dimanche 27 juillet 2008

Va rouler ta bille ailleurs, mon grand !

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Si la digression était un art majeur il serait fort possible que d'aucuns puissent confondre Gaston Leroux avec Picasso. Et si tant est qu'on vous ait déjà parlé de ce livre qui fait figure de classique chez les grands qui ont gardé leur âme d'enfant comme d'un roman policier, que les choses soient bien claires entre nous : Le Mystère de la Chambre Jaune (dont on ne vous fera pas l'affront de vous faire un résumé) n'est avant tout qu'une improbable suite de digressions visant à noyer le poisson - plus communément appelé Clé de l'énigme. Il serait aisé de mettre cela sur le compte de la publication en feuilleton - ce serait surtout tout à fait faux et paresseux. Qu'on songe à Maurice Leblanc, qui publiait en feuilleton à la même époque : où sont passées les longueurs et les digressions dans L'Aiguille creuse ?

N'ayez aucun doute là-dessus : dans Le Mystère de la Chambre Jaune Gaston Leroux s'adonne à un remarquable exercice de bottage en touche visant à masquer la faiblesse considérable de son intrigue et la simplicité d'une énigme que du coup, foudroyant paradoxe, aucun lecteur n'est jamais parvenu à résoudre à la première lecture. C'est en somme, un siècle plus tôt, le procédé employé par Dennis Lehane dans Shutter Island : capter l'attention du lecteur avec un problème qui n'est insoluble que parce qu'on lui a dit qu'il l'était, puis le noyer sous un monceau d'informations inutiles, de personnages secondaires et d'évènements périphériques. Persuadé d'être focalisé sur le fond du problème, il ne verra du coup rien venir jusqu'au moment de la révélation finale.

Le revers de la médaille c'est que toute relecture du Mystère de la Chambre Jaune est dépourvue du moindre intérêt, en cela qu'une fois le mystère résolu en première instance on ne voit plus, en seconde, que les défauts d'un livre deux fois trop long, écrit dans un style un brin vieillot et porté par un héros absolument insupportable. Ce Rouletabille ! Tout un poème. Les meilleurs analystes du pays travaillent depuis des décennies à essayer de comprendre comment un tel branleur a pu fasciner des générations entières. Non seulement Rouletabille est affreusement antipathique et dépourvu du moindre humour, mais encore se la pète t'il du début à la fin alors qu'il n'en a pas véritablement les moyens : les mystères de chambres closes sont des classiques du roman à énigme, Sherlock Holmes lui-même en résolut notamment un (et de quelle manière) quinze ans plus tôt... pour mémoire, The Speckled Band fait trente-cinq pages. Rouletabille, lui, qui n'est après tout qu'un pendant adolescent et franchouillard du plus grand des détectives, en met cinq-cent à résoudre son problème de chambre close. On avouera qu'il n'y a franchement pas de quoi se la raconter - jeune homme !

Par pudeur, on n'évoquera pas ici le cousin français du Dr Watson, insipide Sinclair incapable de brosser un semblant de portrait de personnage quand son illustre modèle agrémentait chaque enquête d'une étude de mœurs si passionnante que quasiment tout ce que l'imaginaire collectif a retenu de l'époque Victorienne provient plus ou moins directement des livres de Conan Doyle. On est loin d'obtenir cet effet avec Le Mystère de la Chambre Jaune, sympathique petit casse-tête à la première lecture et énorme coquille vide si mal vous prend d'y revenir jeter un œil. Du film pop-corn avant la lettre, en quelque sorte. Ce qui n'a rien de particulièrement honteux dans le cas de virtuoses comme Leblanc et Dumas... et s'avère nettement plus compromettant face à un habile faiseur comme Leroux.


Le Mystère de la Chambre Jaune 
Gaston Leroux | Folio Junior, 1907