mardi 16 octobre 2007

Juke-Box - Mélodies d'un temps vachement ordinaire

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Il m’est arrivé de me dire que Blondel était le copain de tous les blogueurs – sauf moi.

J’exagère, bien sûr. Néanmoins la surreprésentation de son œuvre sur la blogosphère est absolument indéniable. Je pense très sincèrement qu’à force cela doit ou va le desservir, ne serait-ce que parce que cela donne l’impression que ses bouquins s’arrachent comme des petits pains (ce qui encourage à les emprunter plutôt que de les acheter) – mais bon : c’est pas mon problème.

Ce qui l’est plus, en revanche, c’est que j’avais jusqu’alors, je dois le confesser, une image de Jean-Philippe Blondel comme étant le copain officiel des blogueurs. Et pas grand-chose d’autre. Ca ne m’empêchait pas de sourire en lisant certaines de ses interventions (souvent fort à propos) chez X ou Y, mais honnêtement ça ne me poussait pas particulièrement à m’intéresser à son œuvre. J’avoue même que ça me poussait plutôt dans le sens inverse. Non que je sois réfractaire aux engouements : je m’engoue moi-même régulièrement. Mais après être tombé une, deux, trois fois sur certaines critiques si évidemment complaisantes et si peu littéraires… je n’avais franchement pas envie d’y revenir. Je serais d’ailleurs surpris d’apprendre que j’étais le seul : la popularité bloguienne de cet auteur n’ayant d’égale que sa productivité, il y a eu une période pas si lointaine où bien qu’ayant Juke-box sous le coude (suite au non-conseil d’un ami) j’étais tellement bassiné que je n’avais surtout pas envie de faire subir ça à d’autres pauvres bougres dans mon genre. Le nouveau Blondel sort la semaine prochaine, Blondel rafle le Prix Biblioblog, Blondel sera de la rentrée littéraire, Le nouveau Blondel divise les blogueurs, Peut-on dire du mal de Blondel ?, Mais non nous on t’aime JP… à chaque nouvel épisode, Juke-Box s’enfonçait un peu plus dans le cageot à livres, à tel point que je me préparais à le voir le transpercer pour un peu que ledit Blondel décide de s’auto-donner le coup de grâce en ouvrant son propre blog.

Rien ne m’obligeait à cette trop longue intro, mais par souci d’honnêteté je me devais de préciser que pour toutes ces raisons, je n’étais pas spécialement bien disposé à l’égard de ce livre. D’autant qu’en plus, je n’étais pas totalement débutant en Blondel : j’avais déjà lu, il y a quelques années, Accès direct à la plage . Tellement bon que je ne m’en souviens absolument plus.

Tout ceci constituant une liste amusante de toutes les très mauvaises raisons de ne pas lire un livre, je me suis dit que puisque ça faisait quelques semaines que je n’avais rien lu sur Blondel c’était le moment où jamais d’enfin m’attaquer à Juke-Box. Je profite donc de cette pause dans le plan de domination globale de J-PB pour vous livrer mes impressions, d’autant que c’est de saison : ce roman entre pile poil dans le cadre du Crossover des blogs.


« On ne soupçonne pas le pouvoir d'une chanson parce qu'on ne lui en prête aucun. On se gargarise de grands classiques littéraires, picturaux, cinématographiques, pas de chansons. Pourtant, c'est le seul véhicule à sentiments qui nous désarme. Quand on ne se remémore un livre, une peinture, un film, on se rappelle de l'oeuvre de quelqu'un. Quand on se souvient d'une chanson, on se rappelle de soi : telle chanson, le premier flirt, telle autre des vacances, une saison heureuse, un coup dur ou, plus largement, la mélancolie, le courage, l'insouciance… »

Ceci n’est pas de Blondel, mais de Kent. Il s’agit de la quatrième de couverture de son premier roman (Vibrato), et si j’ignore encore s’il a écrit un bon livre, je peux d’ores et déjà vous dire qu’il a produit un formidable résumé de Juke-Box (ce n’est déjà pas si mal, je n’aurais certainement pas fait aussi joli). A chaque anecdote sa chanson, à chaque fragment de la vie de Yoann sa mélodie. L’idée est aussi simple que séduisante. C’est tellement con qu’on se demande pourquoi personne n’y avait jamais pensé avant – et je ne vous apprendrai rien en vous disant que ce sont souvent les idées les plus cons qui produisent les plus grands livres.

Il y a cependant deux risques évidents dans un tel projet, que Blondel contourne avec talent.

