jeudi 28 août 2008

Amende honnorable

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°20]  
Le Fantôme de l'Opéra - Gaston Leroux (1910)

J'en ai dit, du mal de Gaston Leroux. Il n'y a pas si longtemps et dans ces pages même. Est-ce pour cette raison que je tenais à m'excuser symboliquement auprès de lui (et de ses fans !) ? On pourrait dire ça comme ça : brûler les idoles, c'est bien. Les châtier avec justesse, c'est mieux.

Car oui : en dépit de tout ce que j'ai pu écrire de teigneux (et, il faut bien le dire aussi, de tout à fait exact) sur Gaston Leroux Le Fantôme de l'Opéra a bel et bien marqué mon enfance (le terme exact serait d'ailleurs traumatisé). Oh bien sûr aujourd'hui j'en connais les faiblesses, et somme toute je n'enlèverai rien ici à ce que je disais il y a peu à propos du Mystère de la Chambre Jaune : Gaston Leroux ne fut rien d'autre qu'un habile faiseur (mais la littérature, après tout, est principalement faite par ceux-là), artisan efficace d'une littéraire populaire comme on n'en fait plus vraiment et champion toutes catégories en matière de digressions bavardes et de ralentissements d'intrigues visant à faire durer le feuilleton quinze / vingt / trente épisodes (rayez la mention inutile). Je maintiens également que face à son ami Maurice Leblanc, pourtant nettement moins estimé (la notoriété d'Arsène Lupin est inversement proportionnelle aux ventes de ses aventures et si tout le monde le connaît assurément on trouve beaucoup moins de gens pour nous narrer ses aventures passée L'Aguille Creuse ), Leroux faisait office de poids plume - infiniment moins inventif et pourvu d'une plume autrement moins élégante. Et pourtant c'est un fait : en s'inpirant des mystérieux événement qui secouèrent l'Opéra Garnier à la fin des années 1870 il est parvenu à créer l'un des plus grands mythes de la littérature moderne, rivalisant avec Sherlock Holmes et Dracula. Tant pis s'il n'avait pas la virtuosité d'un Conan Doyle, et tant pis si Le Fantôme de l'Opéra pour n'en être pas moins un classique ne l'est assurément pas au même titre que le chef-d'œuvre de Bram Stoker.

Commençons par enfoncer une porte ouverte (nous ne sommes plus à ça près) : la construction en feuilleton n'est jamais idéale et bien souvent embarrassante, en tout cas lorsqu'on arrive (longtemps) après la publication dudit feuilleton. J'ignore à vrai dire si Le Fantôme de l'Opéra a été retapé avant sa parution en volume, ce qui est certain c'est qu'il contient quelques longueurs tout bonnement inenvisageables dans un roman francophone publié de nos jours. Mais ce format a cependant aussi un avantage indirect provocant chez le lecteur un sentiment tout à fait fabuleux de jubilation : les auteurs d'alors étant tenus de garder intacte l'attention du lecteur, ils avaient coutume de glisser au minimum un rebondissement par épisode... ce qui du coup donne des volumes certes copieux, mais rarement ennuyeux puisque proposant la bagatelle d'un rebondissement par chapitre - lorsqu'il ne s'agit pas d'un reversement de situation ou carrément d'un coup de théâtre (c'est le cas de le dire). Le Fantôme de l'Opéra en contenant trente-sept (sans compter l'épilogue) on comprendra qu'il soit particulièrement difficile à lâcher, l'idéal étant sans doute de faire ce que j'ai fait cette fois-ci (et avais envie de faire depuis longtemps) à savoir créer le manque que l'édition contemporaine de par son existence même avait annihilé. Autrement dit : lire en épisodes - puisqu'on refuse désormais de nous le publier comme tel. Se limiter à deux par soirée, s'interdire de jeter un œil plus loin et refermer chaque soir le livre avec la même impression que nous, lecteurs contemporains, avons désormais chaque fois que nous éteignons la télé après un épisode particulièrement savoureux de notre série préférée.

Inévitablement, vous serez happés. Quand bien même vous sauriez déjà que ce n'est pas un vrai fantôme et quand bien même vous seriez aveuglés par telle ou telle des nombreuses adaptations 1 de l'œuvre de Leroux (toutes ont pour spécificité de mettre bien plus que lui l'accent sur le surnaturel, perdant du coup de vue le concept même de fantastique - au sens dix-neuvièmiste du terme - qui repose sur l'ambiguïté des situations et dont Leroux donne une superbe illustration). De cette manière l'aura de mystère ne fera que s'épaissir non au fil des pages mais au fil des jours, le rythme se resserrera et surtout... les digressions passerons comme lettres à la poste, respirations bienvenues au sein d'une intrigue étouffante.


Ceci dit qu'on aille évidemment pas croire que j'essaie de vous fournir des astuces pour rendre sympa un livre raté : Le Fantôme de l'Opéra, même lu d'une traite, recèle nombre de secrets et surprises se suffisant à eux-mêmes s'il s'agit d'enthousiasmer le lecteur. Mais il souffre d'un complexe bien connu chez les ouvrages trop souvent adaptés à l'écran lorsqu'il ne sont pas des chef-d'œuvres absolu comme (par exemple) Dracula : souvent trahi (parfois très habilement), souvent revisité et presque toujours réécrit, Le Fantôme de l'Opéra version Leroux est tout aussi susceptible d'enthousiasmer que de décevoir, en cela qu'il est moins complexe et sinueux que ne le laissent croire ses innombrables petits frères. L'aborder selon sa construction initiale (autant dire : son essence), c'est une manière comme une autre d'approcher l'idée de l'auteur - après tout on n'écrit pas tout à fait un feuilleton comme on écrirait un roman (à vrai dire on n'écrit même pas du tout un feuille comme on écrirait un roman !). C'est aussi, par ailleurs, une excellente manière de remédier à la grève des scénaristes qui a tronçonné les dernières saisons de vos séries préférées.

Et c'est aussi - surtout - le meilleur moyen de faire durer le plaisir, de le garder intact... sinon même de le nourrir. C'est bien connu : les goulus ont toujours tort.


Trois autres livres pour découvrir Gaston Leroux :

La Double Vie de Théophraste Longuet (1903)
Le Mystère de la Chambre Jaune (1907)
La Poupée sanglante (1924)


(1) à noter qu'aucune n'arrive à la cheville de celle de Terrence Fisher dans les années 60.
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