mercredi 24 septembre 2008

Chéri, j'ai rétréci l'édito !

...

Mercredi 17 Septembre, 13h46

« Hé, chéri... t'as entendu ce qu'il a dit Darcos ? »

Chéri, c'est moi. Entre autres petits noms qu'on me donne, parfois, lorsque je gis, lascif, durant ma journée de congé. Bien sûr j'ai entendu la déclaration pour le moins fracassante de Xavier Darcos... qui pourrait encore l'ignorer ? « Est-ce qu'il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits de l'Etat, que nous fassions passer des concours à bac +5 à des personnes, dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? » Autant dire qu'à côté Allègre et son dégraissage de mammouth c'est du niveau d'une discussion de café du commerce à un meeting du Nouveau Centre.

« Du quoi ? »

Oups : j'ai pensé à voix haute.

« Du Nouveau Centre, Sweetie. Tu sais : le parti politique de Hervé Morin. Les proto-punks de la Majorité.
- Euh... non, je sais pas... »

C'est vrai que c'est marrant ça : le Nouveau Centre compte quand même dix-huit députés à l'Assemblée, mais personne ne sait qui c'est et tout le monde s'en branle. A côté de de ça le MoDem en a trois, et tout le monde s'intéresse à lui (faut dire que comme y en a que trois, leurs noms sont plus facile à retenir - ça pourrait même à terme devenir un jeu pour l'apéro dans les familles de sympathisants). Bref.


