jeudi 6 décembre 2007

La Vieille Fille - Frictions

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Tout est-il politique ? D’aucuns diront oui, d’autres diront non. La plupart n’arriveront pas à soutenir l’une ou l’autre des positions.

Balzac pense que oui, et il le prouve dans ce texte pour le moins curieux puisque la politique y est partout sans jamais être nommée et sans qu’à aucun moment l’intrigue ne quitte la sphère privée. L’on y fait la connaissance de Rose Cormon, 40 ans en 1816 et obsédée à l’idée d’enfin se caser. Un point de départ qui laisse attendre une de ces diatribes misogynes dont Honoré a le secret… sauf que non : c’est la Restauration qui l’intéresse, ère de changement aussi pleine d’espoir que d’incertitude. Avec le retour des Bourbon tout semble possible à Rose, y compris de trouver un mari et une situation. Mais elle n’est pas la première vieille fille venue : être paradoxal, incasé parce qu’incasable, en quête d’un absolu sans doute plus métaphysique qu’amoureux, elle se casse simultanément les dents sur ses rêveries amoureuses et ses ambitions sociales.

Ici se situe tout le sel de ce roman méconnu et pourtant capital dans l’œuvre de Balzac : Rose Cormon n’est nullement en quête d’amour, mais en quête d’accomplissement social. Fonder une famille et transmettre un héritage (idée prenant d’autant plus d’importance en cette période d’instabilité politique), voilà ce qui l’intéresse dans le mariage – comme une grande majorité de ses contemporains.

Quand d’autres auteurs du XIXème auraient opposé sans finesse morale bourgeoise et morale progressiste héritée de la Révoltuion, sensualisme contre pragmatisme… Balzac, lui, s’abstient de créer le contraste et se contente de peindre une société provinciale avec le panache qu’on lui connaît, ce style pamphlétaire qui interpelle constamment le lecteur tout en se gardant bien de lui dire ce qu’il doit penser. Il réussit même à trouver un écho des plus troublants à ses préoccupations avec plus d’un siècle de décalage ; notre auteur n’a certes rien d’un gauchiste mais son portrait cinglant de la droite du XIXeme, campant son libéralisme sur un socle prétendument moral tout en pratiquant une politique en tout point immorale et dépourvue de la moindre adéquation entre le discours et les actes, trouve une résonance toute particulière dans la France contemporaine – ce qui rend « La Vieille Fille » d’autant plus saisissant à la relecture.

En somme un grand Balzac, de ceux où en regardant vers le passé il questionne déjà l’avenir.


👍👍👍 La Vieille Fille 
Honoré de Balzac | Folio Classiques, 1836

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