dimanche 21 octobre 2007

Hervé Guibert - Pas farouche

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Le triomphe critique et public d’ A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (ainsi que de ses suites posthumes) a totalement biaisé l’image que l’histoire littéraire aurait gardé de Hervé Guibert s’il n’avait pu échapper au titre assez pathétique d’Ecrivain du sida et au statut piteux de célébrité fauchée par le virus.

Certes, entamer ainsi une chronique sur Guibert est une lapalissade indigne d’un exposé de terminale L. Seulement c’est d’une importance capitale dans le contexte qui nous préoccupe. Non pas parce que je tiens absolument à me la péter en rappelant que Guibert n'est pas mort du sida mais des suites d'une tentative de suicide, même si je ne loupe jamais une occasion de me la péter. Mais car le glissement d’image de cet auteur n’a pas juste été provoqué par les médias, mais par un glissement parallèle au sein de son œuvre : il y a en fait deux Hervé Guibert, celui d’avant A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et celui d’après – c’est à dire… celui qui est mort. Guibert, s’il a été incroyablement prolifique durant les deux dernières années de sa vie, au point qu’on ignore si un jour Gallimard en aura fini d’exhumer ses inédits, avait déjà publié une œuvre plus que copieuse avant son décès fin 1991, œuvre en passe d’être totalement oubliée, engloutie non par le temps mais par l’œuvre posthume du même auteur – ce qui est pour le moins unique dans l’histoire des arts ou lettres. C’est un peu comme si les deux-cent-quatre-vingt-dix disques posthumes de Jimi Hendrix se trouvaient plus souvent cités en référence qu’Electric Ladyland ou Are You Experienced? – une aberration. Et même, d’une certaine manière, c’est encore pire : les disques posthumes de Hendrix restent relativement proches de ses « vrais » classiques. Là où Le Protocole compassionnel ou Le Mausolée des amants, pour n’en être pas moins des textes sublimes, n’ont finalement qu’un rapport assez lointain avec Des aveugles ou La Mort propagande. Par glissement, ils ont fait de Hervé Guibert un auteur de récits autobiographiques, voire d’autofictions, alors qu’il fut avant tout un formidable écrivain capable aussi bien de réinventer la poésie en prose que de s’attaquer au renouvellement de la forme romanesque.



« On lui vola sa mort, lui qui avait voulu en être le maître, et on lui vola jusqu’à la vérité de sa mort, lui qui avait été le maître de la vérité… »

Cette phrase seule pourrait presque suffire à résumer sinon l’œuvre, du moins mon introduction. Elle s’applique bien entendu merveilleusement à l’auteur, comme si deux ans avant, déjà, il avait deviné ce qui attendait sa mémoire. Elle s’applique encore mieux à Mauve le vierge, recueil curieux qu’on pourra voir à l’envi comme une collection de courts récits ou comme un unique roman réparti en une multitude de parties distinctes.

C’est que le livre présente une cohésion incroyable pour un recueil de nouvelles, chaque narrateur de chaque épisode se révélant rapidement comme une déclinaison de Guibert lui-même – personnage fantomatique de ces textes dont la voix apparaît régulièrement pour exploser en une multitude de petits éclats poétiques. Difficile de ne pas l’imaginer grimé, sautillant autour de ses personnages pour mieux les mettre au défi de s’évader du texte tel un clown aussi facétieux que séduisant. Car pour n’en avoir pas moins un fond assez sombre, ces textes sont avant tout très drôles, fantaisistes, à l’image de Mémée Nibard ou du Papier magique.

L’auteur semble nous mettre au défi de démêler le vrai du faux, la réalité du fantasme, l’expérience de la fiction. Il s’amuse et provoque, écrit des choses horribles sur un mode hilarant, se livre à une belle démonstration de puissance de l’écrivain : Mauvais le vierge tient autant de Jacques le Fataliste que du numéro de funambule, de la provocation outrageante que de la confession intimiste. A cela près que cette confession serait vécue non pas le biais de l’autobiographie, mais par celui de la fiction outrancière. Brillant tour de passe-passe.


👍👍 Mauve le vierge 
Hervé Guibert | Gallimard "L'Imaginaire", 1988

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