lundi 28 avril 2008

Un factotum affligé de crises de désespoir...

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Ça va faire un peu con dit comme ça... mais on ne rencontre les gens qu'une seule fois dans sa vie. Après on apprend à faire connaissance, on les découvre, tout ce que vous voudrez... n'empêche que la rencontre est unique. Mieux vaut du coup ne pas la rater.

Il en va de même pour les auteurs - et là normalement vous avez déjà compris où je voulais en venir (ou alors vous n'êtes pas très vifs) : pour ne pas foirer sa rencontre avec Bukowski, mieux vaut attaquer direct par Factotum. Parce que c'est le meilleur ? Même pas : Ham on Rye et The Captain Is out to Lunch... sont a priori inégalables. Mais Factotum a la particularité d'être le Bukowski le plus facilement abordable par n'importe qui, le plus dense, un parfait concentré de son œuvre. Ses multiples visages y sont tous réunis : le loser magnifique, le pamphlétaire, l'écrivain-qui-ne-vit-que-pour-écrire, le romantique maladif planqué derrière le masque de l'arrogance, le contestataire quasi pathologique (Bukowski avait en effet la particularité de ne jamais être d'accord avec personne - quitte à se contredire parfois), le rêveur...

... un roman quintessenciel, donc ? C'est fort probable (même si je suis le premier à reconnaître que j'ai tendance à employer le terme un peu trop souvent - on a tous nos petits gimmicks énervants). Puisque non content de présenter toutes les facettes du personnage Chinaski (j'insiste), Factotum jette également les jalons d'un univers jusqu'alors à peine esquissé (celui-ci n'est que son second roman), univers qu'on situera sans peine dans la longue tradition du souvent imité, jamais égalé. Va donc pour les soirées entre ivrognes qui systématiquement tournent au vinaigre... pour les femmes, toutes les femmes, aussi belles que totalement névrosées (à commencer par Jan, la plus belle de toutes - inspirée de sa première épouse et mère de sa fille)... pour les boulots minables et avilissants... pour l'autorité paternelle castratrice... pour les amis pas toujours très fidèles mais qu'on aime bien quand même... et, bien sûr, évidemment : pour la machine à écrire qui accompagne les nuits de solitude.
 
... bref tout y est, et si vous détestez celui-ci vous pourrez d'ores et déjà considérer que vous n'êtes tout simplement pas faits pour Bukowski. Car c'est le plus bukowskien de tous les livres de Bukowski - c'est d'ailleurs sans doute le seul qui mérite l'adjectif bukowskien. Car le revers de la médaille est que ce roman essentiel fut également le pourvoyeur de tous les clichés les plus navrants entourant cet auteur. Ceux qui font que tous les post-ados dépressifs peuvent se croire autorisés à écrire des baiser et des chatte toutes les trois lignes au nom de l'incroyable liberté de ton de celui qu'ils appellent par son petit nom (Hank) comme si c'était un vieux camarade de beuverie... sans bien sûr avoir le début de l'once du talent de Heinch Karl Bukowski JR (de son vrai nom)...
 
...allons : mieux vaut en rire ! Et découvrir, si ce n'est fait, cet authentique chef-d'œuvre qui a tellement traumatisé Philippe Djian qu'il a passé les trois quarts de sa vie à essayer d'écrire son propre Factotum. En vain - cela va sans dire.


👑 Factotum
Charles Bukowski | Black Sparrow Books, 1975