vendredi 11 avril 2008

Blondel - Eat Your Heart out on a Plastic Tray

...
J'entends dire, ici ou là : Le nouveau Blondel ? Mouais. J'entends dire que c'est dérangeant. J'entends dire : C'est carrément autre chose. Ou bien : C'est pas vraiment du Blondel. Ou encore : Ouais, franchement, c'est grave moins bien que Passage du gué. Ailleurs, j'entends dire tout l'inverse. Que finalement, c'est du Blondel et donc c'est bon : on y trouve son compte. Ma curiosité ne peut qu'en être aiguisée.

Ma lecture des premières pages pose plus de questions qu'elle n'offre de réponses, questions concernant moins le livre lui-même que sa réception (plus ou moins) controversée. Deux surtout me viennent à l'esprit : Qu'est-ce qu'un livre dérangeant, en 2008 ? ; Qu'attend-on d'un roman, dans le fond ?

Évacuons d'emblée la question du terme dérangeant : This Is Not a Love Song est à peu près aussi dérangeant qu'un moustique qui vient vous piquer sous la tente en pleines vacances dans les gorges du Verdon. J'aurais bien du mal à expliquer pourquoi ce roman a reçu un accueil si mitigé, divisé... Éventuellement pourra-t-on concevoir qu'il étonne le fidèle de l'auteur - pas plus : ... le langage y est parfois plus dur, le ton a priori plus amer... Blondel se risque à quelques gros mots, quelques allusions graveleuses même, ici ou là... pas de quoi le confondre avec Bukowski avant un certain nombre de baiser, néanmoins (et c'est tant mieux : qu'y a-t-il de pire qu'un auteur qui essaie de faire genre ?). Si This Is Not a Love Song n'est pas lisse, si par des bien aspects il ne fait rien pour être aimable... ce n'est quand même pas un monument de subversion. N'importe qui ayant déjà lu du Blondel s'en serait douté - soit. Mais à voir les divisions que ce livre a parfois pu susciter autour d'un auteur jusqu'alors plutôt consensuel... je vous assure que j'ai cru un instant que l'auteur de Juke-Box s'était attelé à rédiger le Lolita du vingt-et-unième siècle. Mieux : la dureté (relative) du langage comme du propos y est suffisamment maîtrisée pour ne jamais sembler factice - on connaît quelques Beigbeder qui pourraient en prendre de la graine.

Seconde question, maintenant : Qu'attend-on d'un roman ? Je suppose que la réponse est différente pour tout un chacun (à vrai dire : ça tombe le sens). Assez stupidement, j'attend d'un livre... qu'il me fasse ressentir quelque chose. N'importe quoi, mais qu'il m'inspire - en fait. Mais pas à n'importe quel prix et pas pour faire n'importe quoi avec ce ressenti. Qu'il y ait un sens au ressenti qu'il provoque chez moi, ajouté à des qualités esthétiques réelles. Quand Céline disait qu' "au commencement était l'émotion"... il ne parlait évidemment pas d'être profondément ému (au sens : tirer des larmes). C'est pourquoi quand je lis que This Is Not a Love Song est moins bon que Passage du gué... je m'étrangle ! Car en termes de technique, de construction, de narration... en somme : d'esthétique... il s'agit clairement du meilleur Blondel que j'aie lu à ce jour. Ni plus ni moins. This Is Not a Love Song n'est absolument pas moins bon. En revanche il est incontestablement moins émouvant. Et alors ? Je maintiens d'autant plus le terme d'accomplissement que j'avais attribué à Passage du gué maintenant que j'ai lu son successeur. En effet, oui, après un tel livre (de la maturité, ont dit certains - à mon avis à raison), il était temps de passer à autre chose.

A ce stade vous vous demandez évidemment de quoi parle ce livre qui divisa et divisera encore longtemps (enfin... vous vous le demandez surtout si vous ne lisez pas les blogs littés, hein - ce en quoi d'ailleurs vous avez tort...). Eh bien il raconte l'histoire de Vincent, a priori le pur connard de l'ère sarkozyste à qui tout a réussi et un peu plus encore. Le pognon et les femmes, la vie radieuse de ceux pour qui le vernis social s'est substitué depuis longtemps au moi le plus profond. Durant une bonne moitié du livre il est à baffer - je ne suis que le soixantième à le dire. C'est terriblement choquant on en conviendra, un héros à baffer (le plus célèbre héros de la littérature française, Rastignac, étant c'est bien connu le mec le plus cool et positif de l'univers). Le lecteur optimiste se dira un court instant que lorsque sa femme se tire une semaine chez sa mère et lui conseille de faire de même chez la sienne, le bol d'air lui sera bénéfique. Soit, mais ça c'est parce que le lecteur optimiste n'a a priori pas de mère : en trois jours chez la sienne François Weyergans est ressorti neurasthénique (et a livré la quintechiance de son œuvre par la même occasion). On pouvait donc raisonnablement penser qu'en sept jours chez la sienne Vincent allait lentement mais sûrement laisser libre cours aux pulsions meurtrières ancrées en chacun de nous.

Bon... que tout le monde se rassure : le roman ne bascule pas dès lors vers une sinistre histoire de serial-killer. En revanche l'antihéros va se heurter au douloureux passé qu'il essayait jusqu'alors de fuir, se prendre quelques jolies humiliations au passage et...