« Non mais franchement... c'est quand même choquant ce qu'il a dit !
- Qui ça ?
- Bah... Darcos...
- Ah. Oui, oui. C'est choquant.
- Non parce que quand même : les profs de maternelle c'est pas des sous-profs ! Déjà qu'y a plein de gens qui le croient - à tort... si en plus le ministre laisse véhiculer cette idée complètement fausse...
- Ouais, c'est sûr...
- En plus c'est quand même honteux pour un Ministre de l'Éducation de pas savoir que les enfants sont obligés d'être propres à leur entrée en maternelle ! Merde quoi...
- Bah ouais... merde alors...
- Chéri ?
- Quoi ?
- Tu n'es pas indigné ? Tu n'as pas envie d'écrire un édito vengeur ?
- Ben... non.
- Mais... qu'est-ce qui t'arrive ?
- Je sais pas... je crois que j'ai plus la force de me battre...
- Tu veux un câlin ?
- Hein ? Non mais j'en ai rien à foutre de tes câlins... !
- QUOI ?!
- ... enfin j'veux dire : ça n'a rien à voir... juste : je suis tellement désabusé que je n'ai même pas envie d'écrire un édito là-dessus. A ce gouvernement qui ne recule devant aucune bassesse j'aurais beau lui répondre par ma haute morale... à quoi bon ? Regarde ce que ces salauds viennent de faire !
- ...
- Ils ont rompu la trêve du mercredi ! Il est clairement écrit dans la Convention de Genève que Le Gouvernement de la France s'engage à ne pas foutre le bordel dans l'actu entre le mercredi onze heures et le jeudi deux heures du matin, ce afin de ne pas perturber la bonne marche des éditos du Golb. Sortir cette info un mardi soir... oh bien sûr : ce n'est pas en contradiction avec le Droit de Critique Acerbe International... mais t'admettras que c'est quand même à la limite de la régularité ! Résultat des courses... j'ai publié « Bob Dylan en concert gratuit » au lieu de mettre un coup de latte à Darcos...
- C'est pas grave... tu en feras un édito deux fois plus virulent la semaine prochaine...
- Mais non ! La semaine prochaine ce sera du réchauffé... on dirait que tu ne connais pas Sarkozy...
- ... c'est pas Sarkozy là - c'est Darcos...
- ... Darcos, Sarkozy... tout ça, tu sais... bonnet blanc et blanc bonnet ! Turlututu et chapeau pointu ! C'est Sarkozy qui parle par la voix de Darcos... personne d'à peu près sensé ou renseigné ne pourrait croire une seconde que cette idée débile sur la maternelle émane du vrai Xavier Darcos, l'intellectuel éclairé, l'ancien Inspecteur Général de l'Éducation National, le mec qui a écrit l'ouvrage définitif sur Tacite 1. C'est complètement improbable que ce mec pense sincèrement que les profs de maternelles changent des couches !
- Et donc... tu en déduis que... ?
- Eh bien... de deux choses l'une : soit c'est un sosie, et le vrai Darcos a été kidnappé par des ultra-libéraux au printemps 2007 puis remplacé par une espèce de beauf poujadiste maniant avec un égal talent la démagogie et la provoc' à deux balles... soit c'est le vrai Darcos qui laisse enfin parler sa nature de monumental fayot (y-a-t-il jamais eu un autre moyen de devenir Inspecteur Général ?) et espère bien survivre au prochain remaniement ministériel...
- Tu es dur...
- Pas tant que ça, chérie : il a quand même réussi à s'auto-récuser dès son arrivée, changeant des programmes qu'il avait lui-même contribué à mettre en place quelques années plus tôt... 2 ce au bout de cinq ans, c'est à dire avant même que lesdits programmes aient fait leurs preuves... si ça c'est pas la marque d'un mec souffrant d'un déficit de convictions et d'un manque de sincérité pour le moins problématique...
- ... tu vois que tu as des choses à écrire dans l'édito !
- Oui mais non : ils ont violé la trêve du mercredi, et d'ici mercredi prochain j'aurais sans doute une autre bonne raison de m'énerver.
- Comme par exemple Guy Carlier qui défend Bataille et Fontaine ?
- QUOIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ????????
- Oui... je te jure, j'ai vu ça à la télé tout à l'heure... en fait y a un doc qui sort, enfin... qui sort dans une seule salle... et donc ce doc montre les coulisses de « Y'a que la vérité qui compte », les castings tout ça, un film à charge...
- Ouais - « 20 minutes de bonheur ». J'en ai entendu parler. Laurel et Hardy voulaient le faire interdire alors qu'ils avaient donné leur accord pour le tournage...
- ... tout à fait ! Eh bien figure-toi que donc, sur Canal, j'ai vu Guy Carlier venir les défendre, en expliquant qu'il ne fallait pas s'acharner sur ses nouveaux copains, qu'ils étaient juste un élément du système, qu'on pouvait faire le même doc sur n'importe quel reality-show...
- ...
- Chéri ?
- Tu veux bien me passer un verre d'eau... ? »

Voilà. Voilà. Là, ça va mieux...

« Je ne sais même pas quoi dire. Tu en as pensé quoi, toi, de son argumentaire ?
- Franchement ?
- Franchement.
- C'était pas très clair. On comprenait pas très bien où il voulait en venir... et tout ce que j'en ai retenu c'est que c'étaient ses copains et qu'ils étaient pas pire que Delarue...
- Ce qui n'est pas vraiment un argument...
- ... non ; pas vraiment.
- Tu crois que Guy Carlier est devenu gentil ?
- Je sais pas. En fait je crois qu'il est très cohérent avec lui-même... il a passé des années à traiter Bataille et Fontaine de ce qu'ils n'étaient pas, à savoir des nigauds décérébrés... quand j'y pense je me rappelle pas l'avoir jamais entendu les traiter de ce qu'ils étaient - des cyniques abjects se faisant des couilles en or sur le dos de la misère humaine.
- Ce qui n'explique pas pour autant qu'il ait pu se compromettre au point d'attaquer publiquement (même si subtilement) un tout petit film réalisé par un inconnu et diffusé dans une salle dans tout le pays... on s'attendrait plutôt à ce que le grand Carlier soit du côté des petits et des opprimés, plutôt que du côté des gros comme...
- Oh non !
- Quoi ?
- Pas le physique, chérie... jamais le physique. Retiens bien ça si jamais un jour, toi aussi, tu veux écrire des supers éditos qui font saliver tes trois lecteurs.
- Ok... »

Grand silence s'ensuit derrière. Comme tous les couples, il arrive que nous n'ayons plus rien à nous dire. C'est d'ailleurs à ce genre de petit détail (les silences) qu'on se rend compte qu'on est sorti de la passion pour entrer dans une relation pour de vrai.

