vendredi 26 octobre 2007

Babyshambles - Getting Along!

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Down in Albion est un disque vicieux.

Chaque fois qu’on croit en avoir fini avec lui on se rend compte qu’il n’en est rien. Plus riche qu’il y paraît de prime abord, il s’inscrit finalement plutôt très bien dans les mémoires, sans doute pas dans son intégralité mais largement assez pour être plus que ce tout le monde en a dit à l’époque. Le fait est que beaucoup de ses titres tiennent la distance, ce qui n’était pas forcément évident à la base. Si le quatuor inaugural (« La Bête & La Bête » / « Fuck Forever » / « A Rebours » / « The 32nd December ») reste largement au-dessus de la mêlée, d’autres titres moins évidents ont fini par se révéler (« Back from the Dead », « Loyalty Song »). D’autres encore ont perdu un peu de leur superbe (c’est le cas de « Killamangiro »), usés par le temps ou les diffusions radios. Mais foncièrement, Down in Albion reste au bout de deux cents écoutes le même bloc de contradictions qu’il était le jour de sa sortie. Et alors même que j’ai cru finir par m’en lasser, je suis retombé dedans à chaque nouveau passage depuis deux ans. Sans doute parce qu’on peut être imparfait et tout de même passionnant.

Ce premier disque l’est même d’autant plus à la lumière de son successeur, l’excellent Shotter’s Nation. Non pas tant parce qu’il est meilleur que parce que son petit frère permet en creux de le (re)définir, notamment en le situant désormais dans l’œuvre de Babyshambles – non plus dans celle des Libertines. Il n’est pas interdit de penser que Down in Albion est sorti un peu vite, un peu tôt, un peu n’importe comment… la productivité de son auteur n’ayant eu d’égale que la hâte de Rough Trade de s’en foutre plein les poches sur le dos non pas de ce disque, mais de la mémoire des Libertines (qui comme de bien entendu sont devenus cultes aussitôt le split annoncé, la dohertymania n’ayant d’ailleurs réellement atteint un pays comme la France qu’à ce moment là – il n’aura échappé à personne que nous vivons sans doute dans le seul endroit au monde où l’on présente le bonhomme comme le leader des Babyshambles). Un an seulement après la sortie du dernier album des punks-désormais-empaillés-par-la-gloire-posthume, il était sans doute beaucoup trop tôt pour déjà embrayer sur autre chose. Tant pour Doherty lui-même, d’ailleurs, que pour des fans dont absolument aucun n’avait réellement fait le deuil (notez que la plupart ne l’a toujours pas fait, Peter D. et Carl B. entretenant régulièrement moult ambiguïtés quant à une possible reformation).

L’image et le son des Lib’s encore trop présents dans les esprits, on a sans doute tous oublié un peu vite que les défauts de Down in Albion étaient pour la plupart des défauts inhérents à nombre de premiers albums du genre. On a même presque complètement oublié que c’en était un, de premier album. Ni plus ni moins maîtrisé ou inégal que (par exemple) le premier Clash. On a en somme commis l’erreur grossière de traiter Pete Doherty comme un artiste établi plutôt que comme ce qu’il était, à savoir un génie de vingt-six ans (à l’époque) n’ayant que deux disques et une poignée de singles même pas à son actif – à celui d’un collectif. Dommage collatéral au demeurant très répandu dans le rock, où le culte de la jeunesse éternelle autorise nombre de critiques à écrire des encyclopédies entières de connerie démago, et qui ferait sûrement beaucoup marrer les amateurs de littérature ne fricotant pas avec ce milieu. Tous vous diront qu’en littérature, ce genre d’idiotie ne vaut que pour quelques Rimbaud. Que la plupart des écrivains ne font que se bonifier avec le temps, et que ne fût-ce que parce qu’ils mettent parfois dix ans avant d’être publiés, ils ont déjà largement passé le cap du trip poète maudit au moment où ils commencent à effleurer le succès. Mais bref ! chaque art possède ses propres codes, bien sûr.

