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Déjà huit ans qu’AC/DC n’a plus 
publié d’album. Quand les Stones ont saturé les années 90/2000 de 
compiles et autres lives à n’en plus finir, le moins qu’on
    puisse dire est que les frères Young ont su se faire 
discrets… raflant au passage une crédibilité de plus en plus immense 
auprès des critiques comme du jeune public n’ayant de cesse de les
    redécouvrir, génération après génération. Oui, il semble bien 
qu’AC/DC soit le seul groupe de sa génération à ne devoir jamais 
connaître la compromission, à refuser de capitaliser sur son nom et
    à continuer de ne vendre son âme qu'au rock’n’roll. Vous trouvez que
 j’exagère ? Mais la discographie du groupe ces dix-huit dernières 
années parle pour lui : après une brève éclipse
    dans les années 80 (brève et surtout très relative au regard de 
celles des autres) le groupe australien est sorti grandi des années 90, 
publiant ses meilleurs disques depuis le mythique Back in Black, sacrifiant à l’exercice de l'album live (qu'il 
déteste) avec rigueur et efficacité (AC/DC Live - 
indispensable) décrochant l’un des plus gros succès de sa carrière avec
    Ballbreaker (1995)… et lorsque par hasard les frères Young, 
généralement peu enclins à remuer le passé, acceptent d’exhumer leurs 
archives… cela donne Bonfire, coffret-hommage à
    leur éternel ex-leader - aussi indispensable que poignant.
Que peut-on dès lors vraiment 
reprocher à AC/DC à l’aube des années 2000 ? De toujours publier le même
 disque ? Eternel procès ni tout à fait vrai ni
    tout à fait juste – mais force est de reconnaître que depuis For Those About to Rock (1981) le groupe décline à peu près toujours 
la même (redoutable) formule. D’avoir perdu le blues en
    cours de route ? Ça, c’est à la limite un grief plus sérieux – et 
qui ne date pas d’hier : depuis la rencontre avec Mutt Lange et le 
multiplatiné Highway to Hell , AC/DC s’est
    effectivement éloigné du hard-blues qu’on aimait tant (en gros celui
 des cinq premiers albums et du titanesque live If You Want Blood…).
 La mort de Bon Scott n’a sans doute rien arrangé,
    et de fait si son remplaçant Brian Johnson est presque unanimement 
apprécié depuis près de trente ans… force est d’admettre que c’est d’un 
autre visage d’AC/DC qu’il s’agit. Son visage le plus
    connu, du reste : celui de l'incarnation même du hard-rock... quand 
ses premières oeuvres tenaient plutôt d'un boogie-blues-rock aussi 
rugueux que nuancé.
Arrive donc en 2000 Stiff Upper Lip. Quinzième album d’AC/DC et
 première véritable sortie après cinq années de silence absolu. Si l’on 
était
    provocateur on dirait que c’est sans doute leur meilleur avec 
Johnson. Mais restons sérieux : c’est juste l’album du AC/DC Mark II 
évoquant le plus… l’AC/DC Mark I. Merci qui ? George
    Young, bien sûr ! Le troisième frère (celui des bien-aimés 
Easybeats) enfin de retour à la production vingt-deux ans après Powerage.
 Sans son binôme Harry Vanda (si quelqu’un a des
    nouvelles...) mais peu importe : le blues est là. Il est de retour, 
lui aussi. Et c’est une sacrée nouvelle.
  
Il serait sans doute exagéré de 
résumer Stiff Upper Lip à son casting, mais tout de même ce qui
 frappe d’entrée c’est le son : chaud, dense et
    résolument vintage, il se démarque en tout point de la 
superproduction Ballbreaker (signée Rick Rubin) et ramène AC/DC
 à des choses plus simples, moins dures et plus roots. Le fait qu’il
    y ait le mot « jazz » dans plusieurs textes n’a sans doute rien d’un
 hasard : les frères Young regardent clairement en arrière, avec une 
espèce de plaisir communicatif leur
    permettant de coucher dès la première plage l’un de leurs meilleurs 
titres depuis une éternité – « Stiff Upper Lip ». Un pied de lèvre à Sa 
Majesté Jagger qui, en effet, sonne plus
    comme les Stones de l’Age d’Or que n’importe quoi publié par les 
Stones eux-mêmes ces dernières années.
  
Tout n’est certes pas 
exceptionnel sur ce disque, certains morceaux comme « Meltdown » ou 
« Hold Me Back » relevant de l’anecdotique. Si
    les refrains sont presque tous parfaits , on a l'impression curieuse 
que le groupe peine parfois dans les couplets... c’est là tout le 
paradoxe de cet inattendu retour aux sources : dans
    l’absolu Stiff Upper Lip est moins bon que son 
prédécesseur. Mais il séduit plus ! Parce que la voix de Brian Johnson 
n’a jamais été aussi bien captée, laissant paraître des fêlures
    inédites sur l’imparable « Can’t Stop Rock’n’roll ». Parce que les 
chansons sont nettement plus débridées que par le passé, laissant 
presque souffler par moment un vent de folie
    retrouvée (« Safe in New York City » qui monte, qui monte…). Parce 
que ce groupe qui semblait parfois un peu raide sur ses productions des 
années 80/90 a retrouvé le groove furieux
    d'antan. Parce qu’AC/DC ne cherche plus à décrocher des hits (pour 
la première fois depuis 1980 il n’y en aura d’ailleurs aucun sur ce 
disque) mais à faire feu de tous bois, s’autorisant quelques
    jolies scies rock comme on les aime (« Satellite Blues », « All Screwed up ») et battant le rappel d’une musique qu’on croyait bel et 
bien morte en l’an 2000.
  
Il serait bien évidemment de la 
plus parfaite mauvaise foi de déclarer que Stiff Upper Lip
    est un grand disque ou un 
incontournable. Il est plombé par un mauvais agencement des morceaux (il
 n’y a quasiment que de mid-tempos) faisant qu’au bout d’un
    moment on a un peu l’impression d’écouter toujours la même chanson. 
Il ne contient que trois vrais grands morceaux (« Stiff Upper Lip », 
« Safe in New York City » et
    « Can’t Stop Rock’n’roll ») entourés de titres tout aussi efficaces 
mais clairement mineurs. S'il n’a donc absolument rien 
d’indispensable…c’est précisément pour cela qu’il est bon.
    Parce que le rock’n’roll en lui-même n’a rien d’indispensable, et 
que c’est sans doute ce genre de disque sans prétention, fleurant bon la
 bière tiède et le tabac froid, qui l’incarne le
    mieux. En toute 
simplicité. « A bit of fun on the side » gémit le vieux Brian. 
Exactement.
  
👍👍 Stiff Upper Lip 
AC/DC | East West, 2000

 
