mardi 24 juin 2008

Stewart O'Nan - Meilleur (éternel) espoir masculin

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Il y a vraiment un paradoxe O'Nan. Qui n'est pas sans rappeler, en musique, le paradoxe Pearl Jam. Rapprochement pas si absurde qu'il y paraît : comme tous les américains amateurs de rock de sa génération (il est né en 1961), l'auteur de Names of the Dead est grand fan du groupe d'Eddie Vedder. On pourrait sans doute leur trouver une multitude de points communs (approche résolument old school de leurs arts respectifs, enracinement dans la culture américaine populaire, militantisme clairement plus social qu'ouvertement politique... etc.), mais le plus évident demeure qu'ils sont de grands artistes n'ayant pas (pas encore ?) publié de grandes œuvres.

Car O'Nan est un grand écrivain - on le sait depuis la première page de son premier livre (Snow Angels). Qui pourtant, une dizaine de romans plus tard, n'a toujours pas publié le grand chef-d'œuvre qu'on serait en droit d'attendre de lui. Speed Queen est brillant ; A Prayer for the Dying est incroyablement fort... mais ce ne sont « que » d'excellents livres. Et il en va bien entendu de même pour A World Away, roman de grande classe, qui mérite d'être défendu, prêté, recommandé et même salué... qui a tout d'un grand livre à l'exception du petit quelque chose complètement irrationnel faisant la différence entre un très bon livre et un chef-d'œuvre.

Mais que lui manque-t-il donc, à cette chronique familiale distillant ses secret sur les bords du Pacifique ? Difficile de le dire précisément. Le souffle est là, et bien là, digne des plus grandes fresques (ou des plus grands... Philip Roth !). Les deux héros, couple ordinaire luttant contre l'effritement du désir et les assauts du quotidien, sont des personnages crédibles ne manquant ni de caractère ni de force. L'intrigue, quoiqu'assez commune (à la tragédie intime vient s'ajouter la grande tragédie universelle de la Guerre), n'est pas dénuée de suspens, et s'avère même assez prenante lorsque la disparition du fils enrôlé dans l'armée s'ajoute au petit drame du couple qui se désaime. L'intérêt du lecteur ne retombe jamais, l'écriture est vivante, puissante, entre Faulkner et Russel Banks...

... alors quoi ? Quel est le problème ? Eh bien le problème, c'est justement l'intérêt du lecteur. A World Away a un peu le même défaut qu' A Prayer for the Dying : on le lit avec intérêt, jamais avec passion. Elève appliqué de maîtres qu'il évoque à la perfection, premier d'une classe surchargée (celle de la littérature américano-démocrate d'aujourd'hui), O'Nan semble parfois trop appliqué, trop soucieux du détail... pas assez cancre pour posséder complètement son lecteur. A World Away est un très beau livre, idéalement rythmé et à la construction étourdissante, mais nulle trace chez O'Nan de ce grain de folie qui fait d'un Percival Everett (dont on ne peut que le rapprocher) un écrivain majeur de notre époque. Pas assez cancre, Stewart ? On est en droit de le penser tant l'explosion de noirceur vers laquelle avance le roman semble sinon prévisible du moins très schématique, mécanique, comme si l'auteur avait suivi à la lettre un plan de travail extrêmement détaillé et laissant peu de place aux débordements poétiques. Et il en va de même pour le parallèle entre la guerre intime que se livrent les deux héros et l'autre guerre qui gronde au dehors, tout à fait intéressant et parfaitement mené... sauf que la symbolique s'avère aussi habile que peu émouvante. Roth, lui, pour n'en être pas moins un orfèvre millimétrant ses intrigues, parvient toujours malgré tout à créer le surnombre (pour parler foot - puisque c'est de saison), à s'offrir quelques débordements jouissifs même lorsqu'ils ne s'achèvent pas par une occasion directe. O'Nan aurait plutôt tendance à jouer en contre ; c'est souvent plus efficace - mais c'est toujours moins frissonnant pour le spectateur.

En somme : un joli livre, artisanal et efficace comme une grande fresque hollywoodienne façon Patient anglais, de celles qu'on absorbe sans déplaisir tout en rêvant à Terrence Mallick.

(à noter que cet article a failli s'intituler : comment écrire une critique tiédasse d'un très bon livre)



👍 A World Away 
Stewart O'Nan | Henry Holt and Co., 1998