lundi 18 février 2008

AC/DC - Pure malte

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Déjà huit ans qu’AC/DC n’a plus publié d’album. Quand les Stones ont saturé les années 90/2000 de compiles et autres lives à n’en plus finir, le moins qu’on puisse dire est que les frères Young ont su se faire discrets… raflant au passage une crédibilité de plus en plus immense auprès des critiques comme du jeune public n’ayant de cesse de les redécouvrir, génération après génération. Oui, il semble bien qu’AC/DC soit le seul groupe de sa génération à ne devoir jamais connaître la compromission, à refuser de capitaliser sur son nom et à continuer de ne vendre son âme qu'au rock’n’roll. Vous trouvez que j’exagère ? Mais la discographie du groupe ces dix-huit dernières années parle pour lui : après une brève éclipse dans les années 80 (brève et surtout très relative au regard de celles des autres) le groupe australien est sorti grandi des années 90, publiant ses meilleurs disques depuis le mythique Back in Black, sacrifiant à l’exercice de l'album live (qu'il déteste) avec rigueur et efficacité (AC/DC Live - indispensable) décrochant l’un des plus gros succès de sa carrière avec Ballbreaker (1995)… et lorsque par hasard les frères Young, généralement peu enclins à remuer le passé, acceptent d’exhumer leurs archives… cela donne Bonfire, coffret-hommage à leur éternel ex-leader - aussi indispensable que poignant.
 
Que peut-on dès lors vraiment reprocher à AC/DC à l’aube des années 2000 ? De toujours publier le même disque ? Eternel procès ni tout à fait vrai ni tout à fait juste – mais force est de reconnaître que depuis For Those About to Rock (1981) le groupe décline à peu près toujours la même (redoutable) formule. D’avoir perdu le blues en cours de route ? Ça, c’est à la limite un grief plus sérieux – et qui ne date pas d’hier : depuis la rencontre avec Mutt Lange et le multiplatiné Highway to Hell , AC/DC s’est effectivement éloigné du hard-blues qu’on aimait tant (en gros celui des cinq premiers albums et du titanesque live If You Want Blood…). La mort de Bon Scott n’a sans doute rien arrangé, et de fait si son remplaçant Brian Johnson est presque unanimement apprécié depuis près de trente ans… force est d’admettre que c’est d’un autre visage d’AC/DC qu’il s’agit. Son visage le plus connu, du reste : celui de l'incarnation même du hard-rock... quand ses premières oeuvres tenaient plutôt d'un boogie-blues-rock aussi rugueux que nuancé.
 

Arrive donc en 2000 Stiff Upper Lip. Quinzième album d’AC/DC et première véritable sortie après cinq années de silence absolu. Si l’on était provocateur on dirait que c’est sans doute leur meilleur avec Johnson. Mais restons sérieux : c’est juste l’album du AC/DC Mark II évoquant le plus… l’AC/DC Mark I. Merci qui ? George Young, bien sûr ! Le troisième frère (celui des bien-aimés Easybeats) enfin de retour à la production vingt-deux ans après Powerage. Sans son binôme Harry Vanda (si quelqu’un a des nouvelles...) mais peu importe : le blues est là. Il est de retour, lui aussi. Et c’est une sacrée nouvelle.
 
Il serait sans doute exagéré de résumer Stiff Upper Lip à son casting, mais tout de même ce qui frappe d’entrée c’est le son : chaud, dense et résolument vintage, il se démarque en tout point de la superproduction Ballbreaker (signée Rick Rubin) et ramène AC/DC à des choses plus simples, moins dures et plus roots. Le fait qu’il y ait le mot « jazz » dans plusieurs textes n’a sans doute rien d’un hasard : les frères Young regardent clairement en arrière, avec une espèce de plaisir communicatif leur permettant de coucher dès la première plage l’un de leurs meilleurs titres depuis une éternité – « Stiff Upper Lip ». Un pied de lèvre à Sa Majesté Jagger qui, en effet, sonne plus comme les Stones de l’Age d’Or que n’importe quoi publié par les Stones eux-mêmes ces dernières années.
 
Tout n’est certes pas exceptionnel sur ce disque, certains morceaux comme « Meltdown » ou « Hold Me Back » relevant de l’anecdotique. Si les refrains sont presque tous parfaits , on a l'impression curieuse que le groupe peine parfois dans les couplets... c’est là tout le paradoxe de cet inattendu retour aux sources : dans l’absolu Stiff Upper Lip est moins bon que son prédécesseur. Mais il séduit plus ! Parce que la voix de Brian Johnson n’a jamais été aussi bien captée, laissant paraître des fêlures inédites sur l’imparable « Can’t Stop Rock’n’roll ». Parce que les chansons sont nettement plus débridées que par le passé, laissant presque souffler par moment un vent de folie retrouvée (« Safe in New York City » qui monte, qui monte…). Parce que ce groupe qui semblait parfois un peu raide sur ses productions des années 80/90 a retrouvé le groove furieux d'antan. Parce qu’AC/DC ne cherche plus à décrocher des hits (pour la première fois depuis 1980 il n’y en aura d’ailleurs aucun sur ce disque) mais à faire feu de tous bois, s’autorisant quelques jolies scies rock comme on les aime (« Satellite Blues », « All Screwed up ») et battant le rappel d’une musique qu’on croyait bel et bien morte en l’an 2000.
 
Il serait bien évidemment de la plus parfaite mauvaise foi de déclarer que Stiff Upper Lip est un grand disque ou un incontournable. Il est plombé par un mauvais agencement des morceaux (il n’y a quasiment que de mid-tempos) faisant qu’au bout d’un moment on a un peu l’impression d’écouter toujours la même chanson. Il ne contient que trois vrais grands morceaux (« Stiff Upper Lip », « Safe in New York City » et « Can’t Stop Rock’n’roll ») entourés de titres tout aussi efficaces mais clairement mineurs. S'il n’a donc absolument rien d’indispensable…c’est précisément pour cela qu’il est bon. Parce que le rock’n’roll en lui-même n’a rien d’indispensable, et que c’est sans doute ce genre de disque sans prétention, fleurant bon la bière tiède et le tabac froid, qui l’incarne le mieux. En toute simplicité. « A bit of fun on the side » gémit le vieux Brian. Exactement.


👍👍 Stiff Upper Lip 
AC/DC | East West, 2000