vendredi 14 décembre 2007

PJ Harvey - Beautiful Dreaming

...
La pochette dit déjà tout : petite robe noire chicos, lunettes tip top mode et cheveux étrangement bien ordonnés, Polly Jean Harvey se tient seule au milieu d’une ville en mouvement, tourbillonnant autour d’elle. Quand on connaît le soin maniaque apporté par la jeune femme à l’esthétique et aux artworks, ce n’est pas extrapoler que de se dire rien qu’à regarder la photo que ce sixième album va être différent. La demoiselle rageuse des années 90, qu’on avait laissée dans la noirceur décharnée d’Is This Desire?, entamerait-elle la nouvelle décennie en nous disant : Regardez, je suis devenue une femme ?

La discographie de PJ Harvey. Ca ferait un curieux Rékapituléidoscope. Aussi grandiose que bizarrement hétéroclite, elle est assurément la plus passionnante des quinze dernières années (à égalité parfaite avec celle de Radiohead), mais aussi sans doute la plus déroutante. Savoir qu’après le rock expérimental d’Is This Desire? la chouchoute de la blogtruc a enchaîné avec la pop fruitée de Stories from the City, Stories from the Sea, puis avec le rock déstructuré de Uh Huh Her pour finir sur White Chalk, disque quasi psyché et absolument intimiste… où est la ligne directrice dans tout cela ? Quel est le secret de cette femme pour tout changer en or ?

Sur Stories from the City, Stories from the Sea, il y a de la pop, et il y a Thom Yorke. L’un n’irait pas sans l’autre, et sans vouloir minimiser le travail de Polly il apparaît rétrospectivement que la part d'Yorke dans ce disque fut sans doute beaucoup plus importante qu’on l’a dit à l’époque. « Beautiful Feeling » n’est pas juste une chanson de PJ Harvey avec l’autre Thom qui fait les chœurs. C’est plutôt une chanson de Thom Yorke sur laquelle chante PJ Harvey, littéralement. Du son de la guitare à la mélodie du refrain… cette composition hantée, la meilleure du disque, évoque un Radiohead avec Polly au chant (fantasme qu’on aimerait beaucoup voir se réaliser sur la longueur d’un album).

Le temps aidant on a appris à aimer tous les titres, et comment dire ? On s’est peut-être trompé en axant sur le côté pop de l’affaire. Parce que Stories from the City..., s’il demeure bien évidemment l’album le plus accessible de la jeune femme, n’est pas si évident qu’il en a l’air. « Good Fortune » est un single brillant… seulement il n’a pas pour autant particulièrement fédéré au-delà de la sphère habituelle du public harvesque. Un signe ? Sûrement : quoique plus mélodique et immédiat, Stories... ne s’est ni plus ni moins vendu que les autres albums de notre diva à tous. Replacé dans le contexte de l’œuvre, mis dans la balance avec les deux albums suivants… celui-ci prend des allures de private joke. De pied de nez de l’artiste à son public. Quand on a passé cinq albums consécutifs à surprendre… quand on a poussé la radicalité jusqu’à enregistrer un disque aussi fou que Dancehall at Louse Point (dont on n’a pas fini de faire le tour)… le meilleur moyen de surprendre, voire de provoquer, c’est encore de rentrer dans le rang.

Polly l’a compris, et mis en œuvre. Stories from the City... sonne pop, soit. Mais il n’est pas calme, encore moins mou. Au contraire il virevolte (« You Said Something », cette guitare…), il se rebiffe (« This Is Love »), il bouillonne de l’intérieur, comme si la rage cette fois-ci était totalement contenue et maîtrisée toujours – jamais absente. Le texte de « This Mess We’re in », ballade pernicieuse s’il en est, suinte tout autant la frustration que les « To Bring You My Love » et autres « Oh My Lover » d’antan. La youtwoesque « A Place Called Home » traite d’abandon de soi, « Horses in My Dreams » est aussi contemplative que désespérée…

Quant à la construction, elle est remarquable. On commence par la sortie (« Big Exit »), on revient vers le rock pour retomber au final dans une langueur onirique du plus bel effet (« We Float »)… et l’onirisme, justement, est la clé de voûte de ce chef-d’œuvre. « One Line » est dans le souvenir, « Beautiful Feeling » montre une Polly à la limite de l’évaporation, « This Mess We’re in » ressemble à un rêve collectif. D’aucuns (dont moi-même) axèrent à l’époque leur décryptage du disque sur le titre, la pochette, les déclarations de l’auteure sur son esprit créatif cindé en deux (une part pour la ville, une part pour la campagne)… et déclarèrent donc que Stories from the City... était l’album urbain de PJ Harvey. C’est à la fois vrai et faux. Car si la ville est présente ici, c’est une ville fantasmée, floue, comme celle de la pochette. Exactement comme l’amour évoqué dans presque tous les titres, tout aussi évanescent, tout aussi fantasmé : This kind of about you / This is kind of about me

En somme, si Stories from the City, Stories from the Sea est bel et bien pop, c’est un chef-d’œuvre de pop fantasmée, irréelle et insaisissable. Et entre nous : qui refuserait de fantasmer avec Polly ? Hein, qui ?


👍👍👍 Stories from the City, Stories from the Sea 
PJ Harvey | Island, 2000

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).