand public, bien aidé en cela par un film magnifique, s'est mis à le redécouvrir. Depuis la sortie de Control, des kilomètres de pages numériques ont été noircies, les rééditions de l'an passé ont été décortiquées les unes après les autres (souvent d'ailleurs par des gens qui ne connaissaient pas les éditions originales, mais qu'importe l'ivresse pourvu qu'on ait le flacon !) et c'est à présent New Order qui s'apprête à rééditer la (quasi) intégralité de sa discographie en grande pompe. Evènement paradoxalement plus intéressant, alors même que la principale caractéristique de New Order est d'avoir été inférieur à son illustre ancêtre (pour les jeunes et les troglodytes de passage rappelons que New Order c'est - en gros - Joy Division moins son zombie de chanteur) : il y a sans doute plus de choses à redécouvrir ou à réétudier de ce côté que de celui d'un groupe qui certes est probablement le plus important de toute l'histoire du rock juste derrière les Beatles et le Velvet... mais qui n'a publié que deux albums sur lesquels tout a été dit et redit depuis des lustres. Telle est sans doute à bien y réfléchir la raison du retard de cette chronique : écrire sur Joy Division en 2008, c'est un peu comme décider un matin qu'on va rédiger un article pour expliquer aux gens que Zola c'est vachement bien...
(en fait non, c'est pire : personne n'ayant jamais été traumatisé par une étude imposée de Closer au collège il y a des chances qu'il y ait en réalité plus de monde à convaincre de la valeur de Zola que de celle de Ian Curtis & Co.)
Still, donc. Compilation publiée un an et demi après la mort de Ian Curtis, genre de chaînon manquant entre Joy Division et New Order (avec le titre culte « Ceremony » en guise de trait d'union - un titre des premiers qui paru six mois plus tôt en guise de premier single des seconds), rare objet du genre à être chéri des fans... vous voyez : on n'a rien de spécialement nouveau à dire sur le sujet. Sinon des méchancetés : les gens prétendant que Still est un chef-d'œuvre sont pour la plupart de dangereux psychopathes dont il convient de vous éloigner au plus vite. Le concept de compile étant par essence incompatible avec celui de chef-d'œuvre, on n'ira pas essayer de vous faire prendre des vessies pour des lanternes : Still est un excellent disque qu'il serait stupide de ne pas posséder, mais on vous déconseillera d'y aller en espérant trouver quelque chose d'équivalent à Unknown Pleasures ou Closer (ce serait un peu comme de chercher Thérèse Raquin dans la correspondance à Mimile). C'est en revanche l'objet idéal si vous vous demandiez ce qu'étaient devenus les deux meilleurs singles que le groupe ait omis de publier : « Exercise One » et « Ice Age » comptent parmi ce que Joy Division a produit de plus époustouflant durant sa brève existence. Le premier a la lenteur menaçante d'un « Atrocity Exhibitions » et ne manquera pas de glacer le sang des organismes les plus sensibles ; le second, en dépit d'un titre encore plus réfrigérant, est une saillie pré-new-wave particulièrement intéressante du point de vue harmonique (car bien plus produite qu'à l'accoutumée) et redoutablement efficace.
Le reste ? Eh bien Still, à l'instar de Substance (l'autre compile du groupe) et de l'album de Warsaw 1 a ceci d'à la fois passionnant et frustrant qu'il semble en permanence écartelé entre le présent et le passé, influences de la veille et directions (potentielles) du lendemain. Quand Unknown Pleasures et Closer étaient disques ovnis présentant la particularité de ne quasiment jamais laisser entrevoir les influences du groupe (Doors, Stooges, Velvet...), Still les étale au grand jour, s'en repait (très '77 « Walked in Line » ici, reprise monumentale de « Sister Ray » là), gâchant partiellement l'étrange plaisir que confère pafois l'ignorance : oui, Joy Division a joué du punk-rock, oui, Ian Curtis voulait être Jim Morrison, oui encore, Bernard Sumner a presque tout appris en écoutant Ron Asheton... de quoi satisfaire sans doute le fan compulsif et donc historiographe, mais dans le fond : est-il vraiment nécessaire de savoir cela pour se laisser fouetter par un « Shadowplay » ou caresser par un « Means to an End » ?
La question est d'autant plus en suspens lorsque retentissent ces deux titres sur la célèbre face live d'un album initialement double. Plutôt meilleur que sur la première réédition (il y a tout de même dix-huit ans), le son de l'ultime concert du groupe (à Birmingham, deux semaines avant la mort de Curtis) est de bonne facture (pas plus hélas) et la setlist cohérente. Mais de même qu'on préféra se jeter sur les lives à Preston et aux Bains Douches lorsqu'ils parurent en 1999 et 2001, on préfèrera désormais sauter directement jusqu'au cd bonus de ce cru 2007 (façon de parler bien sûr) - sensationnel Live at High Wycombe Town Hall... tellement sensationnel en fait qu'il fera probablement date et qu'on ne pourra que regretter qu'il ne soit pas paru en édition simple. Huit titres interprêtés par un groupe en état de Grâce, un « Love Will Tear Us Apart » qui réconcilie enfin avec ce morceau souvent considéré comme mineur par les puristes, un « Disorder » explosif... et surtout la meilleure version parue à ce jour du meilleur morceau de Joy : « 24 Hours ». On se serait certes bien passé des soundchecks en guise de bonus au bonus (et pourquoi pas Ian Curtis tout seul dans sa chambre en train de taper sur les casseroles de sa mère ?) mais qu'importe : comme souvent (et pour cause) avec les rééditions de compilations, celle de Still enfonce largement la version originale et peut d'ores et déjà être considérée comme l'édition définitive de ce curieux double album. Tout n'y est pas parfait (c'est aussi sur celui-ci que figurent les quelques très rares titres dispensables jamais enregistrés par le groupe), mais franchement... que ne donnerions-nous pas pour entendre une seule face B. du calibre de « Something Must Break » chez un seul groupe des années 2000 ?
