samedi 26 juillet 2008

John Fante - Wait Until... Bandini!

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Ne pas se fier à la date de parution : bien que publié trois ans après la mort de son auteur The Road to Los Angeles n'est autre que tout le premier roman de John Fante, achevé en 1936 et jeté à la poubelle par un éditeur poltron qui après avoir versé une copieuse avance et terminé la relecture se déballonna de crainte de choquer sa clientèle (le même éditeur qui publiera deux ans plus Wait Until Spring, Bandini, ce qui laisse tout de même un brin songeur).

Exhumé simultanément à 1933 Was a Bad Year (qui raconte l'année de rédaction de la première version de ce livre) The Road to Los Angeles porta ainsi à sept le nombre de romans publiés par le plus grand auteur de son temps ; surtout, il a le mérite de souligner un phénomène étonnant : bien avant Bandini, il y avait donc... Bandini. Autrement dit : au lieu de passer à autre chose après s'être vu refuser son manuscrit, au lieu même d'essayer de le caser à tout prix ailleurs... Fante a fait comme si de rien n'était et en a écrit la suite !

Bref : les amateurs l'auront compris, la non-publication de The Road to Los Angeles en a fait le prequel involontaire à Wait Until Spring, Bandini et Ask the Dust - ce qui suffit en soit à en rendre la lecture indispensable.

Comme si cela ne suffisait pas, c'est en lui-même un excellent roman qui étonnera par sa rigueur, sa maîtrise - sans parler de l'incroyable modernité de la plume de Fante. Il ne raconte certes rien de bien original (Bandini, à peine sorti de l'adolescence, s'y adonne à divers petits boulots aliénants tout en citant Nietzsche chaque fois qu'un beauf lui cherche des noises), mais la manière dont il le raconte le rend tout à fait exceptionnel. Il y a là, dans cette nervosité teintée de délicate élégance, de quoi faire passer les beatniks pour de gentils pré-hippie (ce qu'ils sont, à vrai dire), avec en prime suffisamment de sexe et de glande pour faire de l'ombre à Henry Miller himself... à ceci près que John Fante la joue bien plus fine : le jeune Miller, qu'on entrevoit à peu près à la même époque dans le fulgruant Tropic of Capricorn, a beau être un génie ça n'en est pas moins une brute épaisse. Bandini/Fante, lui, n'a rien d'un dégénéré ; plongé dans ses bouquins de philo et rêvant à un roman qu'il n'écrira que bien plus tard, il évoque plutôt la figure de l'écrivain incompris par un entourage inculte - préfigurant plutôt en cela le Chinaski de Factotum. Ici se situe d'ailleurs la seule limite de l'entreprise : Bandini, à qui il n'arrive fondamentalement pas grand-chose à part qu'il parle avec des tas gens, donne l'impression de vivre au milieu d'une meute de débiles sans intérêt, bien loin de l'humanisme teinté de cruauté qui deviendra dès 1938 la marque de fabrique de son créateur.

Plus dur et rageur qu'à l'accoutumée, le jeune Fante manque donc parfois sa cible, ce qui n'empêche pas The Road to Los Angeles d'être un premier roman tout à fait exceptionnel dont la liberté de ton en étonnera plus d'un. C'est qu'on ne s'attend pas vraiment à lire des passages de drague éhontée dans un livre des années 30, pas plus que des séquences où le narrateur se polit gentiment le chinois en feuilletant quelque magazine (on ne se serait même sans doute jamais douté sans lui que de tels magazines pouvaient exister dans les années 30). Mine de rien, la vivacité de l'écriture et la rugosité du point de vue ont pour effet immédiat de nous rendre l'entre-deux guerres infiniment plus humain, chaleureux et sympathique que ce qu'en a conservé l'imaginaire collectif. C'est sûr que cet effet là ne se retrouvera ni chez le très engagé Steinbeck ni chez le très sérieux Faulkner - encore moins chez le très respectable Mauriac...


👍👍 The Road to Los Angeles 
John Fante | Rebel Inc. Classics, 1985