Le côté poète maudit, justement, Doherty l’a usé jusqu’à la corde, au point qu’on en serait presque venu par moments à lui préférer Julian Casablancas. La comparaison avec Kurt Cobain s’impose de manière d’autant plus évidente que par maints aspects, Down in Albion est à Up the Bracket! ce qu'In Utero fut à Nevermind : une destruction en règle, une manière (inconsciente ?) de faire table-rase. De bien des points de vue, ce disque est infiniment plus PUNK que n’importe quoi des Libertines.

Avec l’arrivée dans l’équation de Shotter’s Nation, disque différent autant qu’aboutissement logique, Down in Albion prend désormais un autre sens. Un sens qui, dans le fond, n’a jamais été caché. Simplement personne ne semble avoir fait vraiment attention au fait que ce titre renvoie aux Books of Albion, carnets intimes que Pete Doherty remplit depuis l’adolescence, et qui viennent par ailleurs d’être enfin dévoilés. Sans doute pour des raisons fort peu artistiques (alors Pete, on a des dettes de dope ?) mais qu’importe : un simple coup d’œil à l’objet permet de se rendre compte de manière presque saisissante que Down in Albion en est le pendant musical le plus absolu. Bordélique mais terriblement attachant, violent et fragile, inachevé mais pas inabouti. On réalise que ses chansons sont moins des démos (même si leur son, c’est un fait, ne dépasse pas celui d’une mauvaise maquette) que des instantanés de la vie d’un jeune homme presque ordinaire, des pages de journal intime arrachées et jetées au gré des vents (l’analyse d’un texte aussi énigmatique que celui de « The 32nd of December » pouvant presque se substituer à l’écoute si vous avez un peu de temps à perdre).

Ceci ne compense certes pas toutes les faiblesses, rien n’excusant le son catastrophique de « Merry Go Round » au d’« Up the Morning ». Mais cela explique sans doute pourquoi cet album ressemble finalement si peu à ceux des Libertines comme à Shotter’s Nation (parce que c'est finalement ce que personne n'a jamais cessé de lui reprocher, ni plus, ni moins). Jamais peut-être musique rock n’aura été si liée à la vie de son créateur. Quand Doherty s’étiole sa musique se délite… quand il reprend goût à la vie cela donne « Delivery », dernier single (killer) en date.

Bien entendu de même que savoir pourquoi vous allez mal ne suffit pas à vous faire aller mieux, savoir pourquoi Down in Albion est inégal ne le rend pas moins inégal. Coupé de Carl Barât, Doherty éprouve toutes les peines du monde à retrouver la concision pop qui rendait les chansons des Libertines aussi incandescentes. Il commet régulièrement le crime de lèse-punkitude de se montrer trop bavard (« 8 Dead Boys »), et à l’évidence ce premier album est beaucoup trop long. A un quart d’heure près il atteint à lui seul la durée des deux albums des Libertines réunis, ce qui est assurément beaucoup trop pour un truc aussi chaotique (sens de l’épure et concision pop allant souvent de paire – ou pas le cas échéant). Décevant, d’autant que réduit à l’essentiel – dix titres (en gros les sept premiers, plus « Albion », « Back from the Dead » et « Loyalty Song »), c’eût été l’un des meilleurs albums de ces dernières années. Néanmoins le procès en incohésion que je fus le premier à lui faire à sa sortie me semble aujourd’hui totalement déplacé. Car il y a bel et bien une cohérence dans ce disque, sinon harmonique du moins atmosphérique : lorsqu’on se le passe en lecture aléatoire, il est vraiment moins bon. Dans leur ordre habituel, en réalité, les titres s’enchaînent même plutôt très bien, le seul véritable hic étant que la majestueuse « Albion », toute en grâce et espoirs contenus, aurait dû logiquement clore les (d)ébats.

Alors non, Down in Albion n’est pas le disque le plus réussi de tous les temps. En revanche je connais peu de gens qui lui aient laissé une vraie chance sans qu’il ait fini par s’installer dans leur vie. Et dans le genre rock-punk, entre nous… est-ce qu’on a entendu depuis un seul titre qui soit plus fort, plus puissant, plus beau… un seul hymne du calibre de ce « Fuck Forever », qui file une irrépressible de gueuler le point levé bien haut ?...


👍👍 Down in Albion 
Babyshambles | Rough Trade, 2005

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