(je ne vais quand même pas tout vous raconter)

This Is Not a Love Song est un livre étrange. Parce que surprenant sans être réellement différent. Parce que passée la surprise de premières pages prenant le blondelophile à rebrousse-poil on retrouve (et c'est heureux) l'auteur qu'on connaît, mais qu'il est ici beaucoup plus grinçant qu'à l'accoutumée - dévoilant une veine satirique qu'on ne lui soupçonnait pas. Parce que son récit est implacable et, au final, sans véritable issue. J'avais intitulé ma chronique de Passage du gué "Loyalty Song". Pour celui-ci, si j'avais dû choisir un morceau de Babyshambles, j'aurais assurément voté pour "Fuck Forever". Car si ce nouveau roman est tout aussi désarmant d'humanité que les précédents, il attaque cette dernière par un versant beaucoup plus ardu et beaucoup moins compassionnel. Surtout, contrairement à ce à quoi je m'attendais avant de le lire, il ne déjoue pas réellement les attentions du lecteur : il ne déjoue que celles des blondelomaniaques (dont on rappellera qu'ils représentent environ 0,06 % de l'humanité). Et un auteur, qu'il s'appelle Blondel, Zola ou Marc Levy, n'écrit pas pour son public (sans quoi on nomme ça un promoteur). En ce sens, il serait vraiment intéressant de voir comment un lecteur n'ayant jamais entendu parler de Blondel recevrait ce bouquin. Ce qui n'est évidemment pas le cas d'une grosse majorité des blogueurs... à commencer par votre serviteur. Papillon a écrit une critique (au demeurant fort juste) de ce roman sans nommer un seul des autres livres de Blondel et sans même vraiment y faire d'allusion directe. Il est possible qu'un ou deux autres m'ait échappé, mais dans leur écrasante majorité les commentaires, positifs ou négatifs, faisaient quasi tous référence au reste de l'œuvre (et vous notererez évidemment que ce disant je n'échappe à la règle). Sans doute ne peut-on faire abstraction de ce qu'on sait déjà que jusqu'à une certaine limite, sans doute est-ce impossible - pour moi comme pour n'importe qui ayant chéri Passage du gué. Et pourtant ! Ma lecture terminée, j'ai eu l'intime conviction que la critique du lecteur lambda serait à des années lumières de toutes les notres.
Allez : essayons une seconde.

Qu'est-ce que This Is Not a Love Song ? Un roman remarquable de maîtrise, de puissance, de subtilité. Qui pose la question la plus délicate qui soit : qui sommes-nous ? Quelle est la part de nous-mêmes que nous livrons à l'autre ? Sommes-nous la personne que nous croyons être, celle que l'autre voit, celle que nous voulons être ? Où s'achève l'essence et où commence la pose, la représentation ? Peut-on jamais couper avec son passé ? Peut-on se dissocier d'une partie de son histoire, afin de mieux vivre une autre partie ? On dépasse le cadre de l'interrogation individuelle pour s'approcher de questionnements plus sociétaux. L'auteur ne s'attaque-t-il pas ici, en mode satirique majeur, au mythe du Nouveau Départ, qu'on nous vend à longueur d'émissions télé, de success-story à deux balles ou de reportages racoleurs ? A moins qu'on ne s'y trompe. Que tout ceci ne soit qu'une vaste blague ?...

Dans un numéro de transformisme littéraire impressionnant, Jean-Philippe Blondel brosse un portrait sans concession non seulement d'un caractère - mais peut-être bien d'une époque. Auteur, narrateur, personnage... il appuie d'un coup sur tous les boutons, joue de toutes les ambiguités. Son écriture gesticule et grimace, au bout de trente pages Vincent a des airs de clown sinistre et on se demande si tout ceci est à prendre au premier ou au second degré, si ses jugements péremptoires et considérations parfois limites sont de l'ironie ou la consécration d'une quelconque part d'ombre appartenant à l'auteur. Sans doute un peu les deux. L'essentiel étant que cela renvoie à merveille... au titre. Pas tellement pour ce qu'il veut dire, que parce qu'il s'agit d'une chanson de PiL. Donc de John Lydon. Aka Johnny Rotten. Des Sex Pistols. Celui qui donna tout son sens au mot sarcastique. Qui, lui aussi revêtant les traits d'un double outré (et outrageant), oscilla en permanence entre rage, aigreur, nihilisme et ironie cruelle - incarnant mieux que personne le côté obscur de son époque. A qui l'ont doit (évidemment) « Anarchy In The UK »... mais aussi et surtout ce couplet fort à propos :

I've seen you in the mirror when the story began
And I fell in love with you I love your mortal sin
Your brains are locked away but I love your company
I only ever leave you when you got no money
I got no emotions for anybody else
You better understand I'm in love with myself,
Myself, my beautiful self

...effectivement : tout était dit dans le titre.

This Is Not A Love Song : grand livre, donc. Qui, peut-être, aurait gagné à être publié sous pseudonyme (mais j'admets que Jean-Philippe Rotten le fait moyen). Qui sonne comme une déclaration d'indépendance artistique.

Et qui en tout cas mérite d'être défendu avec force.


👍👍👍 This Is Not a Love Song 
Jean-Philippe Blondel | Robert Laffont, 2007