(1) Short-Circuit, rarissime 33 tours post-punk présentant Joy Division un an avant Joy Division et jetant des ponts imaginaires entre les Pistols et les Banshees de The Scream
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(en fait non, c'est pire : personne n'ayant jamais été traumatisé par une étude imposée de Closer au collège il y a des chances qu'il y ait en réalité plus de monde à convaincre de la valeur de Zola que de celle de Ian Curtis & Co.)
Still, donc. Compilation publiée un an et demi après la mort de Ian Curtis, genre de chaînon manquant entre Joy Division et New Order (avec le titre culte « Ceremony » en guise de trait d'union - un titre des premiers qui paru six mois plus tôt en guise de premier single des seconds), rare objet du genre à être chéri des fans... vous voyez : on n'a rien de spécialement nouveau à dire sur le sujet. Sinon des méchancetés : les gens prétendant que Still est un chef-d'œuvre sont pour la plupart de dangereux psychopathes dont il convient de vous éloigner au plus vite. Le concept de compile étant par essence incompatible avec celui de chef-d'œuvre, on n'ira pas essayer de vous faire prendre des vessies pour des lanternes : Still est un excellent disque qu'il serait stupide de ne pas posséder, mais on vous déconseillera d'y aller en espérant trouver quelque chose d'équivalent à Unknown Pleasures ou Closer (ce serait un peu comme de chercher Thérèse Raquin dans la correspondance à Mimile). C'est en revanche l'objet idéal si vous vous demandiez ce qu'étaient devenus les deux meilleurs singles que le groupe ait omis de publier : « Exercise One » et « Ice Age » comptent parmi ce que Joy Division a produit de plus époustouflant durant sa brève existence. Le premier a la lenteur menaçante d'un « Atrocity Exhibitions » et ne manquera pas de glacer le sang des organismes les plus sensibles ; le second, en dépit d'un titre encore plus réfrigérant, est une saillie pré-new-wave particulièrement intéressante du point de vue harmonique (car bien plus produite qu'à l'accoutumée) et redoutablement efficace.
Le reste ? Eh bien Still, à l'instar de Substance (l'autre compile du groupe) et de l'album de Warsaw 1 a ceci d'à la fois passionnant et frustrant qu'il semble en permanence écartelé entre le présent et le passé, influences de la veille et directions (potentielles) du lendemain. Quand Unknown Pleasures et Closer étaient disques ovnis présentant la particularité de ne quasiment jamais laisser entrevoir les influences du groupe (Doors, Stooges, Velvet...), Still les étale au grand jour, s'en repait (très '77 « Walked in Line » ici, reprise monumentale de « Sister Ray » là), gâchant partiellement l'étrange plaisir que confère pafois l'ignorance : oui, Joy Division a joué du punk-rock, oui, Ian Curtis voulait être Jim Morrison, oui encore, Bernard Sumner a presque tout appris en écoutant Ron Asheton... de quoi satisfaire sans doute le fan compulsif et donc historiographe, mais dans le fond : est-il vraiment nécessaire de savoir cela pour se laisser fouetter par un « Shadowplay » ou caresser par un « Means to an End » ?
La question est d'autant plus en suspens lorsque retentissent ces deux titres sur la célèbre face live d'un album initialement double. Plutôt meilleur que sur la première réédition (il y a tout de même dix-huit ans), le son de l'ultime concert du groupe (à Birmingham, deux semaines avant la mort de Curtis) est de bonne facture (pas plus hélas) et la setlist cohérente. Mais de même qu'on préféra se jeter sur les lives à Preston et aux Bains Douches lorsqu'ils parurent en 1999 et 2001, on préfèrera désormais sauter directement jusqu'au cd bonus de ce cru 2007 (façon de parler bien sûr) - sensationnel Live at High Wycombe Town Hall... tellement sensationnel en fait qu'il fera probablement date et qu'on ne pourra que regretter qu'il ne soit pas paru en édition simple. Huit titres interprêtés par un groupe en état de Grâce, un « Love Will Tear Us Apart » qui réconcilie enfin avec ce morceau souvent considéré comme mineur par les puristes, un « Disorder » explosif... et surtout la meilleure version parue à ce jour du meilleur morceau de Joy : « 24 Hours ». On se serait certes bien passé des soundchecks en guise de bonus au bonus (et pourquoi pas Ian Curtis tout seul dans sa chambre en train de taper sur les casseroles de sa mère ?) mais qu'importe : comme souvent (et pour cause) avec les rééditions de compilations, celle de Still enfonce largement la version originale et peut d'ores et déjà être considérée comme l'édition définitive de ce curieux double album. Tout n'y est pas parfait (c'est aussi sur celui-ci que figurent les quelques très rares titres dispensables jamais enregistrés par le groupe), mais franchement... que ne donnerions-nous pas pour entendre une seule face B. du calibre de « Something Must Break » chez un seul groupe des années 2000 ?
👍👍 Still
Joy Division | Factory, 1981
(1) Short-Circuit, rarissime 33 tours post-punk présentant Joy Division un an avant Joy Division et jetant des ponts imaginaires entre les Pistols et les Banshees de The Scream
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