Le premier c’est d’être confronté au spectre d’un High Fidelity à la française. Aucun problème pour l’auteur : Juke-Box n’est en rien un livre sur la musique. On ne sent même pas un amour très profond ni pour la musique en générale ni pour ces chansons en particulier (pour la plupart de très grosses daubes). L’idée serait plutôt d’établir la connexion entre la musique et la vie quotidienne, ce qui hélas n’est réussi que par intermittence. C’est-à-dire que si la musique est bien là, c’est une musique de fond. Il ne suffit pas d’écrire « Le Lundi au soleil » pour que le lecteur l’entende. Et les titres de morceaux, la plupart du temps, ne passent que pour des illustrations : on aurait bien voulu qu’« Oxygène » (par exemple) serve à autre chose qu’à intituler un chapitre où il y a deux fois le mot « calme » et une fois le mot « respire ». Ce genre d’astuce est plutôt futé, mais tout de même un peu limité. De même lorsque le narrateur nous dit :

« C’est mon premier vinyle.

C’est mon premier quarante-cinq tours.

Comment pourrais-je l’oublier ? »

… c’est évidemment on ne peut plus vrai, mais ça manque tellement de subtilité que ça dessert le propos. C’eût été tellement plus fort de suggérer cela sans avant besoin de le sur et sous ligner au stabilo rose fluo !

(si je voulais me montrer cruel, je dirais que là, on voit que Blondel n’est pas le copain des blogueurs musicaux, parce que c’est quand même l’écueil numéro un qu’ils réussissent tous à éviter lorsqu’ils parlent du premier disque qu’ils ont reçu)

En somme : la musique n’est ici génératrice que de bruit de fond, jamais d’émotion, on ne sait d’ailleurs que très rarement ce que le narrateur ressent en l’entendant – deux fois sur trois il s’agit juste de dire quel morceau passait à la radio au moment de l’anecdote. Donc définitivement : non, il ne s’agit pas d’un ersatz de High Fidelity. C’en est même, du point de vue du rapport à la musique, l’inverse absolu. Tout le problème étant qu’en évitant un écueil, Blondel s’en prend un autre de plein de fouet, reproduisant ici des faiblesses présentes non seulement dans son livre… mais dans neuf romans sur dix touchant à la musique.

Désolé de m’être si longuement attardé sur ce point précis, mais la musique, à défaut de constituer le roman, en est tout de même le moteur. Or écrire la musique est un des trucs les plus délicats qui soient. C’est peut-être même précisément pour cette raison que Blondel donne l’impression curieuse de la contourner. D’aucuns ne prêteraient sans doute qu’à peine attention à cet aspect du livre… moi, en tant que monomaniaque de la musique, je ne peux pas ne pas y être sensible.

(et puis bon… vue la taille de l’intro faut bien que je me démerde pour que la critique en elle-même soit plus longue)

Nous parlions plus haut de deux risques. Voici le second : que la vie liée à la musique n’ait aucun intérêt. Force est d’admettre que j’ai un peu menti en disant que l’auteur contournait lesdits risques, parce qu’assurément la vie de Yoann est désarmante de banalité. C’est la mienne, c’est la vôtre, c’est la vie – quoi. Et là, là, Blondel est très fort. Parce que son écriture est aussi douce et sensible que ses goûts musicaux sujets à caution (vanne facile). Parce qu’il fait partie de ces auteurs capables de transcender les petits riens de la vie pour nous toucher en plein cœur. Et parce qu’il s’y connaît visiblement comme personne pour mêler rire, larmes, colère… toute la gamme des émotions humaines dans une simple anecdote. De ce point de vue Juke-Box est un livre qui mérite que l’on s’y attarde, quand bien même son concept tourne totalement à vide. Et d’une certaine manière c’est heureux : cela prouve juste que Jean-Philippe Blondel n’a pas plus besoin de sons que d’un concept bancal pour être un écrivain de talent. Dommage qu’il se soit lui-même tiré une balle dans le pied… j’aurais été ravi de lire le même roman sans les lourdeurs du format juke-box.

Bref : s’il est à coup sûr perdu pour la musique, Blondel est un bon écrivain. J’en suis désormais convaincu, et je ne le verrai plus jamais comme le copain des blogueurs, sauf si bien sûr il décide d’ouvrir un myspace pour diffuser des reprises de Gala (auquel cas il sera perdu pour tout, y compris pour la psychanalyse).


Juke-Box 
Jean-Philippe Blondel | Pocket, 2004