dimanche 31 août 2008

Un pedigree - La Clé d'une exhibition

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« Je suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree. »

Lancée à la page 13, cette phrase résume à elle seule cet avant-dernier Modiano (on va bientôt évoquer le suivant)... et peut-être même son œuvre toute entière. C'est déjà ça - est-ce suffisant ?

Car si impossible n'est pas Golb, il est pourtant bel et bien impossible d'émettre une critique décente de cet ouvrage tortueux construit parfois à rebours du concept même de littérature. C'est fascinant, sublimement écrit, ça s'avale en une seule exquise gorgée (les livres de Modiano ne sont jamais très longs mais avec à peine cent vingt-deux pages celui-ci bat des records) et ça peut probablement se relire indéfiniment (ce que je viens de faire) tant ce texte atteignant pourtant des sommets d'épure stylistique paraît complexe et impénétrable. On est assommé par foultitude de noms, de lieux, de dates... et paradoxalement on a l'impression que plus les informations s'amoncellent moins on en sait, plus on se perd... à vrai dire on le referme baigné d'un considérable sentiment de perplexité tant on a la sensation que cette « autobiographie » ne nous dit rien de ce quelle prétend raconter - à savoir les origines de Modiano. Comme si cet étalage, dans le fond, n'était intéressant qu'en creux, pour tout ce qu'il ne dit pas et pour tout ce qu'il démontre sans jamais l'énoncer : à savoir que l'identité est infiniment plus qu'une somme de faits alignés sur les feuillets d'un interminable C.V. 1 Il manque ici, d'une certaine manière, l'essentiel de l'individu : son essence, sa substance... sa chair. Constituées en quelque sorte par les autres livres de Patrick Modiano, dont Un Pedigree semble être tout à la fois la clé et le déclencheur - tel un long prologue qui n'aurait de sens que disposé à la place de l'épilogue.

Tel est le secret de la fascination qu'il exerce sur le lecteur ; telle est aussi sa limite : Un Pedigree n'a de sens (et donc de valeur) que parce qu'il est le pedigree de Modiano et de personne d'autre. Il nous fait nous heurter sans cesse à une cruelle évidence : le même texte, à la virgule près, écrit par le premier venu... n'aurait purement et simplement aucune raison d'être. Sans doute ne serait-il même pas publié. Un Pedigree n'existe qu'au sein même d'une œuvre colossale et sinueuse (le fameux Mystère Modiano) qu'il éclaire d'un jour différent pour l'unique raison qu'il est paru en 2005 et non vingt ans plus tôt - en ce sens il est à la fois considérable et complètement vain. Un chef-d'œuvre autant qu'un ratage complet, un quasi-bug dans le programme, dont on n'ose imaginer l'effet qu'il produirait sur un lecteur dont ce serait la première rencontre avec cet auteur.

En somme en tant qu'inconditionnel on ne pourra que s'incliner devant cette manière élégante et singulière de livrer les clés (du moins quelques unes) d'une des œuvres les plus troublantes et passionnantes de la littérature contemporaine. En tant que le lecteur de passage on contournera l'ouvrage en lui jetant un regard teinté de crainte respectueuse, et l'on s'empressera d'attaquer Modiano par un versant plus accessible (Rue des boutiques obscures, par exemple - nous y reviendrons bientôt).


👍 Un Pedigree 
Patrick Modiano | Gallimard, 2005



(1) lire aussi, à ce propos, la critique de The Facts, de Philip Roth, qui repose à peu de choses près sur la même idée.