lundi 2 juin 2008

Arthur & Julian

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Tiens ! Un roman néo-victorien TM ! Ca faisait longtemps !

C'est tout de même une bien curieuse mode que celle-ci, seuls les Anglais pouvaient avoir une idée pareille (vous imagineriez, vous, les romanciers Français se mettant les uns après les autres à écrire des romans sur l'époque romantique ? Hum... notez que l'idée est à travailler...). Le plus étonnant c'est que pour l'heure, chacun parvient à amener sa pierre à l'édifice avec un certain talent et sans pour l'instant marcher sur les pieds du voisin. Julian Barnes comme les autres, qui s'intéresse à l'époque victorienne sans jamais donner l'impression de surfer sur la vague et propose une histoire assez incroyable plus ou moins inspirée de faits réels.

En l'occurrence celle de George, curieux bonhomme aussi effacé que fantasque, métis marginalisé par une société provinciale désespérément obtuse. Lorsqu'il se retrouve victime d'une erreur judiciaire (on l'accuse de mutiler sauvagement les animaux des fermes avoisinantes) il décide de faire appel à la seule personne qui, à ses yeux, sera capable de l'innocenter. Un avocat ? Un juge ? Pas du tout : un médecin ophtalmologiste à la célébrité retentissante : Sir Arthur Conan Doyle himself. Le créateur du plus grand des détectives ne peut être que l'homme de la situation - logique. Et il le sera en effet : contre toute attente, le grand homme ombrageux va accepter de venir en aide à l'opprimé et n'épargnera ni sa réputation ni ses efforts pour sortir George de son cachot. Il a beau être à bien des égards un odieux personnage, il n'en demeure pas moins admirable et sort grandi (c'était donc possible) de ce récit aussi singulier que captivant.

Néo-victorien, disions-nous. Le terme n'a sans doute jamais été aussi bien choisi. Peu importe qu'il s'agisse d'une mode, d'un courant ou d'une coïncidence des calendriers éditoriaux (moui bon... cette hypothèse personne n'y croira, ok), les convergences sont évidentes et l'amateur trouvera dans Arthur & George tout ce qu'il apprécie dans ce « genre ». A savoir du roman populaire racé, une intrigue à tiroirs, un regard contemporain et incisif sur une époque finalement méconnue (en l'occurrence un décryptage assez passionnant de la mécanique du racisme ordinaire), des résonances contemporaines (ne crie-t-on pas toujours harot sur le baudet de nos jours ?), des personnages hauts en couleurs qui n'auraient sans doute pas su trouver leur place dans les ouvrages de Dickens et de Wilkie Collins... tout y est et un peu plus encore, à commencer bien sûr par une simili-bio de Conan Doyle, auteur aussi peu connu que son héros est incontournable. C'est une infiniment meilleure idée que d'écrire de nouvelles aventures à Sherlock Holmes, et l'on ne peut que saluer la rigueur documentaire d'un Julian Barnes qu'on ignorait aussi talentueux et efficace. Jusqu'alors sympathique second couteau capable de publier des livres aussi attachants qu'oubliables, il se révèle ici un auteur sensible, malin, inventif... et parvient surtout à trouver avec cette histoire ce qui manquait même à ses romans les plus réussis (Staring at the Sun, The Porcupine) : des personnages, des vrais. De ceux qui parviennent à exister aux yeux du lecteur, à capter toute son attention, qui se composent de chair et d'os non plus seulement que de mots. Mieux : son écriture au classicisme rigoureux, ailleurs un peu terne, se découvre enfin une histoire à sa mesure et parvient s'épanouir dans de longs portraits du plus bel effet.

On referme du coup ce très bon bouquin ravi à la fois par l'histoire en elle-même et par cette sensation étrange qu'un auteur souvent irrégulier vient enfin de se trouver. En dépit de quelques longueurs (inhérentes au genre ?), Arthur & George est sans aucun doute le meilleur Barnes à ce jour. Original, drôle. Un petit bonheur de lecture !


👍 Arthur & George 
Julian Barnes | Jonathan Cape, 2005