« Dis, chéri...
- Oui Sweetie... ?
- Puisque tu ne veux pas t'en charger... je pourrais l'écrire, moi, l'édito de mercredi.
- Euh...
- Non ?
- C'est à dire que... sans vouloir mettre en doute ton talent... enfin je pense que mes lecteurs vont bien se rendre compte que c'est pas moi qui écris...
- Ah ? Comment peux-tu en être si sûr...?
- Ben... euh...
- Je suis certaine que j'arriverais à te pasticher super bien !
- AH AH. Chérie chérie chérie... »

(ton quasi paternaliste)

« Chérie... AH ! Quelle petite blagueuse tu fais...
- Non non - je suis sérieuse. Je sais bien que tu places ton style au-dessus de tout dans ta vie... mais bon, en fait, tu sais, ça se limite quand même à six ou sept expressions clés, cinq tournures spécifiques, des points de suspensions et des tirets utilisés d'une manière tout à fait particulière ; c'est à dire que toi, on est bien d'accord, tu utilises un tiret quand n'importe qui utiliserait une virgule, c'est bien ça ?
- Je préfère dire que je donne ses lettres de noblesse à une marque de ponctuation trop souvent méprisée par les élites.
- Oui, donc en français, c'est ça que je dis. Alors bon... si on est d'accord pour dire que ton style, finalement, c'est pas grand chose...
- Hein ? Tu penses ce que tu dis, là ?
- ... il n'est pas dit que je ne saurais pas te pasticher : je reprends deux ou trois gimmicks qui te sont propres... je reprends les grandes lignes de ta pensée sur les deux sujets qu'on vient d'évoquer... et là, normalement, personne ne s'aperçoit que ce n'est pas toi !
- HIIIIIIII HIIIIIII HIIIIIII (ça c'est mon rire crispé) ; tu oublie que BBB. et Guic' The Old, les deux analystes experts en thomologie, liront cet édito. Eux, ils te grilleront !
- Mais non. Parce que je vais noyer le tout dans un long dialogue. Alleeeeeeeeeeeeeeeeeez... dis oui, dis oui !!!!
- ...
- Chériiiiiiii...
- ...
- S'teuplé...
- Si G.T. te proposait la même chose tu trouverais l'idée géniale... !
- Bon... bon d'accord...
- OUAIS !!!!!!!!!!!!! Je vais tout de suite m'y mettre alors ! »

Je me demande si elle a vraiment conscience de combien l'exercice est périlleux. C'est vrai que ce n'est pas très fair-play de ne pas lui avoir rappelé que mon indentifiabilité ne se limitait pas à quelques tournures de phrases... mais bon, elle est tellement cynique cette fille - pas sûr que j'arrive vraiment à la plaindre lorsqu'elle se fera outter par les deux analystes. Qui savent bien, eux, qu'une simple imitatrice ne pourrait livrer qu'un produit inachevé pourvu d'une chute complètement ratée.

Ce qui, à moi, n'arrive jamais...


1 Tacite, ses vérités sont les nôtres, si ça intéresse quelqu'un, ceci dit on comprendra que ça n'intéresse personne, c'est pas nous qu'on va s'en plaindre...

2 Le même Xavier Darcos (ou du moins le vrai) était le ministre délégué du toujours amusant Luc Ferry au moment de la mise en place des programmes précédents, en 2002 (seulement), programmes qu'il valida alors et dont il fut le premier à chanter les louanges à l'époque... c'est dire la cohérence du garçon...

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