mardi 13 novembre 2007

Bruce Spingsteen - Sommet oublié

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Quand tous les autres dinosaures des sixties/seventies vont attaquer très fort cette nouvelle décennie (Iggy Pop vient de décrocher la timbale avec Brick by Brick, Lou Reed de publier son album le plus ambitieux depuis longtemps, Neil Young de donner une suite sublime à Harvest, sans oublier Dylan – lancé dans une somptueuse doublette d’albums de reprises), le début des années 90 va marquer le premier (et seul véritable) creux de la vague pour un Springsteen un peu boursouflé depuis qu’il est entré au Rock’N’Roll Hall of Fame, et manifestement frappé du Syndrome de l'Oscar de la Meilleure Actrice.

En 1992, il vient même de publier son plus mauvais album (Human Touch), à peine réhaussé par un Lucky Town de bonne facture. Sommé de faire tout ce qu’il faut pour le défendre, voilà donc l’intègre Boss catapulté sur un plateau de MTV pour le sempiternel unplugged, coup de projecteur obligé pour les stars en devenir… ou bien en perte de vitesse, aussi, souvent.

Seulement voilà : le Boss, c’est quand même le Boss. Il n’aime pas faire ce que tout le monde attend de lui, il y peut rien, c’est plus fort que lui. Alors après un "Red Headed Woman" au demeurant remarquable… il fait coucou au public et branche les amplis. Non mais !

Ca, c’est très Springsteen comme idée. Quand on lui demande de la jouer acoustique il la joue électrique, quitte à débrancher ensuite sa guitare durant une décennie juste parce que tout le monde avait trouvé ça bien. On pourrait résumer ce genre de comportement par la seule phrase (ou quasi) qu’il prononce durant le concert : All right, let’s rock’in!. Bah oui, dit comme ça…


Ce show deviendra donc le seul MTV Unplugged électrique de tous les temps, et surtout l'un des tous meilleurs. Comme souvent la playlist de l’émission (ce n’est finalement que ça) est ambitieuse et préfère les chemins de traverse aux figures imposées (quand un chemin de traverse est aussi lumineux que "Better Days" on aurait tort de se priver). Surtout, elle offre ici un panorama du Springsteen électrique beaucoup plus sympathique et attachant que celui du (néanmoins très bon) live du E-Street de 2001. Parce que beaucoup plus cool, chaleureux et intimiste. Parce qu’en général le Boss se la joue électrique dans des salles énormes ou des stades tandis qu’il réserve les guitares folks aux petites salles, selon une espèce de lapalissade débile initiée par certains rockers originels bien avant sa naissance. On éprouve donc un plaisir certain à entendre Springsteen exploser "Darkness on the Edge of Town" à dix mètres d’un public proche du coma suite à un abus manifeste d’endorphine. Et dites-moi franchement, cette version de "Thunder Road" frissonnante ?... N’est-ce pas la meilleure de tous les temps ?

Quand Springsteen décide de rugir, c’est quand même vachement impressionnant. Ca donne un "Lucky Town" pour le moins majestueux, "If I Should Fall Behind" ou bien sûr "Atlantic City"… meilleure chanson du lot qu’on sous-titrera volontiers De l’Art Du Feulement Rocailleux. Soit, même lors d’une prestation aussi décalée il y a toujours chez l’auteur de "Born to Run" (qui n’est pas sur le disque, et c’est dommage) ce côté qui insupporte nombre d’Européens (et plus spécialement les Français). Il ne chantait pas "Born in the U.S.A." (qui n'y est pas non plus, mais c’est beaucoup moins grave) pour rien : chez lui, tout de la voix aux textes en passant par le son ou les arrangements sonne terriblement américain (au sens : c’est pas un compliment). Je n’ai jamais compris pourquoi cela déplaisait autant aux gens, mais j’avoue que moi-même ce n’est pas ce que je préfère chez lui. Sauf sur ce très grand live, où bizarrement ça ne me dérange pas. Comme si pour une fois Springsteen (qui est loin d’être mon idole) parvenait à transcender ses faiblesses par la force de ses seules qualités d'interprétation. Grandiose.


👍👍👍 In Concert : MTV Plugged!
Bruce Springsteen | Columbia, 1993