samedi 20 octobre 2007

Philippe Djian - Rouge comme le ciel

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Derrière ce titre superbe se cache non pas le premier livre de Djian (il s’agissait du recueil – assez dispensable – 50 contre 1) mais son premier roman, publié discrètement en 1982 chez BFB. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’agit franchement pas du meilleur debut de l’histoire littéraire, loin s’en faut. Si l’on ne peut qu’être séduit par des personnages très attachants (Lili un peu, Ned surtout, Frank un chapitre sur deux) et des situations mélancolicocasses à la… Djian (!)... quiconque aura déjà lu soit Brautigan soit Bukowski soit Hemingway soit Fante soit tous ceux-là réunis… ne pourra s’empêcher d’y voir non pas des ombres tutélaires comme dans les autres livres de Philippe Djian, mais plutôt des influences un peu trop écrasantes pour qu’on prenne un réel plaisir à la lecture. On imagine sans peine l’électrochoc qu’un tel roman put provoquer en son temps dans la France littéraire de Modiano ou Japrisot (têtes de gondoles d’alors dont il n’est pas question de dire du mal, juste de souligner que leurs livres sont bien mieux élevés que celui-ci), seulement le temps l’a finalement bien plus usé que d’autres. Le temps et les clones qui sont apparus par la suite, tous ces personnages qui buvaient de la bière entre trentenaires mélancoliques et roulaient en Buick au fin fond de la province. Ces ersatz, les autres livres de Djian les ont rapidement surclassés – surclassant ce premier opus par la même occasion.

Il serait cependant excessif de n’y voir qu’un brouillon de Zone érogène ou de 37°2 le matin, car le ton est ici plus dur et l’humeur bien plus sombre. Dans Bleu comme l’Enfer, la mort est partout, renforcée par le côté western de l'ensemble. Souvent dissimulée au milieu des rires ou des promenades contemplatives certes, mais bel et bien omniprésente, peut-être plus que dans tous les romans de l’auteur réunis. Le ciel est sans doute bleu comme l’Enfer, en attendant sur la couverture de mon édition (dont je n'ai hélas pas trouvé de photo) il est peint en rouge et on ne pouvait rêver meilleure transcription de l’atmosphère générale. L’espoir reste heureusement à l’ordre du jour (c’est ce qui différenciera toujours Djian de Bukowski ou Hemingway), seulement il est assez discret, se planque dans des petits bonheurs de rien plutôt que dans des grands moments de joie. Il faut le traquer, le débusquer pour espérer ressortir de Bleu comme l’Enfer avec autre chose que des yeux qui picotent. Ceci fait on reconnaîtra au final que ce roman n’est pas mauvais, sans être aussi exceptionnel que ceux qui suivront. Pour choisir une énième métaphore musicale, Bleu comme l’Enfer c’est un peu le premier album des White Stripes : on sent déjà, de manière fugace, que l’auteur imposera son œuvre au-delà des modes et des revivals. Sauf qu’en l’état, ce n’est pas encore suffisant pour qu’on adhère à cent pour cent.

A noter que dans le cadre de mes « relectures djianesques » entamées il y a peu, celle-ci aura été bien plus cruelle que la précédente. En effet, pendant longtemps, ce livre lu à l’adolescence fut l’un de mes favoris de l’auteur.


Bleu comme l'Enfer 
Philippe Djian | Bernard Barrault, 1982